"Les oeuvres aux pieds nus"
On dit d'une œuvre qu'elle avance « les pieds nus » lorsque sa diffusion s'effectue sans publicité, lentement mais sûrement, sans faire de bruit, par la seule volonté ou le seul intérêt du public.
Nul besoin d'opération communication.
Nul besoin de plan marketing.
Nul besoin de paquet cadeau.
Seule la force du propos assure l'adhésion des personnes qui l'entendent et la longévité d'une pensée.
Il s'agit bien là, évidemment, d’œuvres majeures pour l'humanité.
Car notre condition, au-delà des civilisations qui se sont succédées, reste éternellement en quête de clés pour assurer sa transition vers un niveau supérieur de développement.
Ces œuvres sont comme des bouées de sauvetage que nous accrochons sur notre radeau collectif de fortune, pour ne pas couler lors de nos pérégrinations sur la terre mer. Au cours de notre voyage, elles apportent des idées nouvelles pour nous émanciper des jougs qui nous maintiennent en esclavage. En esclavage de nous-mêmes (notre animalité, notre égoïsme, notre résistance au changement) ou en servitude d'une réalité profondément injuste, incompréhensible (dictature, lois économiques, génocides, etc).
Voici trois exemples qui illustre cette idée d’œuvre au pieds nus. Leur point commun et la rançon de leur succès? Leur parution est passée totalement inaperçue au début.
Le livre le Papalagui de Touiavii
Touiavii, grand chef d'une tribu des îles d'Océanie a écrit le Papalagui dans les années 1920. Son but était d'informer les peuples d'Océanie des comportements de l'homme blanc, que l'on surnomme Papalagui dans sa langue. Touaivii s'était porté volontaire à la première Guerre Mondiale en Europe, puis il y est resté. Il a ainsi pu observer le mode de fonctionnement de l'homme occidental. Il a expressément demandé dans son livre qu'il ne soit pas traduit et soit gardé pour les tribus des îles du Pacifique. Cependant, un prêtre allemand a outrepassé cette volonté et le livre a commencé son chemin les pieds nus. Il a été traduit en plusieurs langues, imprimé « sous le manteau », sans demander l'autorisation à qui que ce soit et diffusé en de nombreuses versions et rééditions dans le monde entier. C'est un regard extérieur, particulièrement frappant, sur le comportement dominant de l'homme blanc. C'est pour cela et sans avoir recours à la publicité, qu'il est devenu un symbole des déviances du monde occidental.
La Belle Verte, de Coline Serreau
Une autre œuvre suit ce même chemin, les pieds nus ; c'est le film « La Belle Verte » de Coline Serreau, sorti en 1996. "Sous la forme d'un conte philosophique, le film aborde les thèmes aussi divers que l'anti-conformisme, l'écologisme, la décroissance, le féminisme, l'humanisme, le pacifisme, les valeurs sociales ou encore le rejet des technologies nuisibles, par le biais de dialogues ou de situations humoristiques. Les références à la spiritualité New Age sont très appuyées (télépathie, magnétisme, venue sur terre pour aider les humains à s'élever et parler vrai, philosophie de la nature, etc.)" (source Wikipédia).
Très mal reçu par la critique lors de sa sortie, il fait un flop au cinéma. La réalisatrice avait pourtant reçu le César du meilleur film onze ans auparavant avec « Trois Hommes et un Couffin » (1985)!
Mais « La Belle Verte » va connaître une deuxième vie. Au départ copié sur cassettes vidéos, diffusé entre amis ou dans les associations, l'arrivée d'Internet va assurer sa diffusion internationale. Traduit en plusieurs langues, il devient le film symbole de l'écologie profonde, des transitions en cours, et l'une des principales sources d'inspiration pour l'écologie communautaire.
Malgré l'échec commercial et l'adhésion populaire spontanée après quelques années, sa réalisatrice n'as pas souhaité partager cette œuvre en autorisant sa diffusion libre. Interdite à la copie, cette œuvre se diffuse donc les pieds nus et souvent de manière illégale !
Wikipédia
Et tant d'autres
Il existe de nombreuses autres œuvres qui font leur chemin les pieds nus. Le Tao Te King, Livre de la voie et de la vertu en Chine, est un outil d'aide à la décision aux multiples vies. A sa manière, « Le Petit Prince » d'Antoine de Saint-Exupéry avance les pieds nus. Des mouvements autour d'idées, de vision de monde, de codes de conduites, avancent les pieds nus, sans promotion par le système marchand. Parmi eux, on compte la communication non-violente (CNV), le Falung Gong, le mouvement des earthships, qui construisent des éco-lotissements autosuffisants tant énergétiquement qu'alimentairement. Ils sont aussi présentés dans l'article l'origine des idées.
Le livre Ecopol, et le mouvement qu'il suscite, ont cette vocation d'avancer les pieds nus. Pas d'opération médiatique de lancement, pas de proposition révolutionnaire tape-à-l'oeil, seulement la volonté de partager et d'incarner les bonnes pratiques communautaires qui ont déjà fait leur preuve, en proposant un cadre pour les généraliser.
Face à l'urgence dans laquelle se trouve l'humanité, toute la question est de savoir si cette œuvre non motorisée (puisqu'elle est à pied) avancera suffisamment vite pour conquérir un large public. Il en va cette fois-ci de la survie de l'humanité.