Hiérarchie de statut, hiérarchie de compétences
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Qui pourrait nommer, pour chacun d'eux, le plus haut diplôme obtenu : Richard Stallman et Linus Torvalds ? Eh bien, pas grand monde ! Mais vous, n'avez-vous pas dû montrer patte blanche en fournissant un CV lorsque vous avez postulé pour trouver du travail ? Eux, non. Ils ont pourtant lancé des projets parmi les plus ambitieux sur Internet : un système d'exploitation pour l'un (GNU), un cœur de système d'exploitation pour l'autre (Linux). Et des exemples similaires, touchant des personnes généralement moins célèbres, abondent sur le Web. Ici, l'origine ethnique, la couleur de peau, le milieu social, le niveau de revenus, ou tout facteur que l'on regroupera sous le terme de statut, importent peu.
Ce qui compte généralement dans des projets décentralisés et volontaires comme ceux qu'ils ont initiés, c'est autre chose : la légitimité.
Quels sont les travers dans lesquels on tombe quasi-inévitablement dans une hiérarchie de statut ?
En premier lieu, c'est ainsi que l'on conforte des élites en les séparant du reste des citoyens. On maintient artificiellement des personnes ou des groupes en place alors qu'il n'est pas légitime qu'ils le restent. On forme des clubs, des castes qui fonctionnent ensuite en vase clos, se renvoyant la balle les uns aux autres. Cela peut parfois conduire à un cercle vicieux car, en évitant le sang neuf, on finit souvent par déguiser son incompétence derrière des apparences de sérieux et de fiabilité.
En second lieu, qui est un corollaire, on forme une barrière à l'entrée de certaines responsabilités en maintenant à l'écart ceux et celles qui auraient pu avoir droit au chapitre mais qui ne rentrent pas dans les cases faute d'un statut approprié : trop jeune, trop vieux, pas de la haute, pas sorti de la bonne école, pas assez diplômé, trop diplômé, un passé obscur, des expériences trop hors-norme...
En prenant la décision formelle de mettre en place une hiérarchie basée sur la légitimité, on enclenche un cercle vertueux : celui de la formation tout au long de la vie, de l'évaluation par les pairs, de la vision réflexive sans tomber dans le nombrilisme. On doit sans arrêt se remettre en question, demander aux autres (ses pairs) de nous évaluer, déterminer comment nous améliorer et mettre en œuvre des actions pour progresser.
C'est aussi dans cette dynamique qu'on va davantage se pencher sur les compétences que sur les connaissances, car une connaissance est statique alors que la légitimité, en s'appuyant sur les compétences, est très dynamique : ce que je sais faire à un moment donné doit ensuite être réactualisé pour rester au goût du jour. Ceci est d'autant plus important dans les domaines, et ils sont toujours plus nombreux, qui évoluent en permanence ; ceux où un spécialiste d'hier pourrait ne plus être la personne adéquate dans l'expertise que requiert la situation présente.
Pour cela, le délicat exercice du portfolio est opportun : exposer ses compétences avec neutralité et maintenir à jour le bilan de leur état. S'il est électronique et public (l'ePortfolio), alors on peut faire du Web un réseau d'individus engagés à s'élever en permanence vers plus d'aptitudes à gérer leur existence et participer activement à notre société, en toute transparence. Cela nous amène à plus de clairvoyance : plus d'humilité devant ceux qui nous surpassent dans certains domaines et plus d'assurance en voyant qu'il y a des béotiens dans nos champs d'expertise. On sait aussi de cette manière qui est qui : où trouver une compétence, vers qui se tourner pour en acquérir de nouvelles.
Internet est un excellent terrain pour mettre en œuvre une hiérarchie de compétences car les relations électroniques nous privent de repères sociaux qui influent souvent sur notre opinion des autres (grand/petit, jeune/vieux, femme/homme, bien habillé/débraillé, assuré/hésitant, bègue/éloquent...). C'est ainsi que des petits jeunes, parfois autodidactes, occupent des responsabilités importantes dans des projets informatiques, alors qu'ils n'auraient jamais eu leur chance en présentant leur CV lors d'un entretien d'embauche pour un poste équivalent hors-Internet. Dans une organisation fonctionnant sur une hiérarchie de compétences, ce qui compte est comment les individus contribuent au projet : par leur compétence et leurs apports quotidiens. On parle aussi de méritocratie, système de reconnaissance du mérite de chacun.
En guise de conclusion, nous pourrions lancer le pari suivant : pour le prochain projet dans lequel nous nous engagerons, nous essaierons d'infléchir les critères d'évaluation des participants (ou candidats) en tenant compte davantage des compétences actuelles et reconnues qu'ils manifesteront, tout en laissant de côté les critères convenus et souvent dépassés relatifs au statut. Allez, on le tente ?
Sources et notes
Libre academy : statut ou compétence ?, Julien Tayon, juin 2005 : http://www.libroscope.org/Libre-academy-statut-ou-competence
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Reste à faire
Trouver réf de Raph. Chercher sur Ycampus... A Copier/coller. Et Théo mettra en perspective