Motivation de l'initiateur d'Ecopol

De Wiki ECOPOL
Révision datée du 14 septembre 2013 à 10:48 par Move (discussion | contributions)

«Vers cinq ans, j'ai commencé à me plonger dans les livres de la collection bibliothèques rose. Je me les enfilais d'un coup, en un ou deux jours. Ca m'embarquais dans des aventures autour du monde, avec des drames, des passions, des défis. Je vivais à Chailly-Village, un quartier plein de verdure et de calme à Lausanne. On se disait bonjour entre inconnus dans la rue, chacun avait son potager, la vie était facile. Je jouais à planter des légumes avec mon père et j'ai eu l'idée de tenir un petit magasin pour proposer ma petite production et faire du commerce avec les gens devant la maison. Ca a marché, ça m'a marqué. Avec des voisins de mon âge, je rêvais de faire des tunnels pour relier les jardins des camarades du voisinage.

Mais parfois à l'école, au centre-ville ou en voyage, j'étais confronté à la tristesse du monde.

Triste par exemple: mes premières années d'écoles. Parmi les élèves, un boudchou comme moi, qui devint bien plus tard député national Suisse. Il a bâti sa carrière en bonne partie sur la férocité de ses interventions publiques. La politique spectacle. Mais bien avant, quand il avait 5-6 ans, il avait pris l'habitude de m'attendre à la sortie de l'école pour me casser la gueule. Ayant 17 mois de moins que lui, j'étais incapable de me défendre physiquement. Malgré ce quartier si paisable, j'ai vite dû apprendre à gérer des situations de stress extrêmes, et ça m'a marqué. Je crois que j'étais de nature enthousiaste, débridée, sans percevoir les jeux de pouvoir à l’œuvre en coulisse dans la classe, sans respecter certaines conventions sociales tacites qui gouvernent une bonne part de nos vies dès l'enfance. J'aimais proposer des initiatives à toute la classe, et j'allais dans tous les sens. Rétrospectivement, ça me parait assez évident que mon comportement de type "force de proposition" représentait quelque part un danger pour lui. Il n'avait pas réussi à appréhender ma nature extravertie et sans tabous, et le faisait savoir. J'avais bien sûr peur de ses coups. Mais au fond je ne voyais pas le danger. J'avais surtout l'intuition encore confuse que c'était lui qui souffrait d'un complexe. Ses origines étaient plus visiblement étrangères que les miennes, même si nous étions deux métis méditerranéens qui auraient pu être solidaires. Il me semblait chercher de l'amour et de l'intégration sociale par ses actes violents, et je retournais souvent vers lui pour lui proposer de partager du bon temps. Sans succès. Que ce soit clair : il n'est pas question ici de régler des comptes, mais de partager certaines sources de ma motivation à développer Ecopol. Cette histoire va bien au-delà des nos deux personnes. D'ailleurs nous nous sommes perdus de vue et je suis bien content s'il a pu trouver une place intéressante dans la société. Seule l'anecdote de deux destins divergents bien qu'issus du même quartier explique que je parle de lui. L'intérêt réside dans la situation d'exclusion sociale que j'ai vécu, qui s'est répétée par la suite. J'ai mis beaucoup de temps à réussir à ne plus déranger autant, tout en restant, je l'espère, authentique. De ces brutalités, je retiens que, déjà à l'époque, les injustices me rendait si triste que je cherchais presque toujours à arranger les choses, sans ménager mes efforts. Je n'étais pas honteux en cas d'échec social temporaire, car un petit rien quelques minutes plus tard me redonnait la pêche. Essayer de proposer des alternatives dans des situations de maldonne évidente, participer à rétablir les déséquilibre flagrants, sans lésiner sur les moyens : voilà bien un truc dans mon ADN. Chaque moment intense, vrai même si parfois tragique me remplissait de paix intérieure, tout en donnant de moi l'image d'un clown triste.

Triste aussi les mendiants vus dans la rue durant mon premier voyage à Venise. Mains tendues dans le froid de l'hiver. Regards éteints. Pourquoi ? Des scènes qui sont habituelles aujourd'hui pour tant de monde, mais qui m'ont choqué à vie. Elles ont renforcé ma motivation à faire quelque chose pour que l'humanité soit moins bestiale en général, pas juste pour mon petit chez moi, vu que mon chez moi était déjà assez chouette à l'époque. Aujourd'hui encore, quand je vois toutes ces personne mendier o?u que ce soit sur terre, je reste convaincu que la mendicité est avant tout le résultat d'un dysfonctionnement de notre société; une maladresse collective dont les racines sont profondes. Et je me sens la une responsabilité tout aussi collective de réduire ces écarts, sans céder à la tentation de me dire que "ma foi y'a toujours eu des injustices, on ne peut pas changer le monde". Je transforme ces souffrances en courage pour tenter de faire avancer les causes humanistes que j'ai choisi de soutenir, à ma modeste mesure. Et j'ai appris à canaliser mon engagement, poser un cadre et des limites pour durer, en gardant le sourire.

Triste enfin et surtout, les mauvaises nouvelles de guerres, de scandales, d'accidents. Enfant, cela me donnait un tel sentiment de perplexité et d'impuissance. Adolescent, j'ai eu un déclic avec le livre "cinq milliard d'hommes dans un vaisseau" d'Albert Jacquard : un manifeste pionnier de l'éco-conscience, qui dénonçait le péril nucléaire et montrait avec des mots simples l'étendue des problèmes de l'humanité, condamnée à s'adapter ou périr. A la fin de son livre, il mentionnait l'existence de solutions à tous ces problèmes, sans les décrire en détails. Symboliquement, j'aimerais préciser ici que ce grand homme du 20e siècle, disparu en septembre 2013 dans la semaine du bouclage de ce livre, était un des premiers parrains internationaux des projets de l'association Smala. J'ai eu la chance de passer quelques merveilleux moments avec lui. Il a éveillé tant d'âmes par son parcours exemplaire et son verbe si juste. Je lui suis profondément reconnaissant. Un récent hommage dans le quotidien suisse romand Le Courrier déplore que son départ "laisse un vide immense, à la mesure de la médiocrité de la génération d'intellectuels qui squatte aujourd'hui la plupart des tribunes médiatiques". Triste.

Retournons près de mon petit lit d'enfant, quand la nuit tombait dans ce petit coin de paradis au bord du lac Léman. Je n'arrivais pas toujours à m'endormir. J'étais souvent mal à cause de ce schéma d'exclusion que je vivais. Entre deux lectures, dans lesquels je ne pouvais oublier les descriptions des multiples facettes du désespoir présent dans le monde, je réfléchissais aux moyens de contribuer à une société où les choses seraient "meilleures". J'imaginais comment faire évoluer le fonctionnement de la justice, de l'école, de l'urbanisme... J'échafaudais des plans avec moult détails pratiques, comme dans un labyrinthe infernal dont on cherche la porte de sortie. Je rêvais tout éveillé. C'étaient autant de graines pour mon chemin de vie.

Alors très vite, dès mes huit ans, je me suis investi à fond dans des micro-projets concrets, par résilience probablement, pour "tuer la tristesse", comme on dit au Brésil. Je participais principalement à des récoltes de fonds pour des causes. J'allais sonner aux portes de tout le quartier pour proposer les timbres de Pro Juventute au profit des enfants pauvres, ou vendre les oranges d'Helvetas pour réduire la famine en Afrique. J'avais une bonne mémoire, je me souvenais de chaque personne, chaque rue, chaque réaction, j'affinais mes techniques de vente au service de projets pour lesquels je me sentais utile. J'aimais les gens. J'aimais essayer de les comprendre, de les sentir, d'interagir. Je les aimes toujours autant. J'aime l'humanité, le projet humain, la vie si riche en chacun de nous, notre biodiversité intérieure. Je vois le verre à moitié plein, parce que je me sens utile et libre de mes choix.

Mes parents, intellectuels et enseignants, me semblaient assez loin de ce qui m'habitait, de mes choix choix culturels, même s'ils m'apportaient beaucoup. Alors dès l'adolescence, j'ai quitté l'école formelle pour entrer dans l'école de la vie. Comme l'écrivait le philosophe et poète Rainer Maria Rilke, je me suis "détaché de ma famille pour donner de la force aux inconnus". J'ai cherché d'autres personnes références, plus en phase avec mes intuitions qui convergeaient vers cette idée de "contribuer à créer un environnement plus favorable pour la société".

J'ai commencé à exprimer ma vision d'une humanité réconciliée avec elle-même et son environnement en réalisant des performances théâtrales, puis des photographies. Mes images montraient des gens interagir dans la nature de manière décalée. Chaque mise en scène photographique était une aventure, comme un tournage de scène de film. Scénario, budget, repérage, décor, casting de photo-modèles en herbe, équipe de production, transport, mini-formation, pic-nic... avec à la clé des vernissages d'expositions, des fêtes mémorables. J'ai vite été soutenu par des gens incroyables, qui me faisant confiance alors que je n'avais pas même 18 ans à mes débuts.

Charles-Henri Favrod, alors directeur du musée de l'Elysée pour la photographie, m'a ouvert ses portes. Homme du monde, il m'a reconnu et encouragé. J'ai gagné en confiance et en joie de vivre. J'avais encore beaucoup de chemin à parcourir pour trouver ma voie, mais j'étais sur de bons rails, j'étais fou de bonheur de mordre la vie à pleine dent.

Pour me faire les pieds, j'ai voyagé et monté des projets d"imagineur" touche-à-tout : curateur d'expositions, entrepreneur socioculturel, incubateur de réseaux, gestionnaire de programmes intergouvernementaux de coopération Nord/Sud, formateur d'adulte et réalisateur de films documentaires, bref, tout ce qui a trait à la créativité et qui transcende les disciplines. Le succès est venu. Émotionnel. Humain. Structurel. Médiatique. J'ai vécu dans des lieux littéralement magiques, avec des gens juste magnifiques, dont certains sont décrits dans ce livre. J'ai tout perdu très souvent, simplement parce que je transformais des lieux abandonnés en musées vivants, finalement détruits par ceux qui m'avait prêté les mains. je ne payais par de loyer, mais de lourdes charges de transformation, animation et etreteins. Ces pertes répétées de lieux de vie, ces numéros de funambulisme socio-économique, je les ai pris du bon côté. Je repense à Markus Jura Suisse, enfant prodigue de la nation Suisse (un film lui est consacré, il a fait 400'000 entrées), clochard céleste à la Kerouac et ami de notre tribu. Il m'a dit un jour "mourir riche est un constat d'échec". Riche au sens financier. Je n'ai pas attendu mes derniers jours pour appliquer cette philosophie. J'ai choisi, sans le nommer, un certain chemin altruiste de la simplicité volontaire, tout en gérant assez jeune des budgets conséquents au service de projets d'intérêt public, requérant une grande conscience de chose publique. Je me suis juste développer un bon réseau pour toujours retomber sur mes pattes. Comme l'a bien dit bien Mariette dans le film sur les 15 de Smala : "nous sommes comme des roseaux, parfois on plie, mais on ne casse jamais." Tous les projets que j'administrais ont fait l'objet d'audit externe finaux positif, m'encourageant à poursuivre dans cette double voie de manager et de créatif.

Artistiquement, j'ai commencé à signer mes œuvres "imagination Théo Bondolfi", pour signifier que j'avais mis en image une vision, que j'avais accompagné cette vision en la documentant pour amener l’œuvre à dépasser l'homme. Je cumulais les expériences autodidactes dans des domaines où la formation académique n'est pas la seule entrée possible, à la différence notable des professions d'avocat ou de médecin. Des États-unis à la Yougoslavie, de l'Asie du Sud à l'Europe de l'Est, de l'Afrique de l'Ouest à l'Amérique du Sud. Parallèlement, j'ai gardé la plupart de mes doigts de pied en Suisse, où je créais et surtout animait des ruches dédiées aux nouveaux modes de vie : les maisons Tir Groupé, renommées maisons Smala dès 1997.

Pour bien me former, j'ai cherché des mentors et des magazines spécialisés. Ils m'ont aidés à canaliser et à clarifier ce répertoire de pratiques, à m'orienter vers ce que je n'ai réussi à nommer que bien plus tard "écologie communautaire". En imaginant ces œuvres, dont quelques-unes sont relatées en filigrane pour illustrer cet ouvrage, j'ai pu réunir progressivement de nombreuses connaissances relatives aux pratiques durables, toutes plus inspirantes les unes que les autres. Comme un collectionneur, je les mettais dans ma besace de méthodes, d'idées et de manières de faire. C'est devenu une marque de fabrique : j'avais des suggestions de solutions à un répertoire de plus en plus large de problèmes de société. Solutions non pas toutes faites, mais simplement vécues, documentées. Elles s'appuyaient sur de vastes mouvements et experts, peu connus et pourtant bien concrets.

J'ai ainsi roulé ma bosse de 16 à 35 ans, jusqu'à oser enfin parler de ma vision d'enfant, et la nommer : Ecopol, des pôles intermationaux d'écologie communautaire. Il m'a ensuite fallu près de 7 ans pour réussir à formaliser la vision.

Voilà, c'est fait. Ce livre est le résultat de mes études sur le terrain. Je publie à un moment que j'espère être le milieu de ma vie, le début de la quarantaine, pour passer à une nouvelle étape, la diffusion sous une forme digeste de cette approche globale. Elle me semble intéressante à tenter à large échelle.

Qu'y a-t-il de si nouveau dans Ecopol ? Pas grand chose, si on prend les morceaux individuellement. C'est le tout qui mérite de l'attention, comme si c'était la recette d'un nouveau cocktail, à goûter en parallèle à d'autres plus connus. Si j'avais eu ce livre dans les mains enfant, ou du moins adolescent, j'aurais probablement gagné un temps précieux. Bien sûr il est toujours intéressant de chercher par soi-même, mais la transition sociétale en cours nous rappelle que nous sommes dans un vaisseau qui manque de co-pilotes, d'équipes efficaces et sur la même longueur d'onde. Il n'est pas trop tard, ni pour moi, ni pour vous.

Le monde n'est pas malade, il enfante a dit un poète. Ce livre est une petite contribution à cet accouchement.

Théo.jpg