La culture du don contre l'esclavage moderne

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Songez à un film, à un livre, voire même à un mode d'emploi trouvés sur l'Internet. Les informations que vous y découvrez, quels que soient le sujet et le support, vous semblent particulièrement dignes d'intérêt. Aussi l'idée vous vient-elle de les copier afin de les distribuer à vos amis. Est-ce légal ? Si les supports concernés sont placés sous une licence dite « libre », oui. Vous pouvez d'ailleurs faire un don à l'auteur pour l'encourager à poursuivre son travail. Car libre n'est pas gratuit. L'auteur d'une œuvre sous licence libre peut vendre son œuvre et vendre du service autour de l'œuvre : adaptation, mise à jour, déclinaison...

Libre, c'est la liberté d'accéder à une œuvre de l'utiliser, de la modifier et de la redistribuer.

La modifier ? En ajoutant spontanément, par exemple dans le cas d'un documentaire vidéo, sa traduction dans la langue de votre pays. Cette intervention est techniquement et légalement possible, pour autant que la licence le permette. Sur un plan financier, la culture du don est aussi rémunératrice que la culture de l'usage exclusif. Nous avions pourtant l'habitude de penser qu'il fallait protéger les œuvres des risques de « piratage ». Or nos idées sont inspirées par d'autres, invariablement. On ne crée presque jamais à partir de rien.

Plus important : vouloir brider la diffusion d'une œuvre rend les utilisateurs esclaves d'un système de licences qui sert seulement les intérêts d'une minorité de producteurs. Car si l'œuvre documentaire est réalisée à compte d'auteur, ce dernier a tout intérêt à la placer sous licence libre, afin de lui assurer l'audience la plus large possible, via l'Internet. Il a aussi tout intérêt à demander aux internautes de verser une contribution pour soutenir son travail. C'est ainsi que la fondation Wikimedia, qui gère Wikipédia, récolte plusieurs dizaines de millions de dollars par an. Et elle n'est pas la seule. De nombreux artistes choisissent ce modèle. Ils cassent ainsi la spirale négative des esclaves et des pirates et amorcent la spirale positive du partage de la connaissance.

Un air de déjà vu

Un bref retour en arrière s'impose. Au début du xixe siècle, quelques puissantes familles se partageaient les terres disponibles. Le commerce d'esclaves prospérait. Chacun acceptait cet état de fait, convaincu qu'il n'existait pas de système alternatif. Seule une minorité s'est élevée contre l'esclavage : composée de « pirates » et de citoyens militants, elle a rappelé que l'esclavage n'était pas une fatalité, qu'il était possible de faire autrement, de permettre à tous de bénéficier des mêmes chances. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789[1] avait certes déjà été promulguée, mais son application restait balbutiante.

Aujourd'hui les ségrégations ont changé de terrain. L'époque, comme au temps des colonies, continue de mettre en scène esclaves, pirates et hommes libres. Mais c'est désormais dans le domaine de la connaissance que les pouvoirs se font et se défont. Ceux qui encouragent de façon délibérée ou involontaire la culture d'esclaves et de pirates associent leur intérêt personnel au contrôle des flux d'information. C'est pourquoi ils s'agrippent si farouchement aux rênes des nouveaux outils producteurs de connaissance. Certains ont qualifié de libérale-communiste cette volonté de contrôle et d'exclusivité, exercée par de grandes entreprises et leurs fondateurs tels Microsoft (Bill Gates), Apple (Steve Jobs), Oracle (Larry Ellison), Amazon, Yahoo! et bien entendu Google. C'est là que sont concentrés les pôles de pouvoir de l'ère numérique.

Leader du secteur informatique des années 1940 à nos jours, IBM a su prendre le virage du Libre dès les années 1990 et s'en fait aujourd'hui l'un des meilleurs promoteurs . Ses revenus ne sont plus basés sur la vente d'un monopole mais bien sur un temps d'accompagnement permettant que des entreprises de toute taille adoptent des systèmes informatiques cohérents, répondant à leurs besoins. La multinationale s'est ainsi réorientée vers le conseil, de préférence à la vente de matériel. À ce titre, IBM reste une entreprise pionnière dans la gouvernance informatique. Elle a notamment investi des centaines de millions de dollars dans la promotion du système d'exploitation GNU/Linux.

Commerce de données

Les géants du numérique tendent à étouffer leurs concurrents, à favoriser la surveillance de leurs utilisateurs et donc à œuvrer pour que le partage de l'information reste interdit. Demandez à Google, qui fournit ses services « gratuitement », de vous procurer la liste de toutes les données recueillies à votre sujet[2] : vos habitudes de consommation, vos mots-clés de recherches… On vous répondra en invoquant le secret professionnel. C'est le principe des fiches secrètes qui ne servent que les intérêts de l'entreprise concernée. Dans un seul but : les revendre à d'autres entreprises dans le cadre de campagnes publicitaires ciblées, pour vous inciter à consommer toujours plus.

Ces techniques « commerciales » ont largement contribué à l'extraordinaire puissance des fondateurs de ces nouvelles oligarchies. Ce sont eux qui dirigent aujourd'hui l'économie et influencent certaines orientations politiques. Les mêmes multimilliardaires lancent aussi parfois des fondations caritatives dont le fonctionnement – dans le cas de celle de Bill & Melinda Gates, par exemple – révèle de surprenantes contradictions . Selon une étude du Los Angeles Times, « 41 % des actifs (de la Fondation Gates, hors titres d'État américains ou étrangers) concernent des entreprises dont l'action contrarie ses objectifs philanthropiques ou ses préoccupations sociales »[3].

Mais dans cet univers numérique d'apparence impitoyable, certaines communautés résistent à la tendance dominante . Elles font ainsi écho à l'action émancipatrice des pionniers qui luttèrent contre l'esclavage et l'exploitation de la majorité par une minorité. Elles militent en faveur d'un monde numérisé globalisé et citoyen, sans pirate, ni esclave. Elles s'appuient sur le principe d'équité des chances cher aux fondateurs du Net et du Web, au sein d'un cyberespace indépendant.

Ces communautés dynamiques s'appuient essentiellement sur la neutralité des réseaux et le succès objectif des mouvements dédiés à la culture libre tels que GNU, la GPL (General Public License), Debian, Firefox, LibreOffice ou Wikipédia, pour ne citer qu'eux. Elles défendent l'idée d'un savoir partagé par tous et la génération de revenus grâce à la vente de services, non de telle ou telle exclusivité. Face aux tendances privatrices, elles proposent des alternatives fiables dans tous les secteurs : encyclopédies, vente de livres (Amazon versus Publie.net), vente de produits, hébergement de profils (Facebook versus Diaspora), moteurs de recherche (Google versus Scroogle), etc. Elles disent non aux drogues qui rendent dépendant.

La tendance privatrice et libérale-communiste s'explique par le caractère inédit de la situation dans laquelle se trouve l'Humanité . Les pratiques commerciales à court terme commencent à être documentées. Cela aidera à prendre conscience de l'ampleur des inégalités ainsi générées et à mieux défendre, par la suite, l'équité et la justice sociale de la société de l'information. La minorité active qui dénonce aujourd'hui la spirale négative des esclaves et pirates se réclame du bien commun pour encourager l'émergence de pratiques durables, honnêtes, loyales. À long terme, elle ne peut qu'obtenir gain de cause. La position des libéraux-communistes qui se partagent actuellement le gâteau et jugent normales la privatisation et l'accumulation des richesses est-elle durable? Le génie qui leur a permis d'occuper une position dominante réside désormais essentiellement dans leur capacité à convaincre les investisseurs de leur donner les moyens de continuer à imposer leur pouvoir, là où ils l'exercent.

Chaque année, ils perdent un peu plus de terrain au profit d'une culture participative fondée sur une meilleure répartition des responsabilités et des bénéfices. La culture du partage et du don, cette spirale positive, émerge lentement, difficilement, mais en profondeur. Libératrice, elle permettra à tous les internautes d'apprendre à pêcher. Elle aide déjà à conquérir son autonomie, plutôt qu'à rester dépendant des multinationales de l'entertainment et de l'informatique. Elle octroie la liberté de choix.

Compléments

Le Saviez-vous ?

Leader du secteur informatique des années 40 à nos jours, IBM a su prendre le virage du libre dès la décennie 90 et s'en fait aujourd'hui l'un des meilleurs promoteurs : ses revenus ne sont plus basés sur la vente d'un monopole mais bien sur un temps d'accompagnement permettant que des entreprises de toute taille adoptent des systèmes informatiques cohérents, répondant à leurs besoins. La multinationale s'est ainsi réorientée vers le conseil, de préférence à la vente de matériel. A ce titre, IBM reste une entreprise pionnière dans la gouvernance informatique. Elle a notamment investi des centaines de millions de dollars dans la promotion du système d'exploitation Linux.

Notes et références

Annexes