Smala visite des écolieux et s'en inspire

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Dans les actes 2 et 3, nous faisons un tour du monde des initiatives d'écolieux, pas seulement à partir de nos lectures, mais aussi et surtout à partir de nos expériences concrètes. Voici quelques exemples de lieux qui nous ont inspiré.

A Torri Superiore, en Italie, nous avons a vu à quel point le fait d’avoir des foyers indépendants pour les familles facilitait la dynamique communautaire. Cela permet de mieux apprécier la vie en communauté, de choisir et non pas subir la communauté. Nous y avons organisé plusieurs visites et immersions d'une semaine pour un partage de savoir-faire. Cette bâtisse de plus de cent cinquante pièces a été rénovée progressivement depuis les années 1990 par l'équipe de l'écolieu, composé d'une dizaine de familles qui y habitent. C'est à la fois une auberge pour touristes et voyageurs sensibles à l'écologie, un centre régional de formation et de conférences, un relais pour des fermiers bio du coin et un des piliers du réseau mondial des écovillages.

Nous avons vu qu’à Torri Superiore, les habitants participaient à la vie de la localité, par exemple en s’engageant comme pompiers, et qu'à ce titre, la communauté était bien intégrée dans la vie locale. Le fait de rendre service à sa région favorise une très bonne dynamique d’intégration d’un projet pionnier, permet qu'il soit accepté par les habitants dont le mode de vie est plus conservateur.

A Auroville en Inde, le plus grand lieu d’écologie profonde à notre connaissance, nous avons retenu plusieurs enseignements. Tout d'abord, l’indépendance législative et exécutive d’Auroville est un gros avantage. Les résidents peuvent y développer des projets en faisant leurs propres choix sur l’aménagement du territoire et sur le modèle économique, sans dépendre des autorités ni des règlement de l'état. Ils ont par exemple leur propre système de paiement, leur propre mode d'attribution des autorisations de générer des revenus. La propriété est partagée. Les habitants ont un droit d'utiliser les terres et les maisons, mais ne peuvent théoriquement pas les revendre. Si un aurovilien quitte définivement Auroville, il peut par contre négocier un remboursement des frais de travaux qu'il a mis dans sa maison.

La terre est grande : 10 kilomètre carrés. Elle a été entièrement reforestée, preuve que c'est possible. Par contre, il y a de très petites enclaves dont elle ne possède pas la gestion. Se situant dans l’état du tamil Nadu, des tamouls s’y entassent, sans intentions de comprendre ni participer à l'aventure d'Auroville. Ce choc culturel réduit la cohérence du projet, et freine quelque peu la bonne dynamique du lieu.

Toujours dans le domaine du plan général d'affection du lieu: dès les débuts, les habitants d'Auroville partaient du lieu central pour aller reforester à quelques kilomètres de là, pour quelques jours. Ils ont donc commencé à construire des huttes un peu partout, et ont transormé ces hutttes en habitats en dur. C'est en bonne partie à cause de cette dispersion qu'ils n’ont jamais réussi à mettre en oeuvre leur plan urbanistique initial. Ils se retrouvent avec un ver dans le fruit: il existe de nombreux hameaux, il n’y a pas un habitat dense et compact, plus cohérent pour un lieu durable. Ceci complique aussi la communication entre les auroviliens. Au niveau transports, vu les distances les Aurovilliens se déplacent passablement en moto, ce qui pollue pas mal, même si certains utilisent aussi le vélo. Ils ont manqué de fermeté au début sur l’urbanisation, et en paient aujourd’hui le prix. Néanmoins, au niveau micro-entreprise, multiculturalité et formation à de nouveaux mode de vie, c'est certainement un lieu très inspirant. Nombreux restaurants aux plats bio raffinés, ambiance de citoyenneté du monde, large panel d'option de stages, possibilité de visiter de nombreuses petites entreprises et y voir la diversité des produits artisanaux d'Auroville, et se rendre compte de la vigueur socio-économique du lieu. De telles immersions dans les réalités des auroviliens permet de ne pas se limiter à pendre position pour ou contre le Mathrimandir, le monument qui leur sert d'emblème spirituel. Il est possible de s'y concentrer sur l'essentiel : un lieu de vie porteur d'espoir, dès ses débuts, et aujourd'hui encore.

A Damanhur, en Italie, nous avons pu découvrir qu'il est possible de créer une dynamique de groupe suffisante pour que les habitants de la partie écolieu d’un village soient élus pour diriger l'exécutif de leur village. Ils peuvent ainsi présider aux destinées de la police communale, de l'aménagement du territoire communal, de l'application des règlements agricoles.... Et cette direction peut s'effectuer de manière consensuelle avec les citoyens de la commune qui n’ont pas fait le choix d’une vie écologique, et n'adhèrent pas à la fédération de Damanhur. Une approche mixte, collaborative, entre communautés intentionnelles et habitants individualistes s’avère tout à fait possible.

Parmi les autres surprises du lieu : un supermarché avec uniquement des produits bio locaux, et l’interdiction de la cigarette dans les lieux publics.

Nous avons enfin vu à Damanhur, ainsi que dans de nombreux écoliers notamment de sensibilité anthroposophique, que le fait d’accueillir et de servir des seniors, ou des personnes en situation de handicap permettait de générer un revenu honnête et utile à la société.

Dans le registre des lieux en friches, nous avons découvert Forte Petrazza en Sicile (Italie). Grand fort anciennement militaire, abandonné puis longtemps contrôlé par la mafia, il a été récupéré pour le mettre à disposition de nombreuses associations citoyennes. C’est devenu un merveilleux terreau pour faire refleurir des initiatives d'utilité publique mélangeant arts, appui à l'artisanat, services sociaux...

Dans la friche industrielle de La Belle de Mai à Marseille, on a pu constater l’importance d’avoir des incubateurs d'entreprises financées par les autorités publiques. Citons par exemple l’équipe de Marseille Innovation, qui accompagne les projets d’innovation et de créativité, que ce soit au niveau social, environnemental ou artistique, qui met les porteurs de projets en réseaux, et qui facilitent les espaces et les dynamiques de coopération.

En 1997, nous avons participé à l’expérience d’Artamis à Genève, une grande friche industrielle occupée par divers collectifs et artistes jusqu’en 2008 environ. Nous avons tenté d’y développer la coopération interne, sans grand succès. Cela a attiré notre attention sur le danger de cloisonnement progressif des artistes et artisans: il est remarquable à quel point, lorsqu’il n’y a pas de volonté de l’État ET des co-initiateurs de tels espaces de création, dès le début, de soutenir, d’incuber, et d’accompagner la qualité d’un lieu innovant, les utilisateurs des lieux peuvent vite devenir méfiants face à toute proposition constructive. Artamis nous semble finalement n’avoir favorisé qu’un environnement de provisoire qui dure, avec bien sûr quelques activités merveilleuses. Ce lieu, qui accueillait pourtant plusieurs centaines d'ateliers et quelques habitants, est resté près de quinze ans dans une dynamique peu conciliante, avec une forte tension entre usagers. Les erreurs initiales se sont avérées insurmontables. Elles ont démotivé les personnes venues pour y entreprendre pour le bien commun, qui se sont retiré en laissant la place à des personnes plus marginales, qui improvisaient au gré des situations, rendant plus difficile la réalisation d’un projets pionnier inspirant et emportant une large adhésion.

En 2006 nous avons fait un tour des écovillages du Brésil.

Notamment l'Ecocentro IPEC à Pirénopolis (état du Goiais). IPEC est probablement le principal incubateur d'écolieux au monde. Des volontaires du monde entier bénéficient du savoir-faire en permaculture dans sa globalité qu'ils y proposent : agriculture, élevage, écoconstruction, alimentation... Les initiateurs avaient préalablement eux aussi fait le tour du monde des écovillages, d'Australie en Europe, en passant par les Amériques. Ils en ont tiré une expertise unique au monde : celle de réussir à adapter les méthodes de construction et de gestion agricole écologiques à chaque région du grand Brésil. Pour chaque terre, qu'elle soit semi-aride, tempérée, sablonneuse ou amazonienne, ils avaient des solutions sur mesure. En moins de dix ans, leur équipe de bio-architectes a ainsi accompagné la création de plus de 500 écolotissements, avec toujours les matériaux locaux les plus appropriés et les techniques traditionnelles mises à jour. Chapeau bas pour eux mérité.

Près de Rio de Janeiro, nous avons visité Grauna, étonnante communauté gérée selon les principes de Krishna. Comme quoi il a y de tout partout.

Près de la ville de Salvador de Bahia, l’équipe de la fondation Terra Mirim nous a permis de voir avec bonheur qu'il est possible de connecter un écolieu à forte dynamique spirituelle (méditation, jeûne, accouchement dans la nature) avec des projets sur fonds publics pour le développement artistique et environnemental, notamment un espace culturel pour les jeunes du coin et un service de régénération des nappes phréatiques au vu de la proximité avec un important pôle industriel et pétro-chimique.

Puis nous avons découvert Piracanga dans l'état de Bahia. C'est un écovillage magnifique au bord de mer, créé par des passionnés de thérapies alternatives. C'est le seul lieu au monde, à notre connaissance, où plusieurs centaines de personnes du monde entier vivent avec une autonomie électrique à 100% (énergie solaire). C’est à un couple venu du Portugal et de Hollande qu’est dûe la création l’écolieu Piracanga. Leur expérience dans la gestion immobilière les a amenés à créer les conditions favorables pour qu'en moins de 10 ans, plus d'une centaine de maisons écologiques y soient construites, parsemées d'espaces de formation en pleine nature, avec le bruit des vagues, des chemins de sable parsemés d'orchidées... On y vit un rêve éveillé.

Des personnes du monde entier y viennent se ressourcer pour quelques mois et y apprennent beaucoup. Les activités y sont centrées sur le développement humain. La dimension économique permettant aux nouveaux arrivants d'y générer des revenus n'est pas encore très développée, et tout repose encore dans les mains des fondateurs, ce qui en a démotivé plus d'un à s'engager durablement.

Mais les résultats sont là : en 2013, entre 200 et 500 habitants y vivent pour quelques semaines à quelques mois, selon l'époque de l’année, avec un noyau d'une centaine de résidents à l'année. Dans cet environnement exceptionnel, des groupes y viennent chaque mois pour y suivre ou y organiser diverses formations plus ou moins ésotériques : reiki, lecture d'aura, construction de toilettes sèches, cuisine vegétalienne, permaculture agroforestière, désintoxication alimentaire, yoga...

Les fonds pour démarrer ces activités sont venus en bonne partie du découpage du grand terrain initial en petits lots. Ils ont été vendus à des personnes du monde entier souhaitant y construire une résidence plus ou moins secondaire. Cela a multiplié les possibilités de coopération, tout en générant des défis urbanistiques, de gouvernance et d'éthiques écologique, qui font débat.

Une communauté s'y développe progressivement, au gré des expériences. Nommée Inkiri, elle est dédiée à l'écologie communautaire. Elle est basée sur l'initiative volontaire et y teste divers modèles sociaux et économiques. Ces habitants à l'année y animent une partie des formations, y développent l'agriculture forestière, embellissent le lieu avec des mozaïques et peintures murales, organisent les activités festives...

Les fondateurs y ont notamment développé une démarche particulièrement intéressante pour les générations futures: un service d'accueil et de tutelle pour les enfants de la région délaissés par leur parents (pauvreté, drogues...). La tutelle est une formule intermédiaire entre l'orphelinat et l'internat. Les aspects administratifs sont plus simples que l'adoption, et les liens avec les parents biologiques restent possibles.

Avec tous ces enfants, les volontaires et la communauté naissante, on y trouve une école primaire et une université improvisée pour les 18-28 ans. Cette offre est complétée par une école hôtelière alternative, l’école de service, ouverte à toutes les personnes souhaitant s’immerger dans l'esprit du service à l'écologie communautaire (cuisine, accueil, entretien...) tout en développant leur spiritualité à leur manière.

C'est probablement le lieu sur terre que nous avons visité où la qualité de vie est la meilleure... pour ceux qui n'ont pas peur des moustiques, seul fléau de ce coin de paradis.

Nous avons aussi bien sûr visité des villes écologiques. Nous nous sommes immergés au sein de peuples premiers en Birmanie ou au Brésil. Mais rien ne nous a autant inspiré que les écovillages, car leur démarche est globale. Ils incluent tous les aspects de la coopération et de la cohabitation écologiques. Ils ont le courage de pratiquer une écologie sociale et économique, au-delà de la seule écologie technique symbolisée par recyclage et des énergies renouvelables. Ils ont un crédo qui nous parle : c'est en travaillant sur nos croyances que nous ferons évoluer nos pratiques. Les technologies ne sont qu'une petite part des solutions face aux défis actuels de l'humanité.

En prenant du recul, nous avons aussi constaté que l’écologie communautaire restait, par méconnaissance, liée à l'image des hippies (les préjugés ont la vie longue). Et ce n'est pas tout faux.

En visitant la plupart des écolieux et des communautés intentionnelles, nous avons aussi étudié le fonctionnement économique de ces lieux. Comment ont-ils démarré financièrement ? Quelle est la viabilité économique de ces lieux? C’est un aspect très important pour le large déploiement des écolieux. Or, il n’est que rarement traité. Alors que chez Smala, c'est un des trois piliers qu'on aborde formellement dans les groupes de travail, les réunions de direction... On donne accès aux documents financiers à tous les habitants qui ont vécu plus d’un an dans une maison, en leur offrant une formation pour bien comprendre ces documents.

Mais en visitant ces écolieux, nous avons également constaté que les fondateurs pensent souvent “soyons prudent”, notamment avec l’argument plus ou moins officiel qu’un écolier est, par essence, un lieu pionnier. Les fondateurs créent donc un cercle d'amis loyaux autour d'eux, pour assurer que le démarrage soit protégé des attaques excessives. Jusque là, rien de plus normal. Selon ce que l'on a pu voir dans divers lieux, le problème de la bonne gouvernance socio-économique démarre quand la structure qui possède les terres de l'écolieu et surtout qui anime le lieu est une entreprise privée (SA, Sàrl) et non pas une coopérative, une fondation ou association. Ce problème se renforce quand l'adhésion au groupe de dirigeant n'est pas codifié et règlementé. Si une personne expérimentée arrive dans un écolieu et, après quelques semaines, n'obtient aucune précision sur la manière de participer à la direction du lieu après un an ou deux, comment peut-elle être motivée à s'investir ? Ainsi, nous avons constaté que dans la plupart des grands écolieux, il n'y a pas de rotation des responsables, on est plus proche de l'oligarchie ou de la monarchie que de la démocratie participative.

Cela créée une dynamique simple : les gens viennent souvent dans les écolieux comme client d'un stage, ou comme volontaire pour y travailler pour les propriétaires. Les relations socio-économiques basées sur l'esprit d'entreprise et les revenus en fonction du mérite sont mises en second plan, les compétences en développement personnel ou technique (psychologie, thérapie alternatives, écoconstruction) sont bien plus valorisées que les compétences en développement des groupes (sociologie, anthropologie, management participatif, citoyenneté numérique...). En parallèle, le cercle plutôt fermé du pouvoir s'enrichit plus ou moins. Cette gestion fermée est souvent appliquée par les monarques du lieu dans le but relativement noble de préserver la communauté des soucis et du stress de la gestion financière, car les responsables sont aussi personnellement responsables en cas de problème financier.

Mais ce faisant, ce groupe fermé, gourou-s ou famille régnante, ne permet pas à tous ceux qui le méritent de connaitre la situation financière et de se sentir co-responsable de son évolution. Inversément, rares sont les personnes intéressées à se porter co-responsable des défis financiers de tels lieux. Donc le problème n'est pas simple à régler. Il est au coeur des enjeux de l'avenir des écolieux, selon nos expériences. Et c'est à cause de ce problème que les écolieux sont encore souvent perçus comme des “nids de hyppies”.

Dans les ruches créatives gérées par Smala, nous visons à intégrer les co-habitants comme co-responsables, mais uniquement après 6 à 18 mois d'essai de cohabitation. En parallèle, nous essayons d'avoir toujours les compétences disponibles pour incuber un projet de micro-entreprise d'un-e habitant-e en fonction de ses propres niveaux de compétences : lui fournir un espace et des outils, étudier le projet et poser les questions difficiles, aller à l'essentiel dans les étapes de formalisation administratives et légales, aider à l'établissement des contrats, négocier des retours sur investissement équitables, aider à réduire les coûts au début, mettre des assistants de projets bien formés à disposition... et au final lui demander de contribuer à incuber elle aussi les projets des prochains arrivants.

Smala essaie donc de soutenir la génération de revenus équitables par tous, dans des petits groupes de un à cinq collaborateurs. Pour cela, nous soutenons la création de micro-entreprises (on utilise le terme “incubateur”), avec un certain succès. Nous utilisons notamment Internet pour favoriser la collaboration en réseau, et sommes assez experts en la matière. C'est cette dimension nouvelle d'incubateur de micro-entreprises qui est le plus que nous pouvons apporter au mouvement des écolieux. C'est notamment cela qui a motivé la création d'Ecopol.

La dernière chose qu’on peut retenir est que, si les lieux comme Auroville, Findhorn, Damanhur ou Piracanga mettent beaucoup l’aspect spirituel en avant, on n’y a subit jamais de prosélytisme de type « Viens participer à tel rituel si tu veux être des nôtres» ou « Paie pour visiter un de nos monuments religieux ». Au contraire, la spiritualité y est pratiquée de manière plutôt modérée et relativement œcuménique. Ce n’est, loin de là, pas une chose mise en avant. Nous ne sommes pas dans une situation sectaire, ce qui nous a donc aussi motivés à porter un grand respect pour ces démarches, tout en restant constructivement critiques.