La neutralité des réseaux : Différence entre versions

De Wiki ECOPOL
(Internet : base commune neutre pour toutes les initiatives)
(Sources iconographiques)
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http://onlinemba.com.s3.amazonaws.com/net-neutrality.jpg
 
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== Version en ligne ==
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=== La première guerre du Net est déclarée ===
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''Article paru dans le Courrier international, n° 1050 (du 16 au 21 décembre 2010)''
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Une partie de la communauté des hackers se mobilise pour contrecarrer l'interventionnisme des autorités, qu'ils jugent dangereux. Et tous les coups sont permis.
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Cible : www.visa.com : feu feu feu !!'." ordonnait Opération Payback [Opération représailles] sur Twitter le 8 décembre. Moins de trois minutes plus tard, le serveur de Visa était indisponible. Le même phénomène s'est reproduit pour les sites Internet de Mastercard et de PostFinance, la banque suisse qui avait gelé le compte du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Les sites du parquet suédois et du sénateur américain Joseph Liebermann ont également été attaqués.
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Cinquante minutes après l'offensive lancée contre Visa, l'Opération représailles était lancée sur Facebook. Ceux qui pensaient que le terme "cyberguerre" n'était qu'une métaphore inoffensive ont beaucoup appris au cours de la semaine passée. WikiLeaks ayant été quasiment fermé, les hackers ont répondu en attaquant les sociétés qui l'avaient mis hors service. Le terme de "guerre informatique" décrit bien la réalité. "La première guerre de l'information a maintenant commencé. WikiLeaks est le champ de bataille. Vous en êtes les troupes", écrit le pionnier d'Internet John Perry Barlow sur Twitter. C'est lui qui, dans les années 1990, avait rédigé ce qui est désormais connu comme la déclaration d'indépendance d'Internet : "Gouvernements du monde industrialisé, géants fatigués de chair et d'acier, je viens du cyberespace, nouvelle demeure de l'esprit. Au nom de l'avenir, je vous demande, à vous qui appartenez au passé, de nous laisser tranquilles. Vous n'êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n'avez aucun droit de souveraineté là où nous nous rencontrons."
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Le document est devenu le symbole d'une époque dans l'histoire anarchique d'Internet et la référence au droit de souveraineté n'était pas qu'un postulat. Si l'on veut comprendre ce que signifie la "liberté d'Internet", il faut savoir que, par son architecture même, Internet est conçu de telle sorte que personne ne sait ce qui circule dans les câbles. Pourquoi, malgré des campagnes intenses, n'a-t-on pas pu faire cesser le piratage de musique et de films ? Pourquoi est-il si difficile d'arrêter WikiLeaks, alors que la volonté politique d'y parvenir est évidente ? La réponse se trouve dans la configuration technique du Net. Ce n'est ni par bienveillance ni par manque de sanctions que ces mesures n'ont pu être prises. L'argument décisif a toujours été la liberté d'Internet.
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D'autre part, Internet n'est pas organisé juridiquement comme d'autres secteurs essentiels de l'infrastructure mondiale. Sa structure n'est pas soumise à un contrôle international, mais dirigée par une société américaine qui gère le nom de domaine ".com". Au cours des vingt dernières années, le dynamisme d'Internet a été tellement décisif pour l'évolution mondiale qu'on ne veut pas prendre le risque que l'ONU s'en mêle ou qu'on en arrive à une censure à la chinoise. Reste à savoir si l'événement WikiLeaks peut inverser la tendance et conforter le camp qui souhaite renforcer le contrôle.
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La guerre entre les défenseurs de la légitimité de WikiLeaks sur Internet et les partisans de sa fermeture se déroule de manière tout aussi anomique. Les politiques américains ne voulant pas attendre les tribunaux, ils ont laissé des entreprises privées comme Amazon, EveryDNS, PayPal et Visa prendre la décision de principe de fermer ou non WikiLeaks. Les deux camps opèrent sur un territoire non réglementé. Les politiques américains savent parfaitement faire pression, les hackers connaissent l'art de la guerre. Les Etats-Unis ont longtemps compté parmi les partisans les plus farouches de la liberté d'Internet. Après la réaction américaine vis-à-vis de WikiLeaks, on voit mal Barack Obama continuer à affirmer, comme il l'a fait en Chine, que plus le flux d'information est libre, plus la société est solide. A terme, la principale victime est donc la liberté d'Internet, son défenseur le plus ardent ayant perdu de son autorité.
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''Nikolai Thyssen, Courrier international n°1050''
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Version du 13 juillet 2011 à 17:35

Version PDF et imprimée

Dans la forêt amazonienne, les coupes d'arbres massives se font sur une grande échelle: le passage de forêt à terres agricoles est de plus en plus rapide. Ce qui motive ce désastre écologique est bien simple : l'exploitation immodérée des forêts est une source d’argent facile. Et ceux qui y participent n’ont pas les moyens de s’offrir le luxe d'une conscience écologique et citoyenne. S'ils ne coupent pas les arbres, d’autres le feront à leur place, pensent-ils.

De la même manière, sur Internet, la possibilité de gagner de l’argent facilement est assez grande. Beaucoup d’entreprises maximisent cette opportunité en contrôlant le flux d’information. Par exemple, l'abonné d'un opérateur x aura la possibilité d’accéder aux informations de manière plus rapide que l'abonné de l'opérateur y. En conséquence, tout comme certains se battent pour la préservation de la nature, notre bien commun, en Amazonie et dans tous les écosystèmes de la biosphère, des courageux mènent des combats tout aussi difficiles pour leur santé physique et mentale, en vue de préserver le bien commun dans les environnements numériques, notamment pour préserver la neutralité du réseau. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les enjeux de la Net Neutralité.

Pourquoi Internet plutôt que Minitel ?

Internet est un système de connexion entre ordinateurs conçu à la fin des années 60. Ses géniteurs sont des informaticiens influencés par la culture de l'époque : nouvel âge, créativité, vie communautaire, peace and love, Mai 68...

Le bonne question est : pourquoi ce système n'a pas de concurrent sérieux depuis l'an 2000, renvoyant aux oubliettes de l'histoire d'autres initiatives bien financées comme le Minitel et le videotexte ? Parce qu'il a été créé selon un principe essentiel pour la durabilité d'un système d'information : la neutralité du réseau.

La neutralité du Net (ou “neutralité des réseaux formant Internet”) est un principe fondateur de la culture numérique. En résumé : dans un réseau, les informations doivent transiter de façon indifférenciée, quels que soient leurs origines, leurs destinations ou leur contenu. Un principe à la fois garant de la liberté d’expression et de la libre concurrence sur Internet.

Une preuve ? Des années 70 aux années 90, pendant 20 ans, mis à part le courriel, aucun système commun n'a permis le déploiement d'Internet au-delà des militaires et des universités. Explication : il n'y avait aucun système commun pour afficher des documents. Les universités créaient des sous-réseaux différents. Ainsi, les universités américaines ne pouvaient pas nécessairement partager des textes, des images ou des sons avec des universités européennes, chacune ayant leur protocole. De nombreux projets d'informaticiens proposaient un système différent. Et qui a gagné ? Le web, au début des années 90, dont le développement est fulgurant. Pourquoi un usage exponentiel du web tout d'un coup ? A cause des entreprises privées qui y ont vu un potentiel commercial ? Pas du tout, car ce potentiel était présent dès les débuts de l'informatique. C'est à cause du fait que le Web est, lui aussi, basé sur le principe de neutralité des réseaux. Le protocole du Web, nommé HTTP, est le seul connu du grand public. Il est utilisable librement, sans payer de redevance à qui que ce soit, et respecte le principe de net-neutralité.

Imaginons que la neutralité des réseaux informatiques comme Internet puisse s'appliquer à un autre réseau qui vous est sans doute plus familier : le réseau routier. S'il n'y avait pas de neutralité dans ce type de réseau, on pourrait envisager de nombreuses dérives. Par exemple, pour un trajet de vacances passant par l'autoroute, le trafic serait modifié selon :

  • l'endroit d'où vous partez, éventuellement la marque de votre voiture ou encore l'identité de votre employeur
  • l'endroit où vous vous rendez, l'endroit où vous comptez loger
  • les motivations pour vous rendre à ce lieu de destination : travail, vacances, famille...

Dans un tel cas, on pourrait voir apparaître :

  • un partenariat entre la société de gestion de l'autoroute empruntée et l'office du tourisme d'une ville de la Côte d'Azur. Dans ce cas, les vacanciers pourraient être privilégiés par rapport au reste des voyageurs (fret de marchandises, particuliers se rendant à leur travail...).
  • un partenariat entre une ville et une chaîne d'hôtels qui sponsoriserait le trafic routier des administrés de cette localité pour qu'ils se rendent dans un des hôtels de la chaîne.
  • un ralentissement artificiel des voyageurs ne faisant l'objet d'aucune mesure préférentielle.
  • et la liste est potentiellement infinie...

Internet : base commune neutre pour toutes les initiatives

Sur Internet, les fournisseurs d'accès sont généralement des sociétés commerciales privées, car il faut des fonds considérables pour se lancer dans la fourniture d'accès à Internet, donc des investisseurs qui attendent des retours rapides. Les fournisseurs d'accès sont également souvent des producteurs de contenus -sites Web, sites de vente en ligne, fournisseurs de services vidéo à la demande.... Sans une neutralité du Net encadrant leurs pratiques, elles pourraient tout à fait privilégier les internautes accédant à leurs propres sites et services. Par exemple

Un autre type d'outil est également concerné : les moteurs de recherche. Leur rôle est très important, car la nature d'internet est d'être un grand bazar et non pas une cathédrale d'informations bien rangées par une autorité centrale. Donc pour bien communiquer nous dépendons des moteurs de recherches, eux aussi souvent propriétés privées d'actionnaires et à but lucratif. La neutralité du Net appliquée à leur activité sous-entendrait un fonctionnement semblable pour toute requête, indépendamment de partenariats ou clients ayant intérêt à se hisser au premier rang des résultats. Jusqu'à ce jour, le principe de neutralité semble être respecté, mais sous la pression d'actionnaires, par exemple, les dirigeants de sociétés puissantes pourraient prendre la décision d'enfreindre la neutralité du Net.

Plusieurs indices [[1]http://fr.readwriteweb.com/2010/08/26/a-la-une/orange-donne-aperu-de-linternet-sans-neutralit-du-net/] laissent à penser que le danger de voir disparaître l'un des principes fondateur de l'Internet se fait plus précis. La mobilisation pour défendre la Net Neutrality est toutefois très importante sur la Toile [voir par exemple http://www.savetheinternet.com/]. Cela sera-t-il suffisant ?


Encart 1

Six principes en anglais: http://www.physorg.com/news175767162.html

Benjamin Bayart, pionnier de l’internet en France, a proposé quatre principes essentiels à la neutralité du Net:

  • Transmission des données par les opérateurs sans en examiner le contenu
  • Transmission des données sans prise en compte de la source ou de la destination des données
  • Transmission des données sans privilégier un protocole de communication
  • Transmission des données sans en altérer le contenu

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Encart 2

Les 4 libertés fondamentales du logiciel libre et les 4 principes de la net-neutralité ont tous les deux la même finalité : être radicalement non-discriminatoire . Mais ils sont formulés différemment car elles concernent des outils différents.

Encart 3

Le saviez-vous ? Le Chili est le premier pays au monde à avoir voté une loi garantissant la neutralité des réseaux. Le projet de loi avait été déposé dès 2007, à l’époque où ce sujet était moins médiatique qu’aujourd’hui, par une dizaine de députés de différent bord politique, et soutenue par le gouvernement. La loi a été largement votée, pour ne pas dire plébiscitée, puisque 100 députés ont voté pour alors qu’un seul s’est abstenu. Source :


Sources et notes

http://journalduhack.wordpress.com/2010/08/05/neutralite-du-net-une-fin-annoncee/

http://journalduhack.files.wordpress.com/2010/08/net_neutrality.png?w=499&h=312

http://www.youtube.com/watch?v=JP_3WnJ42kw&feature=player_embedded#!

http://foureyedmonsters.com/neutrality/

http://www.savetheinternet.com/

Wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Neutralit%C3%A9_du_r%C3%A9seau


Sources iconographiques

http://www.toonux.org/news/neutralite-du-net-comprendre-les-enjeux-du-controle-de-l2019internet/image/image_view_fullscreen

http://onlinemba.com.s3.amazonaws.com/net-neutrality.jpg


Version en ligne

La première guerre du Net est déclarée

Article paru dans le Courrier international, n° 1050 (du 16 au 21 décembre 2010)


Une partie de la communauté des hackers se mobilise pour contrecarrer l'interventionnisme des autorités, qu'ils jugent dangereux. Et tous les coups sont permis.

Cible : www.visa.com : feu feu feu !!'." ordonnait Opération Payback [Opération représailles] sur Twitter le 8 décembre. Moins de trois minutes plus tard, le serveur de Visa était indisponible. Le même phénomène s'est reproduit pour les sites Internet de Mastercard et de PostFinance, la banque suisse qui avait gelé le compte du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Les sites du parquet suédois et du sénateur américain Joseph Liebermann ont également été attaqués.

Cinquante minutes après l'offensive lancée contre Visa, l'Opération représailles était lancée sur Facebook. Ceux qui pensaient que le terme "cyberguerre" n'était qu'une métaphore inoffensive ont beaucoup appris au cours de la semaine passée. WikiLeaks ayant été quasiment fermé, les hackers ont répondu en attaquant les sociétés qui l'avaient mis hors service. Le terme de "guerre informatique" décrit bien la réalité. "La première guerre de l'information a maintenant commencé. WikiLeaks est le champ de bataille. Vous en êtes les troupes", écrit le pionnier d'Internet John Perry Barlow sur Twitter. C'est lui qui, dans les années 1990, avait rédigé ce qui est désormais connu comme la déclaration d'indépendance d'Internet : "Gouvernements du monde industrialisé, géants fatigués de chair et d'acier, je viens du cyberespace, nouvelle demeure de l'esprit. Au nom de l'avenir, je vous demande, à vous qui appartenez au passé, de nous laisser tranquilles. Vous n'êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n'avez aucun droit de souveraineté là où nous nous rencontrons."

Le document est devenu le symbole d'une époque dans l'histoire anarchique d'Internet et la référence au droit de souveraineté n'était pas qu'un postulat. Si l'on veut comprendre ce que signifie la "liberté d'Internet", il faut savoir que, par son architecture même, Internet est conçu de telle sorte que personne ne sait ce qui circule dans les câbles. Pourquoi, malgré des campagnes intenses, n'a-t-on pas pu faire cesser le piratage de musique et de films ? Pourquoi est-il si difficile d'arrêter WikiLeaks, alors que la volonté politique d'y parvenir est évidente ? La réponse se trouve dans la configuration technique du Net. Ce n'est ni par bienveillance ni par manque de sanctions que ces mesures n'ont pu être prises. L'argument décisif a toujours été la liberté d'Internet.

D'autre part, Internet n'est pas organisé juridiquement comme d'autres secteurs essentiels de l'infrastructure mondiale. Sa structure n'est pas soumise à un contrôle international, mais dirigée par une société américaine qui gère le nom de domaine ".com". Au cours des vingt dernières années, le dynamisme d'Internet a été tellement décisif pour l'évolution mondiale qu'on ne veut pas prendre le risque que l'ONU s'en mêle ou qu'on en arrive à une censure à la chinoise. Reste à savoir si l'événement WikiLeaks peut inverser la tendance et conforter le camp qui souhaite renforcer le contrôle.

La guerre entre les défenseurs de la légitimité de WikiLeaks sur Internet et les partisans de sa fermeture se déroule de manière tout aussi anomique. Les politiques américains ne voulant pas attendre les tribunaux, ils ont laissé des entreprises privées comme Amazon, EveryDNS, PayPal et Visa prendre la décision de principe de fermer ou non WikiLeaks. Les deux camps opèrent sur un territoire non réglementé. Les politiques américains savent parfaitement faire pression, les hackers connaissent l'art de la guerre. Les Etats-Unis ont longtemps compté parmi les partisans les plus farouches de la liberté d'Internet. Après la réaction américaine vis-à-vis de WikiLeaks, on voit mal Barack Obama continuer à affirmer, comme il l'a fait en Chine, que plus le flux d'information est libre, plus la société est solide. A terme, la principale victime est donc la liberté d'Internet, son défenseur le plus ardent ayant perdu de son autorité.

Nikolai Thyssen, Courrier international n°1050