La transition vers la durabilité

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Notions-clé:''adaptation,transfert de compétences,durabilité,insertion sociale,partenariat, coopération,bien commun,internet,école de la vie,formation,ONU,fonds publics.


1996. Après le Labyrinthe de la place Arlaud, nous venons de rebondir au « Chapitô ». Le premier d'une longue série de gros déménagements. Nous sommes le 22 mai, c'est l'inauguration de cette grande salle de 150 m2, complétée par divers ateliers dans un immeuble de la vieille ville de Lausanne, en face du château du gouvernement de notre pays de Vaud. C'est un mini-Flon[1]. Il est prêté à une cinquantaine d'artisans et d'artistes dans deux gigantesques bâtiments, qui anciennement accueillaient une école de chimie. C'est un lieu de créativité qui fera date à Lausanne. L'association Tir Groupé n'en occupe qu'une petite partie, et c'est déjà immense.
Erreur lors de la création de la miniature : Fichier manquant

Nous voulions stimuler l'engagement de financement de diverses administrations publiques dont nous prolongions l'action (sociale, culturelle, de formation, micro-entrepreneuriale). C'est la raison pour laquelle nous avions annoncé que nous allions passer la main à de nouveaux arrivants, et qu'il était nécessaire d'assurer la « professionnalisation » de la démarche pour qu'elle perdure. Des représentants de l'exécutif du gouvernement vaudois et de la commune de Lausanne se sont assis à la même table, pour parler de l'avenir de cette forme d'entrepreneuriat socioculturel innovant que nous développions. Ils se sont engagés à financer une expérience pilote, avec l'équivalent de deux postes à plein temps. Chapeau. C'est une nouvelle étape pour l'avenir.

Le comité initial passe donc la main, en laissant un beau patrimoine : trois maisons avec des contrats de prêt de longue durée, des subventions annuelles de la ville de Lausanne et du canton de Vaud, suffisantes pour financer l'équivalent de deux postes à plein temps, une liberté de ton et des résultats solides. De plus, nous formions, intra muros, un service d'aide à l'insertion de demandeurs d'emploi, qui a eu beaucoup de succès.

Malheureusement, le nouveau comité de Tir Groupé n'a pas suffisamment d'expérience et les erreurs vont s'accumuler.

Au lieu de mandater des entrepreneurs indépendants payés à livraison des résultats, ils emploient deux animateurs salariés à temps plein, comme c'est le cas dans les centres de loisirs. Cette erreur stratégique va coûter cher. L'argent de la commune et du canton sert à payer des employés qui n'habitent pas sur place, et qui eux-mêmes expliquent aux porteurs de projets qu'ils peuvent les aider avec du temps, mais qu'ils n'ont pas d'argent. Or, très souvent, un petit projet d'exposition ou de stage a juste besoin de 1 000 ou 2 000 francs pour couvrir les quelques frais initiaux. L'organisation du nouveau comité implique que le fonctionnement dépende désormais des animateurs employés, et non plus d'une coopération entre cohabitants.

Le nouveau comité se déconnecte progressivement des diverses sphères sociétales (intergénérationnelles, interculturelles, interprofessionnelles). Le programme d'appuis aux demandeurs d'emplois est dissocié de Tir Groupé, et le programme d'appui à la création d'entreprises socioculturelles n'est plus actif. Et en quelques années seulement, ses activités se limitent à des fêtes nocturnes, comme le MAD. Le nouveau comité ayant perdu l'appui et la confiance des autorités, les activités se raréfient. Mais c'est le décès tragique, en 1999, d'un des leaders du groupe, qui scelle définitivement son implosion. Les membres démissionnent, les cotisations ne sont plus payées, les voisins se plaignent des nuisances, la presse dénonce le désordre, et les baux sont résiliés par le canton qui est propriétaire.

C'est un échec. Tout est perdu : les fonds annuels des pouvoirs publics, la confiance des fournisseurs et partenaires privés (associations, PME...) réunis par l'équipe initiale.

Mariette, Marie-Jane, Johanna et Théo, qui formaient l'équipe initiale, reprennent leurs responsabilités. Avec une leçon de taille : nous n'avons pas suffisamment assuré la transition, en accompagnant professionnellement le nouveau comité. En tant que pilote de projet, Théo propose de tout recommencer à zéro. Nous en tirons d'importants enseignements sur l'art d'incuber en douceur pour éviter les faillites, qu'il s'agisse d'entreprises à but lucratif ou non. Dans cette phase de transition est constituée, en 1997, l'association Smala.

Un nouveau nom : Smala

Smala signifie famille élargie, tribu en mouvement. C'est aussi le nom donné aux Algériens résistant à la colonisation française de leur pays au XIXe siècle. La Smala est pour nous, comme une capitale itinérante d'esprits libres, une fédération d'entrepreneurs sociaux en mouvement, faisant forces de propositions créatives pour répondre aux problèmes causés par une société de consommation à la dérive. 

Nouveaux lieux, nouvelles activités et toujours le même fil rouge. Nous démarrons rue de Chandieu 15 à Lausanne, avec une maison. Très vite, vient la deuxième (Chandieu 11).

Puis une troisième, à la place du Tunnel : nommée Tricycle. Ce sont 1 500 m2 d'ateliers créatifs en centre-ville, une école du terrain. C'est un lieu qui a bien évolué, pendant les huit années durant lesquelles nous avons eu la chance de pouvoir l'occuper. Voici ce qu'en disait Christophe Fovanna dans Le Journal de Genève, en novembre 1997 :

« Dans un immeuble de quatre étages, de jeunes professionnels travaillant dans les domaines de la danse, du rap et de l’image, offriront à d’autres jeunes la possibilité d’une “formation culturelle” ».

« Le projet s’inscrit dans une logique d’“école du terrain”. “Ce lieu est un centre de formation culturelle qui a son utilité aussi bien avant, que parallèlement ou après une école”, explique Théo Bondolfi (que les Lausannois connaissent déjà pour avoir été notamment l’un des initiateurs de l’Association Tir Groupé, dont Tricycle est une sorte de prolongement). “Ce n’est plus seulement un lieu pour les copains, ajoute-t-il, mais un lieu pour les meilleurs : nous visons un nivellement par le haut !” »

Premiers pas sur internet:

En 1997-1998, nous lançons plusieurs projets pionniers de l'internet communautaire. Younet est le premier site web d'information pour la jeunesse. Ensuite nous copilotons le passage du service Ciao du télétexte vers internet. Ciao.ch devient, ainsi, le premier service romand de questions-réponses sur des sujets qui intéressent les jeunes, tels que la santé, le sexe, la drogue... Dans la foulée, nous découvrons les logiciels libres, prémisses de Wikipédia et autres dynamiques collaboratives qui, au regard de nos valeurs, ouvrent des perspectives très importantes. C'est le début d'un esprit de partage mondial des bonnes pratiques, une démarche qui nous tient tant à cœur.

Un succès à la Voile d'Or

En juillet 1999, le premier film produit sur nos activités est un grand succès : nous redonnons vie à un centre polyvalent en friche, au bord du lac, fleuron de notre région. Sous le titre « Toutes voiles dehors », Jacqueline Favez écrit dans l'édition du 9/07/1999 du quotidien 24 Heures :

« Ils ont réussi ! Après plusieurs mois de démarches, les jeunes de l’Association la Smala ont décroché un contrat de confiance leur permettant d’occuper La Voile d’Or à Lausanne-Vidy. Le célèbre bâtiment construit pour l’Expo de 1964, à l’abandon depuis environ quatre ans, va donc revivre. Et plutôt deux fois qu’une ! En effet, la Smala prévoit d’atteindre progressivement un taux d’ouverture des locaux de 100 %, en accueillant des clients à la buvette extérieure aux heures où d’autres sortiront encore de l’espace consacré à l’animation nocturne. » Image 28B

https://www.dropbox.com/s/279h28whpduf7bk/Image28-B-younet.jpg?dl=0

« Un fantastique défi qui va être relevé dans l’urgence puisque l’inauguration est agendée à vendredi soir, soit à peine une semaine après la signature du contrat

A nouveau, l'initiative porte ses fruits : nous faisons une offre de rachat. Ironie du sort : le bâtiment est racheté par les patrons du MAD. Nous poursuivons l'aventure Tricycle, une ruche créative par excellence. S'y incube notamment Ynternet.org[2], fondation qui va progressivement devenir une référence dans le monde pour l'internet solidaire, autrement dit le bien commun dans la société de l'information.

Cohabiter et coopérer dans des ruches créatives nous permet d'attirer des pointures mondiales : le photographe René Burri qui immortalisa le Che ; Florence Devouard, première présidente de la fondation qui a créé Wikipédia, ou encore Richard Stallman, le fondateur du mouvement des logiciels libres. Avec Ynternet.org, les cofondateurs de Tir Groupé appuient des projets de coopération Nord/Sud et aident des ONG en Afrique francophone, soutenues par l'Agence Intergouvernementale de la Francophonie. En 2013, la fondation Ynternet.org est devenue partenaire de l'Université romande HES-SO et a plus de quinze projets internationaux d'innovation socioculturelle à son actif.

Marie-Jane est nommée déléguée de la Suisse au Forum Mondial de la Jeunesse des Nations Unies. Alors que la Suisse n'est pas encore officiellement membre de l'ONU, la voilà à Dakar en été 2001, avec le droit de vote au nom de la Suisse, pour faire avancer les droits des jeunes dans le parlement mondial de la jeunesse aux Nations Unies. Forts d'un engagement sur le plan local, nous cumulons les participations à de grands forums mondiaux.

Nominé par l'UNESCO parmi 3 000 candidats « jeunes entrepreneurs sociaux hors du commun », Théo fait partie des 60 personnes sélectionnées pour un programme de formation d'une année équivalent à un master. Barbara Steudler y fait ses premières armes dans la créativité socio-environnementale, ce qui l'aidera à développer par la suite l'association Nice Future[3], en compagnie de Vincent Girdardin (ancien vice-président de Tir Groupé).

2003-2004 : dissolution de Tir Groupé, reprise par Smala

Après s'être réduite comme peau de chagrin, l'association Tir groupé part en faillite. Ironie du sort, Théo reçoit chez lui les actes de poursuite pour non-paiement des charges sociales. Le nouveau comité n'ayant pas mis à jour la liste des membres à la caisse patronale, son nom figurait toujours comme employeur.

François, un des cofondateurs de la Smala, a dit cette phrase, qui deviendra une de nos maximes : « Il y a des choses qu'on perd, il y en a d'autres qu'on récupère, c'est ça la vie communautaire ». Avec des statuts mis à jour, Smala va reprendre le flambeau des activités dans l'esprit d'origine de Tir Groupé, avec quatre des fondateurs initiaux : Mariette Glauser, Marie-Jane Berchten, Johana Raphael et Théo Bondolfi. Mission : appuyer l'écologie communautaire, sur le chemin de la simplicité volontaire. L'entrepreneuriat socioculturel et la création de lieux de vie étant les moteurs pour y parvenir.

Dès 2005 : les nouvelles maisons Smala

Sous l'égide de Smala, Nous reprenons la gestion de nombreuses maisons prêtées ou louées en courtes durées. Certaines d'entre elles nous demandaient beaucoup de travaux, et une fois terminé nous devions rendre les clés. Difficile d'installer durablement nos activités dans ces conditions. Parallèlement, le réseau de parrains et partenaires de Smala se renforce. Citons notamment le soutien d'Albert Jacquard, fervent défenseur, entre autres, du droit au logement. Nous avons également l'occasion de présenter notre démarche à Pierre Rabhi et aux coordinateurs locaux du mouvement créé pour le soutenir : les Colibris.

  1. La célèbre friche revitalisée de Lausanne
  2. http:yntenet:org
  3. http://nicefuture.ch