Les médias sociaux éthiques
réseaux sociaux, Facebook, Linkedin, Big Brother, bases de données, information, vie privée, privatisation, éthique
Sommaire
Réseaux sociaux : pourquoi?... ou plutôt comment ?[1]
En 2011, plus de 50 % de la population mondiale a moins de 30 ans. Et selon Eric Qualman, dont l’ouvrage Socialnomics est une des références intéressantes en la matière, 96 % des 25 à 30 ans ont déjà rejoint un média social. Aussi appelé réseaux sociaux, social networks ou communautés virtuelles, leur point commun est que ce sont des plates-formes Web qui offrent des services de relation sociale et de diffusion d'informations, à usage personnel et/ou professionnel.
Qu’ils enjambent les continents (Facebook, LinkedIn, Google+), irriguent une région spécifique (Viadeo, Xing, Rezonance) ou canalisent des centres d'intérêt thématiques (carrière, banques d'images, amitiés, liens familiaux...), les médias sociaux reflètent, accueillent et amplifient la plupart des changements sociaux contemporains. Ils se sont notamment trouvés au cœur des révolutions dites de jasmin, qui ont commencé à bouleverser le monde arabe. Ils ont aussi, en peu de temps, détrôné la pornographie comme principal centre d'intérêt des utilisateurs d’Internet. Les pionniers de la communication sociale, tels qu’Eric Qualman, assurent même aujourd’hui que la question n'est pas de savoir si et pourquoi il est nécessaire de s'engager dans les médias sociaux, mais comment...
Au travail, en formation, en famille, quelles sont les clés à posséder pour en faire le meilleur usage ? Comme à chaque surgissement d’un nouveau média, nouvelles opportunités et nouveaux risques se côtoient. Par exemple, ainsi que le montre le schéma accessible par le lien ci-dessous, le leader du secteur, Facebook, n'a aucun scrupule à modifier régulièrement ses conditions d'usage, de façon à livrer en place publique toutes les informations relatives à ses utilisateurs.
La fin de la vie privée ?
En 2005, sur Facebook, pour autoriser le libre accès à une information d’ordre privé, il fallait avoir recours à une procédure spécifique. En 2011, c’est le contraire : par défaut, tout est public. Si l’utilisateur souhaite conserver à une partie de ses informations leur caractère privé, il doit faire l'effort de changer les préférences de son compte. Mais, même s’il supprime son compte, ses données seront conservées ! Elles alimenteront en l’occurrence la « banque de comportements humains » désormais administrée, de façon très privée, elle, par les responsables des réseaux sociaux. On lira à ce propos l’ouvrage édifiant de Francis Pisani et Dominique Piotet, Comment le Web change le monde, dont voici un extrait adapté[2] :
« Cela va si loin qu'Eric Schmidt, le directeur de Google, a laissé entendre, après d'autres, que la vie privée, c'était terminé. Même son de cloche chez Facebook, leader incontesté du domaine des réseaux sociaux, avec plus de 500 millions d'utilisateurs en 2011. Chaque changement des règles de fonctionnement y réduit les libertés privées. Les conditions générales d'utilisation stipulent que les utilisateurs acceptent d'abandonner leurs droits de transférer leurs données sur un autre réseau social, de migrer. Ils sont captifs. Fin 2010, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, a dû reconnaître l’existence des problèmes de protection de la vie privée, sans véritablement proposer de solution. Résultat : à la suite du Quit Facebook Day (campagne mondiale pour quitter Facebook) du 31 mai 2010, aux États-Unis le nombre de nouveaux adhérents au réseau est brutalement passé de 8 millions (mai) à 320 000 (juin). »
Dans un tel contexte, il est de plus en plus difficile de définir des limites entre vies privée et socioprofessionnelle. CV, photos, statuts, coordonnées, activités : doit-on se montrer prudent ou se livrer ouvertement? La réponse peut sembler évidente mais, dans une recherche de vitalité tant économique que citoyenne, il faut la formuler autrement : à qui profite le réseau ? L'utilisation de ce réseau social sert-il les intérêts de la société ou ceux de ses éditeurs ?
La privatisation de la société ?
La mise à nu obligée est lourde de dérives, on l’a compris. Mais cette menace en cache d’autres, probablement plus graves encore. Parmi elles, le passage du GGG en mains privées. GGG, ou Global Giant Graph[3], tel que l’a baptisé (!!!) le découvreur du Web lui-même, Tim Berners-Lee, représente une nouvelle étape dans le développement d’Internet : l'attention n'y est plus focalisée sur l'information en réseau mais sur la vision globale des centres d'intérêt de l'humanité désormais offerte aux opérateurs indiscrets. La « carte » ainsi disponible est un instrument extraordinaire pour qui souhaite influencer l'opinion publique à tous les niveaux – commercial, bien sûr, mais aussi politique, éducatif, moral.
Les détenteurs de cette carte décisive sont ceux à qui l’internaute inconscient des risques collectifs encourus confie aveuglément ses données personnelles. Il accepte ainsi que ces dernières soient non seulement revendues mais également analysées dans le moindre détail par des observateurs très intéressés. Le « Big Brother » imaginé par George Orwell dans 1984 n’est plus une créature littéraire. On se rassurera en songeant que la situation, dans le monde numérique, ne reste jamais longtemps figée. Bill Gates lui-même le constatait, dans les années 1990, quand il se trouvait confronté à l'émergence des logiciels libres et de la culture de citoyenneté numérique : le concurrent de demain est déjà à l'œuvre, dans son garage, et rien ne l'empêchera de détrôner ses prédécesseurs. Le nouveau concurrent possible, dans ce Web qui se transforme en GGG, rassemblera tous les internautes, s’ils prennent conscience de leur responsabilité collective dans la préservation du savoir parmi les biens communs, au même titre que l'air et l'eau.
Apprendre par l'action, encore et toujours
Il existe d’ores et déjà de multiples indices qui laissent entrevoir cette réponse collective et éthique. La centralisation d’informations dans une base de données unique, comme celles de Google, Facebook ou Twitter, est de toute façon incompatible avec la nature même du numérique, fondamentalement décentralisé. Il est plus que probable que nous allons progressivement assister à l'interconnexion de réseaux sociaux « éthiques » respectant la vie privée des utilisateurs et favorisant leur « conscientisation » : les consom'acteurs sont de plus en plus nombreux à s'engager dans cette culture numérique active – même si le « principe du 1 % » développé par Will Hill reste encore (provisoirement ?) valide ; d’après Hill, une part infime des utilisateurs d’Internet y contribue de façon proactive, 9 % participent occasionnellement de façon opportuniste et 90 % des internautes ne contribuent jamais.[4]
Cette notion d'engagement individuel, de contribution et de mérite, de vigilance par la force de proposition, est la clé d’un meilleur usage des réseaux sociaux. Elle sert les intérêts de l'économie locale et la vitalité démocratique, au-delà des clivages politiques ou sociaux. Pour favoriser cet engagement, la recette n'a pas changé : formation à l'esprit critique, encouragement aux visions à long terme, au-delà des peurs, des incertitudes et des doutes. Les réseaux sociaux, comme la cuisine japonaise ou la conduite à gauche, ne peuvent s'apprendre que par l'action.
Quelques médias sociaux éthiques
Ils existent. Ils ne sont pas parfaits, car l'éthique se cultive, s’entretient, ne tombe pas du ciel. La fondation d'intérêt public Wikimedia, qui gère Wikipédia, est le modèle le plus souvent cité en la matière – à juste titre. Au-delà de la seule encyclopédie, Wikimedia rassemble des dizaines de projets de numérisation de la culture mondiale (avec notamment la coopération de musées et d’institutions éducatives), menés par des millions de contributeurs, dont seulement une centaine de milliers de pionniers réellement impliqués. La fondation possède ses codes de conduites, ses forums, ses profils d'auteurs, ses traces de contributions, ses clubs et rencontres locales et globales en chair et en os qui tous concourent à construire un monde synergique. Il existe également de nombreux médias sociaux thématiques, qui constituent ce que l'on surnomme la longue traîne : la somme des petits réseaux sociaux de quelques milliers ou millions d'utilisateurs est égale, voire supérieure, à la somme des quelques leaders du domaine (aujourd'hui Facebook, Google+, Orkut, LinkedIn). Ainsi des projets comme Diaspora (États-Unis) ou certains petits réseaux francophones[5], communautés virtuelles animées depuis 1998 par la fondation Ynternet.org, proposent des réseaux sociaux qui respectent la vie privée de leurs utilisateurs et évitent la concentration des pouvoirs ou la publicité intrusive. Ces réseaux se concentrent sur des services loyaux d'hébergement de sites personnels et de groupes, sans vices cachés. On pourra consulter ici une première liste de ces petits réseaux[6]. À terme, ils pourraient s'interconnecter et former un réseau décentralisé susceptible, au-delà de son intérêt immédiat, de participer à l’émergence d’une nouvelle forme de confiance envers le monde du travail, la formation ou la famille. Cette interconnexion, sur le plan technique, est tout à fait réalisable. Le temps dira si elle est socialement nécessaire.
Notes et références
- ↑ http://mattmckeon.com/facebook-privacy/
- ↑ Pages 48-51, référence ISBN: 978-2-7440-6448-7
- ↑ http://dig.csail.mit.edu/breadcrumbs/node/215 Décrit
- ↑ http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_du_1_%25
- ↑ http://www.cooperation.net Cooperation.net et http://www.zen3.net Zen3
- ↑ http://www.developpementdurable.com/economie/2011/04/A5920/la-nouvelle-vague-des-reseaux-sociaux-ethiques-et-solidaires.html disponible ici