Slow life, Buen vivir, objecteurs de croissance et autres colibris...
Notions clés:sobriété heureuse,simplicité volontaire,Pierre Rabhi, décroissance,gestion du temps, richesse sociale,Slow life,Buen vivir, autosuffisance,société conviviale, épicurisme,bien-être social.
Combien de personnes dans votre entourage voudraient mettre la pédale douce sur le travail et se concentrer sur d'autres activités ? Par exemple avoir plus de temps pour élever les enfants, développer des projets créatifs, s'engager dans une communauté locale, cultiver son potager... Elles sont certainement nombreuses à aspirer à un mode de vie sans surconsommation. Vous connaissez aussi sûrement des personnes qui ont déjà fait le grand saut et "changé de vie".
« Mis en demeure de choisir entre les miettes du salariat précaire et la maigre aumône que dispense encore le système, certains désertent la société de consommation pour se réapproprier leur vie. Ni exploitation, ni assistanat ! clament-ils pour la plupart. Ils ont choisi une autre voie, celle de l'autonomie, de l'activité choisie et des pratiques solidaires... ». Cette phrase est extraite du film No Volem rien foutre al païs (nous ne voulons rien foutre au pays), un documentaire français sorti en 2007[1], qui relate des expériences de vie relatives pour la plupart au mouvement décroissant. Certes, l'idée du « rien foutre » marque une critique politique du travail salarié, mais le documentaire présente surtout au fond des gens plutôt imaginatifs et créatifs face à leurs choix de vie.
Lorsque la télévision nous parle de taux de chômage de l'ordre de 20% dans certains pays, croyez-vous que toutes ces personnes soient inactives et malheureuses ? Ce que ne disent pas les statistiques, c'est que bon nombre d'entre elles cultivent un art de vivre qui crée de la richesse sociale (partage, entraide, collaborations diverses). Mais cela ne rentre pas dans le produit national brut (PNB) de leur pays...
Pour être heureux ou pour gagner sa vie, faut-il vraiment s'agiter dans tous les sens ? Pas forcément, assurent les promoteurs d'une vie plus douce, à l'écoute des rythmes de la nature. Plutôt que de courir après la petite aiguille, divers mouvements nous invitent à reconsidérer notre rapport au temps, considérablement bouleversé par la modernité.
Rien ne sert de courir, il faut partir à temps, nous dit la fable de La Fontaine Le lièvre et la tortue. Cette maxime reste d'actualité, surtout avec l'arrivée des technologies modernes : pétrole, nucléaire, électricité, téléphones portables, ordinateurs ont décuplé nos capacités de bouger, de produire, de consommer. Ce rythme de vie trépidant, cette dictature de l'immédiat, provoque stress et nervosité chez la majorité des gens. Cela épuise aussi notre planète... A partir des années 70, les premières sonnettes d'alarme ont commencé à retentir :
« Les ressources sont limitées ! »
« La pollution est excessive ! »
« Il faut mettre un frein ! »
C'est ainsi qu'a été remise au goût du jour la philosophie de vie de la lenteur.
Sommaire
Pour vivre heureux, vivons lentement !
Généralement, la lenteur est associée à des valeurs négatives : la maladresse, le désintérêt, l'ennui, la faible productivité... Or, on l'oublie parfois, cette attitude peut aussi refléter une allure tranquille, sereine, décontractée. Nous savons tous que les décisions importantes ne doivent pas être prises au hasard, sous le coup de l'impulsion. De même, mener plusieurs activités à la fois dans la précipitation s'avère souvent contre-productif... Inversement, l'inactivité n'est pas toujours synonyme de vide et de perte de temps. L'attitude contemplative nous intègre à notre environnement et permet parfois l'apparition de brillantes idées.
Les acteurs du Slow Living sont de plus en plus nombreux à décrocher du "fast" (rapide) et à ériger la lenteur en valeur philosophique. Ce mouvement a pris racine en Italie avec le courant Slow Food (par opposition au fast food). Les motivations d'adhésion sont variées. Pour certains, le Slow fait partie d'une quête spirituelle, pour d'autres il s'agit surtout de préserver sa santé ou d'avoir plus de temps à accorder à sa famille. Enfin, nombreux considèrent cela comme une base pour la pratique quotidienne de l'écologie. Le point commun des adeptes du Slow : ne pas perdre sa vie à la gagner...
Fort de son succès auprès d'un large public, le mouvement Slow fait tâche d'huile et gagne de nombreux pans de la vie quotidienne :
- Slow Food (l'alimentation)
- Slow Money (l'investissement durable)
- Cittaslow, ou Slow Cities (le mouvement des villes lentes)
- Slow design (la décoration)
- Slow Media (l'information)
- Slow Parenting (l'éducation)
- Slow Fashion/ Slow Clothing (la mode et l'habillement)
- Slow Gardening (le jardinage)
- Slow Art (les arts)
- Slow Travel (les voyages)
- Slow School (l'école)
Le saviez-vous ?
Festina lente est un adage latin signifiant « Hâte-toi lentement ». Pas étonnant que le pays de Rome ait été un des pionniers du Slow... Il s'agit de restaurer notre horloge interne dans un seul but : profiter de l'instant présent (le Graal du bonheur pour de nombreuses philosophies)
Cette expression célèbre est aussi la devise de l'entreprise d'horlogerie suisse qui a donné naissance à la marque Festina. Le poète français Boileau applique cet adage au travail de l'écrivain (dans son Art Poétique) : « Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. »
La Fontaine dit de la tortue, dans Le Lièvre et la Tortue, qu'« elle se hâte avec lenteur », encore une allusion à cette maxime latine qui a de beaux jours devant elle...
La sobriété heureuse
Proche du Slow, la simplicité volontaire ou sobriété heureuse est un mode de vie consistant à réduire volontairement sa consommation, ainsi que son impact, en vue de mener une vie davantage centrée sur des valeurs définies comme « essentielles ». Le concept de la sobriété heureuse a été popularisé en France par le penseur Pierre Rabhi, auteur du livre Vers une sobriété heureuse (Acte Sud, 2010). « Le modèle de société actuel incite tout le monde à être insatiable, c'est-à-dire à n'être jamais satisfait (...). L'auto-limitation, la sobriété, la puissance de la modération... Ça c'est réaliste », nous dit le paysan philosophe. Pierre Rabhi a créé en 2007 le Mouvement pour la Terre et l'Humanisme, appelé ensuite Mouvement Colibris[2], dont la mission est d'aider chacun à construire, à son échelle, de nouveaux modèles de société fondés sur l’autonomie, l’écologie et l’humanisme. L'idée est que tout individu assume sa part de responsabilité sur cette planète.
Colibris tire son nom d’une légende amérindienne, racontée par Pierre Rabhi :
Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! Et le colibri lui répondit :« Je le sais, mais je fais ma part. »
En d'autres termes, ce n'est pas parce que la majorité des habitants ou dirigeants fait l'autruche face aux problèmes environnementaux que l'on doit se décourager et ne rien faire...
La simplicité volontaire a des sources chez différentes formes d'ascétisme de l'antiquité, chez les stoïciens, les cyniques, et surtout chez les épicuriens. En effet, Épicure procède à une critique approfondie des besoins humains. Sa pensée, ainsi que celle des cyniques, nous invite à discerner le nécessaire du superflu, le naturel de l'artificiel. Plus près de nous, les communautés monastiques furent les premières organisations à choisir volontairement la frugalité et à pratiquer l'autosuffisance.
La décroissance soutenable, moteur d'une société responsable
Le mouvement de la décroissance fait partie de ces mouvements qui invitent à ralentir le rythme à tous les niveaux. Il ne s'agit pas d'une décroissance du développement humain, mais une décroissance de la consommation et de la production. L'objectif, là encore, reste l'amélioration de la qualité de vie à travers la promotion d'une société durable. Ceux qui s'en réclament sont souvent nommés "objecteurs de croissance", pour marquer le fait qu'ils sont en porte-à-faux avec le dogme de la croissance qui est le fil rouge des politiques au pouvoir tant à droite qu'à gauche, puisque même les socialistes au pouvoir ne proposent que des programmes de croissance, tout en distinguant simplement les méthodes pour assurer cette croissance. Consommer moins ne signifie pas se serrer totalement la ceinture mais organiser l'usage des ressources de manière appropriée.
Le concept de la décroissance gagne du terrain, même dans les lieux où l'on s'y attendrait le moins, comme à l'école Centrale, en France, temple de la productivité industrielle[3] :
« Non, un véhicule, même électrique, n'est jamais propre ! ». « Non, un téléphone portable n'est pas écologique, même si sa coque est en fibre de bambou ! ». « Qui peut croire qu'une taxe écologique sur quelques produits électroniques compense les dégâts environnementaux de leur production ? »... Ces propos sont tirés d'un rapport scientifique Quel futur pour les métaux?[4], écrit par un groupe d'ingénieurs de l'association des centraliens sous la direction de Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon (Ed. EDP Sciences, 300 pages). Les métaux, ressources minérales naturelles non renouvelables, sont à la base de notre civilisation industrielle. Moins médiatique que le changement climatique ou les enjeux énergétiques, leur raréfaction est pourtant un des défis majeurs du siècle. Non seulement notre modèle de développement, qui repose sur la croissance économique et un accroissement continu du prélèvement des ressources, se heurte à la finitude de la planète, mais le recyclage du métal est limité par la nature dispersive des usages comme dans la peinture, les encres ou les cosmétiques. On est bien loin d'une économie « circulaire » où rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme...
Le Buen vivir
Le mouvement Buen vivir (bien vivre) qui a émergé en Amérique du Sud, est très proche de la sobriété heureuse. Ce courant correspond bien aux pays qui ont gardé un fort contact avec la nature mais où la modernité et les technologies sont en passe de prendre le dessus sur les pratiques traditionnelles.
« Ce concept, d’abord porté par les mouvements indigènes et écologistes en Équateur ainsi que par d’autres organisations sociales, a été repris par le gouvernement de Rafael Correa (Equateur), notamment pour rebaptiser le plan de développement, le « Plan National pour le Buen Vivir », rappelle Alberto Acosta, théoricien du Buen vivir[5]. C’est un concept qui est une traduction métisse du Sumak Kawsay venant des différentes cultures indigènes, surtout andines. Mais il reprend aussi des propositions nées en Europe dans les années 1960 comme la critique du productivisme, du développement, etc. On retrouve ce concept de Buen Vivir en Bolivie avec le Sumak Qamaña sur lequel s’appuie Evo Morales. L’enjeu avec le Buen Vivir n’est pas simplement une production croissante et permanente de biens matériels, mais la satisfaction des besoins fondamentaux des êtres humains, en vivant en harmonie avec la nature. Partant, le Buen Vivir a une transcendance plus grande que la seule satisfaction des besoins et l’accès aux services et biens matériels. »
« Il implique aussi un nouveau modèle de civilisation dans lequel l’oisiveté aurait une place importante tout comme des choses qui n’ont pas de prix, par exemple les sentiments, commente le chercheur Matthieu le Quang[6]. La société du Buen Vivir a pour fin le bonheur de l’être humain. Ce bonheur ne correspond pas à la recherche de la richesse et de la croissance, mais vise à améliorer les relations entre les êtres humains et la nature. Et tout cela dans une démocratie qui soit à la fois représentative, participative et directe qui recherche l’unité dans la diversité, la solidarité et une meilleure coopération entre les personnes.» Vaste programme !
De la convivialité
«La liberté et l’équité resteront lettres mortes dans une société organisée autour de l’automobile et de l’école, qui met l’économie au centre de la vie sociale. Pour en finir avec les pénuries cycliques nées de l’avarice, de l’incompétence et des dégâts causés par la croissance économique, il convient de réduire l’économie formelle et de permettre le développement de sphères de subsistance autonomes. En remettant la politique et l’éthique, auxquelles l’activité économique doit être soumise, au centre de la vie sociale, on remplacera l’obsession de la croissance économique par une société conviviale qui garantira à chacun le libre accès aux outils de la communauté dans le respect de la liberté des autres.»
Extrait du Manifeste souscrit le 5 décembre 2007 par des participants au colloque La convivencialidad en la era de los sistemas, organisé à Cuernavaca (Mexique) en l’honneur d’Ivan Illich à l’occasion du cinquième anniversaire de sa mort.
Notes et références
- ↑ De Pierre Carles, Christophe Coello et Stéphane Goxe. Voir le site : www.rienfoutre.org.
- ↑ Mouvement Colibris : http://www.colibris-lemouvement.org/colibris/colibris-et-la-legende
- ↑ L'École Centrale des Arts et Manufactures est une grande école d’ingénieurs française située à Châtenay-Malabry, en région parisienne. Elle forme notamment des ingénieurs généralistes (appelés aussi ingénieurs centraliens) destinés principalement aux entreprises. Elle possède un centre de recherches de plus de 400 personnes.
- ↑ Quel futur pour les métaux? : http://www.edition-sciences.com/quel-futur-pour-metaux.htm
- ↑ Dans l'article Le buen vivir contre le bien-être, paru dans le Sarkophage.
- ↑ Voir note ci-dessus.