Lettre d'une netizen en 2025 : Différence entre versions
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N’oublie jamais une chose ma puce, Internet, c’est comme la vie : il faut donner pour recevoir. Et jamais le contraire ! | N’oublie jamais une chose ma puce, Internet, c’est comme la vie : il faut donner pour recevoir. Et jamais le contraire ! | ||
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+ | ''Par Pascale Lagahe-Oliveira dos Reis'' |
Version du 7 septembre 2010 à 15:47
Septembre 2025, à Lyon
Ma petite puce adorée,
Toi qui est née avec un iPad entre les mains. Toi qui n’a jamais connu les consoles Atari, le minitel ou le tourne-disque. Toi qui a su prendre des photos avec mon mobile avant même de savoir compter. Toi qui n’imagine plus passer une seule journée sans t’engouffrer dans un réseau social.
Sache que ta petite maman, enfant, n’a connu que la radio et la télévision… (non, ne pleure pas, ce n’est pas grave !) C’était tout de même bien mieux que tes grands-parents qui n’ont découvert le petit écran qu’à leur adolescence (et en noir et blanc en plus). Même ton papa, né au Brésil durant la dictature militaire, m’a avoué il y a quelques années n’avoir eu sa première télévision qu’à l’âge de 10 ans. Nous étions loin d’être des Digital Native, et surfer sur un objet tactile relié à un réseau planétaire, cela ne nous aurait jamais traversé l’esprit !
Pourtant, tout s’est fait de manière silencieuse. Presque naturelle. Un jour, à l’aube de mes 14 ans, Papi Gérard est rentré du travail avec un énorme carton entre ses bras. Ta tante et moi avons été prévenues une bonne centaine de fois de la fragilité et du coût (visiblement prohibitif) de l’objet. Ton Grand-père a alors déballé son nouveau jouet : un ordinateur de bureau, composé d’un écran aussi lourd que notre télé (et pas du tout plat !), d’une unité centrale rutilante, d’un clavier et d’une petite « souris ». « Wouaaaa ! Pincez-moi, je rêve ! »
Durant les années qui ont suivi, « l’ordi » trouva sa place au fond du salon. A l’abri des regards indiscrets et de la télé qui semblait ne pas voir d’un très bon œil son arrivée dans notre famille. Grand-père faisait sa comptabilité avec les géniaux petits logiciels de Bill Gates (mais oui tu sais bien le père fondateur de Microsoft, ça ne te dit rien ? Fais une petite recherche sur Wikipédia ma fille !), ta tante tapait ses premiers devoirs sur Word, quant à moi, je tentais de comprendre les règles d’un jeu sur CD Rom dont tu te moquerais bien volontiers aujourd’hui.
Puis les saisons défilèrent aussi vite que les trimestres au lycée. Le bac en poche, je poursuivis mes études à Paris. Ce fut à cette époque que le mot Internet prit un réel sens à mes yeux. Je me rappelle comme si c’était hier de ma première fois : la première fois que j’ai créé une adresse mail (la même depuis 25 ans). La salle informatique du campus ne comptait qu’une quinzaine de machines. Toutes, le plus souvent occupées. J’attendais alors patiemment mon tour. Une fois connectée, je découvrais avec frayeur et émerveillement toutes ces informations accessibles en un clic. Je commençais à taper sur le clavier aussi vite que mon ombre. Une vraie Lucky Luke de l’informatique ! Mais l’addiction n’avait pas encore pointé le bout de son nez…
Ce ne fut qu’en 2005 que cette immense toile d’araignée changea littéralement ma vie.
Un jour de printemps, dans les ruelles sombres de la Croix Rousse à Lyon, j’ai eu la chance de croiser la route de drôles de personnages. Des web addict, ceux qui avaient connu l’éclatement de la bulle internet en 2000 et qui préparaient le web des prochaines années : le web 2.0. Cette petite communauté de geek m’a fait découvrir un monde parallèle que je ne connaissais pas jusqu’alors : celui des blogs, des wiki, des réseaux sociaux, des plateformes de partage, du streaming…
La révélation fut aussi douce que brutale : permettre à tout un chacun de s’exprimer, de faire valoir son talent, de partager ses idées, ses opinions… Je faisais partie de cette « secte » qu’Andrew Keen haïssait. Pourtant, aussi loin que je m’en souvienne, cette passion pour le web collaboratif ne m’a apporté (presque) que du bonheur ! Sans ce nouveau web, je n’aurais jamais vécu tant de rencontres passionnantes, d’amitiés, d’expériences, de surprises, de projets professionnels…
Tu veux connaître mon secret ? Eh bien, il demeure dans une équation très simple : lier sans cesse le virtuel au réel. Et le réel au virtuel.
Je n’ai jamais conçu Internet comme un univers fermé où l’anonymat, la rumeur, les attaques mesquines et la désinformation primaient. Non. Internet était pour moi la meilleure technologie pour tisser des liens, imaginer, créer… ensemble.
Quelle sensation merveilleuse de découvrir en chair et en os une personne avec qui j’avais échangé quelques mails auparavant! Quel plaisir de débattre avec un internaute connecté à l’autre bout du monde! Quel bonheur aussi de pouvoir s’endormir aux côtés de son fiancé, parti à l’étranger, grâce à MNS ou de conserver une amitié intacte avec des proches expatriés grâce à skype!
Je pourrais te raconter des dizaines d’anecdotes.
Comme cette journée où dans les bureaux du premier réseau social français de l’époque (« Copains d’avant »), une collègue m’expliquait de quelle manière utiliser Facebook, l’ennemi juré de mon patron. Comment ne pas te parler aussi du Bondy Blog, cette formidable aventure humaine, parti d’un simple… blog. Comment oublier ces soirées de débats animés sur les nouveaux usages du web, ces heures perdues où, avec des collègues, nous refaisions le « monde » des médias.
Bon, je te rassure, ta chère mère n’est pas parfaite. Loin de là ! Moi aussi, comme tant d’autres, je me suis fourvoyée dans le culte de l’amateur. Moi aussi j’ai lu sans recul des pages de Wikipédia et d’autres sites dont les sources étaient aussi friables que tes gâteaux au chocolat. Eh oui, moi aussi je me suis laissée aller à quelques (non beaucoup en fait !) élans narcissiques sur Facebook ou Orkut. Les vidéos stupides ? Je ne vais pas te mentir. Bien sûr que j’ai rigolé comme une sotte devant des spots de chats « trop mignons » ou les frasques de Rémi Gaillard (ce n’est pas de ton époque, mais va jeter un coup d’œil je suis certaine que tu vas adorer !). Le web m’a offert de grands moments de fous rires, de grands moments d’inculture, saupoudrés d’une féroce addiction facebookienne qui exaspérait ton père au plus haut point.
Ton père d’ailleurs n’était pas le dernier quand il s’agissait de faire des bêtises sur le net. C’était lui le cerveau de la famille pour télécharger des films sur Mégaupload ou acheter des choses inutiles sur CDiscount (le pire était tout de même ton oncle Ludovic que nous avions surnommé Ebayman )
Faute avouée, à moitié pardonnée… Eh oui ma fille, tes parents ont piqué des œuvres sur le web. Mais tes parents allaient aussi au ciné, au musée, étaient inscrits à la bibliothèque et allaient de temps à autre acheter un livre et un disque à la Fnac (les disques pas vraiment finalement, nous préférons chanter qu’écouter, à ton grand désarroi je sais ;-) .
N’oublie jamais une chose ma puce, Internet, c’est comme la vie : il faut donner pour recevoir. Et jamais le contraire !
Par Pascale Lagahe-Oliveira dos Reis