1984-1997 : MAD puis Tir Groupé, un état d'esprit

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Notions-clés: animation socioculturelle, création artistique,ruche, friche industrielle, association,bazar, interaction, richesse sociale, liberté d'expression, biodiversité culturelle, mixité, troc.

Profils-clés: MAD,Tir Groupé,Le Flon.


Les prémisses de la Smala commencent en 1984. Avec des amis, Mariette Glauser lance le Moulin à Danse, alias MAD, dans le quartier du Flon, à Lausanne. De 1984 à 1992, la friche industrielle du Flon émerge. Le MAD en est le cœur.

Centre alternatif sur 5 étages et 2 500 m2, club pour créatifs avec 2 000 membres, il mélange lofts d'artistes, cinéma décalé, salle de concert, pistes de danse, galerie d'art, bistro avec des lits à baldaquin, parloir sans musique, terrasse grunge, stand de prévention santé et spectacles de rue. Le clown Jango Edwards y donne des cours sur l'art du lâcher-prise. Une des premières démo d'internet y est présentée au public.

Le même soir, on peut y assister à une conférence sur l'avenir du cerveau par un neurochirurgien venu des USA, puis à une performance pour la fête annuelle du parti radical, puis à un film de Godard, puis à de la valse mixée par le DJ Phil Bernard à 2 heures du matin.

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On y récite des textes poétiques le dimanche avant le brunch et un workshop yoga, dans les décors du réalisme fantastique débridé du plasticien Antoine de la Rue. Les coordinateurs, le couple Monique et Pascal Duffard, ont un entregent exceptionnel. Ils savent mettre les gens à l'aise. Ils ont un don pour programmer des activités qui sont à la fois non conventionnelles et touchant un large public. Nous leur devons beaucoup.

Tandis que le maître du tango Astor Piazzolla [1] y donne un de ses derniers concerts, Théo y fait ses premières armes d’entrepreneur socioculturel en imaginant et mettant en scène des performances théâtrales participatives à tous les étages.

Pour la soirée Hôpital, des membres du MAD qui sont réellement dentistes font des contrôles dentaires sur la piste de danse jusqu'à 3 heures du matin, entre deux bières. Pour la soirée Sensation, nous fabriquons un étang dans lequel nage des femmes-grenouilles, nous rappons avec des poules dans les bras. C'est un esprit dadaïste, mais aussi scientifique et humaniste.

Fin 1990, dans l'entrepôt voisin, nous cocréons l'Atelier 37, un grand loft d'artistes. Nous y initions Tir Groupé, à la base agence d'artistes indépendants. Parmi les créatifs ayant participé à cette première ruche créative :

Dynamike[2] et Thierry Romanens [3], deux musiciens-producteurs bien connus des ondes radio romandes, dont l'indépendance de ton et la pluridisciplinarité sont restées intactes ;

Eric Mathyer et Solstice Denervaud, pionniers inspirants du centre socioculturel de la Cité, du festival des Voix Sacrées, des premiers clowns d'hôpitaux en Romandie, personnalités toujours à l'avant-garde et dont nous avons toujours salué l'inspiration initiale ;

Les photographes Mario del Curto[4] et Valdemar Verissimo[5] , parrainés par le grand humaniste Charles-Henri Favrod [6], vite rejoints par le journaliste Serge Michel[7], ou encore feu Jacques Zeller, gastro-physicien et figure anarchiste régionale.

Nous créons et diffusons le premier plan de ce FLON devenu quartier créatif, pour le mettre en valeur.
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Extrait de l'article « A Lausanne, renaissance culturelle d’un quartier d’entrepôts », par Denis Leumick, quotidien L'Impartial, avril 1992.


« Si l’on était au Flon, c’était pour un rendez-vous. Théo Bondolfi, de l’agence Tir Groupé ‒ qui conçoit, gère et réalise des créations artistiques et culturelles traitant de photographies et de mises en scène ‒ organisait une visite des lieux pour la presse. L’occasion de faire le point de visu sur la vie toujours plus diversifiée du Flon, de découvrir les innombrables ressources qu’offrent à ce jour les entrepôts devenus lofts et leur histoire.

« Situé au cœur de Lausanne, Le Flon est le lieu « dans l’vent ». Quartier d’entrepôts de fruits et légumes, de matériel, d’industries, jusque vers les années 1930, il n’avait plus pour destinée que l’enlisement. Aujourd’hui, c’est la fête. Dans le vigoureux rythme architectural du quartier, les entrepôts ont trouvé leurs plus belles solutions actuelles. Galeries d’art, artisans, ateliers de photographie, productions ciné, librairies, centres de culture et de loisirs, écoles d’arts, de jazz, bistrots, s’y partagent l’espace.   «L’occupation du quartier pour des activités à vocation culturelle est géniale. Ce qui se passe là correspond à un besoin. (…) L’artisanat trouve dans ce quartier les moyens de vivre.(…) D’une certaine manière, le quartier leur appartient, ils ont fait la nique, la guerre à la décrépitude, à l’abandon général qui avait porté le quartier vers la mort et qui ressuscite grâce à l’imagination, aux galeries, aux activités artisanales, à la musique, aux écoles. Peu à peu, le Flon représente un entité culturelle de valeur, tout en conservant une identité individuelle à chaque activité. »

Le MAD deviendra ensuite mondialement connu, mais sous sa forme commerciale de discothèque[8], dont le souffle alternatif initial s'est dispersé ailleurs à Lausanne, et a tant inspiré la Smala.


1993 : création officielle de l'association Tir Groupé

Comme le MAD perd quelque peu son esprit transdisciplinaire, Mariette quitte la présidence. Théo trouve de nouveaux locaux, un immeuble du XIIIe siècle au cœur de la vieille ville de Lausanne, ancien site du désormais fameux centre socioculturel « Pôle Sud »[9].

Le 8 mai 1993, réunis dans le grenier tout poussiéreux, une trentaine de pionniers valident la métamorphose de l'agence-fantôme Tir Groupé en association à but non lucratif. Nous ne ménageons pas nos efforts pour lui donner corps, et le succès est immédiat.

Extraits de ce qu'en écrit Gilbert Salem[10], journaliste du quotidien 24 Heures, en mars 1994 :
« Tout a déjà été dit. Tout a déjà été fait. La pureté ne réside plus dans l’unique mais dans le mélange, la redéfinition et l’actualisation de la pensée et de l’action. C’est le métissage. Très imprégnée de cette nouvelle maxime philosophique, l’association Tir Groupé, qui regroupe à Lausanne une cinquantaine de jeunes artistes et intellectuels, occupe un vaste espace dédaléen qui tient tout à la fois de la galerie d’art, du loft et du grenier de grand-maman.

« Ce Labyrinthe se répartit sur deux étages et 32 pièces reliées par des corridors tortueux qu’il a fallu déblayer, récurer, repeindre et réaménager. Un véritable nettoyage des écuries d’Augias auquel les nombreux membres (les membraves) et sympathisants (les membrouilles) de l’association se sont exténués en dépensant plus de 10 000 heures de travail bénévole.

« De salle en salle, de chambrette en vestibule et d’étage en étage, la configuration des lieux se modifie au gré de l’errance du visiteur. Certains locaux, des espaces chics d’exposition de photos ; des laboratoires, des bibliothèques. D’autres ressemblent à la chambre d’étudiant un brin (artistiquement) négligé, tiennent du loft new-yorkais ou encore des “couloirs hantés” de la maison de Frankenstein à Luna Park[11]. Sous un magnifique toit en poutre datant de la Renaissance, l’espace Rencontre compose un amalgame de décors délicieusement dépareillés. C’est là que les visiteurs viennent se délasser, se rafraîchir le gosier et que des groupes de musiciens peuvent se produire. L’objectif de Tir Groupé est également de ne jamais étouffer leurs convives par une surdose sonore (ici on peut parler, converser, c’est ce qu’il y a de plus important). Ni par une homogénéité artistique, ni par quelque autre forme d’absolu que ce soit.

« Entre autres bonnes choses, Tir Groupé offre des services de gestion et de diffusion de réalisations artistiques. Un point de chute pouvant servir d’intermédiaire culturel où chacun prend son projet en main en utilisant l’infrastructure de l’association (conseils, contacts, matériels, locaux). »

Et en mai 1994 : « En un an, la très dynamique équipe lausannoise de Tir Groupé a créé 10 expositions collectives, invité plus de 400 artistes, organisé une trentaine de soirées à thème ainsi que cinq stages. Plus de 20 000 personnes ont visité le Labyrinthe, leur loft mystérieux et charmeur. De plus en plus engoués par leur vocation philosophique et sociale, qui est de “faire entrer le métissage” dans les mœurs, les membres de Tir Groupé ont toujours de l’énergie et de l’intelligence à revendre. Dès 21 heures, le Labyrinthe organise une “Expo en pyjama, avec possibilité de dormir sur place (apporter son ours en peluche et sa brosse à dents).” »

Dès 1994, nous signons un contrat de bail à la Place du Château, ancienne école de Chimie, dans une grande salle réhabilitée par la styliste Patricia Pennachio, cofondatrice de Tir Groupé. Le contrat de bail au labyrinthe étant précaire, nous sommes prêts à rebondir.

Humainement, Tir Groupé s’enrichit progressivement de nouveaux partenaires importants et de nouvelles personnalités fortes, dont Céline Hornemann (médecine douce), Marie-Jane Berchten (arts & société), Joanna Raphael (anciennement Théâtre 11, chants et arts divers), Jérôme Knobl (administration et informatique), ainsi que nos amis indéfectibles du Picnic de la Palud, une autre initiative humaniste originale.

Parmi les stars internationales, citons le photographe René Burri. Il y expose ses photos de Che Guevara et y dort avec son nouveau-né Léon, durant l'événement Dia Nights de 1994 organisé en partenariat avec le Musée de l'Elysée pour la photographie.

Histoires vraies du labyrinthe de Tir Groupé :

Nous avions créé le SAPOT, ou Système d'Achat Progressif des Œuvres Tir Groupé. Autocollants vendus 10 chf, ils étaient collés par les membres sur leur carte de fidélité. Une fois pleine, ils pouvaient l'échanger contre l’œuvre de leur choix. Pour les remercier de faire l'effort de coller l'autocollant, nous leur offrions gratuitement un verre. Ainsi pas de vente de boisson, pas besoin de patente ; c'était vernissage tous les vendredis, et finissage tous les samedis. Et dire que la régie fédérale des alcools avait ses bureaux en bas du même immeuble...

Si nous ne trouvions pas de fonds pour mener à bien les projets (expo, concert), nous tapions dans le fonds de solidarité des membres, et mettions un logo de soutien spécialement créé pour les saluer : « sponsorisé par l'orifice des faillites ».

Pour éveiller les consciences sans moraliser, nous avions une offre de cocktail à un franc, le cocktail « grobidon ». Les nouveaux arrivants demandaient parfois ce que c'était, nous sortions le gros bidon où nous versions les restes de boissons, nous le versions devant eux sur le bar et nous éteignions une clope dedans. Après, ils préféraient passer au jus d'orange. Mission accomplie.

Autre idée, la clope à prix hasardeux. Pour décourager les fumeurs, Jérôme notre informaticien en chef avait programmé un système pour que les prix des paquets de cigarettes soient générés aléatoirement chaque 15 minutes. Les tarifs grimpaient d'un coup à 22 balles, redescendaient au moment où il n'y avait plus personne. Nous avons ainsi plus ou moins réussi à limiter la clope dans le grenier.

Le grenier encore : été 1995, le directeur des gérances de Lausanne reçoit notre invitation à l'inauguration du « grenier décapotable ». Il nous envoie un collaborateur pour faire des photos de la capote. Nous avions simplement enlevé les tuiles pour l'été, et mis une bâche, pour rafraîchir un peu l'atmosphère. Au titre de propriétaire, la syndique (maire) de la ville de Lausanne nous somme, par courrier, de « procéder à la fermeture de l'ouverture ». Nous nous exécutons…

Notes et références