Les gestionnaires de la complexité
compétences transversales, complexity management, ressources humaines, savoir-être, bien commun, changement, transition
Au quotidien, nous sommes tous confrontés à des situations complexes. Pour monter un projet ou dans l'éducation des enfants, il faut être capable de comprendre et de relier tous les aspects qui entrent en jeu. Tout au long de notre vie, nous sommes donc amenés à développer des compétences en gestion de la complexité : pour comprendre la diversité des réalités, des expériences, des codes sociaux.
Une situation est complexe dès lors qu'interagissent plusieurs paramètres qui s'influencent les uns les autres. La Terre est par exemple un système complexe, très complexe ! Malheureusement, on a perdu cette capacité à gérer les interactions entre différents domaines. Autrefois, dans les études supérieures, on devait faire ses humanités, en étudiant conjointement plusieurs disciplines littéraires et scientifiques. Aujourd'hui la pensée universitaire dominante encourage davantage la spécialisation, la dissection des savoirs. On assiste cependant à un retour en force de la culture de la transversalité. La recherche scientifique par exemple évolue vers davantage de prise en compte des interactions au sein des systèmes. Les disciplines commencent à se parler entre elles. Après avoir longuement étudié au microscope les éléments de la cellule, les biologistes prennent du recul et s'intéressent aux relations intercellulaires avec leurs confrères physiciens et chimistes. Les sciences de l'environnement, par nature complexes, ont naturellement intégré cette approche. La gestion de la complexité gagne désormais de nombreux domaines, comme les ressources humaines.
Sommaire
Des compétences très recherchées
Appréhender la complexité demande d'acquérir un ensemble de savoir-faire et compétences qui s'appuient non seulement sur des fondements scientifiques vérifiables, mais aussi sur la connaissance des comportements humains, plus subtils et vivants. La gestion de la complexité (le complexity management) est maintenant une discipline reconnue, en pleine évolution, pratiquée par des consultants expérimentés. Les institutions publiques, les grandes entreprises, mais aussi les structures de milieux associatifs font appel à eux.
Dans certains groupes de travail, une réelle gestion de la complexité est requise, notamment :
- pour appréhender les défis environnementaux (sécheresse, inondation, dans des lieux de guerre civile...)
- pour connaître le climat (référence aux travaux complexes du groupe d'experts intergouvernemental sur le climat, le GIEC)
- dans le monde de l'entreprise (maîtrise de l'énergie, de la pollution ou des coûts)
- pour les partenariats public/privé visant à développer l'innovation entre plusieurs régions, domaines d'activités ou besoins sociaux.
Complexité et bien commun : suivez les guides !
En ces temps de crises (écologique, économique...), il existe des gestionnaires de la complexité qui se sont spécialisés dans la durabilité des sociétés humaines. Ils nous aident à améliorer les conditions de vie sur terre, de manière à laisser derrière nous des organisations qui fonctionneront dans le temps. On les appelle les transitionneurs, les acteurs du changement, les entrepreneurs sociaux et environnementaux, les entrepreneurs du bien commun, etc ! Autant de personnes ressources qui peuvent servir les intérêts de la collectivité.
Souvent, ces agents du changement ont des parcours atypiques. On les reconnaît à leur côté autodidacte, à leur penchant pour la formation continue, à leurs capacités d'adaptation (avec plusieurs métiers dans une vie). Ils sont ouverts et curieux d'esprit. Ils analysent les situations dans leur globalité. Ils ont développé une vision « transdisciplinaire » mais également dynamique de la réalité.
Les actions-clé à retenir
Voici quelques axes phares pour les projets innovants qui intègrent la notion de complexité.
- Accompagnement au changement : aujourd'hui tout change, l'essentiel est de l'accepter et de l'apprécier. S'adapter, ce n'est pas nier son individualité, c'est comprendre comment l'environnement fonctionne afin de trouver des partenaires pour coopérer et évoluer.
- Incubation de micro-entreprises : petit oiseau deviendra grand dit le dicton, c'est le principe de couver et protéger les œufs. Avec la notion d'autonomisation. Tel un jeune qui devient adulte, une entreprise se meut par soi-même lorsqu'elle est capable de relever les défis en faisant appel aux bonnes ressources (personnes, idées, réserves financières...)
- Ecologie industrielle : pratique récente du management environnemental visant à limiter les impacts de l'industrie sur l'environnement. Basée sur l'analyse des flux de matière et d'énergie, l'écologie industrielle cherche à avoir une approche globale du système industriel (bilan à 360°) en le représentant comme un écosystème, de manière à le rendre compatible avec les écosystèmes naturels.
- Pérennisation grâce à un réseau large et diversifié : au-delà de quelques années une idée transformée en activité trouve son rythme de croisière et devient suffisamment forte pour qu'elle donne tous les signaux de longévité, c'est-à-dire pour qu'elle devienne pérenne. Cela n'est possible que si l'entreprise a su développer un large réseau d'acteurs multiples et variés.
De l'approche systémique à la vision écosystémique
La gestion de la complexité s'appuie toujours sur une démarche systémique qui prend en compte les impacts directs des actions. On peut ainsi gérer les problèmes de gaspillage d'une entreprise en valorisant ses déchets. Mais l'approche écosystémique se veut plus complète.
> Dans l'approche systémique : une entreprise d'incinération ayant de fort rejets de vapeur d'eau peut entreprendre le recyclage de la combustion en énergie de chauffage.
> Dans l'approche écosystémique : l'entreprise d'incinération met en place une démarche de réduction des déchets à la source, en plus du recyclage de la combustion en énergie de chauffage.
L'écosystémie intègre les impacts directs et indirects, mais également tout le jeu des interactions potentielles. « Plutôt que d'investir dans une usine surdimensionnée, j'en fait une plus petite et je réserve les économies pour l'éducation citoyenne à l'éco-responsabilité ».
Plus on élargit son regard à l'ensemble des facteurs, plus on prend en compte l'impact indirect de ses actes. On devient davantage conscient du bien ou du mal que l'on peut faire. La vision écosystémique permet de mieux préserver notre patrimoine commun et donc la vie humaine.
L'ouverture au changement
Qu'il est loin le temps où l'on vivait en autarcie avec son village, où l'on vivait au rythme des saisons et des événements locaux. On savait où travailler et qui on allait rencontrer au marché. On connaissait la provenance de nos carottes ou de notre mobilier.
Dans un monde globalisé et en perpétuel changement, nous voyons une quantité de biens de consommation, matériels ou immatériels, se déplacer sur toute la planète. On ne peut plus éluder la question de la complexité :
Ces marchandises ont-elles reçu des traitements chimiques susceptibles de porter atteinte à ma santé ou à celles des personnes qui les ont fait parvenir jusqu'à moi ? Ont-elles été acheminées par des moyens coûteux pour l'environnement (le fameux coût carbone...) ? Les oranges que je presse pour mon petit déjeuner ont-elles été produites par un paysan bien rémunéré ?
Si je me pose toutes ces questions, c'est que je suis déjà en résonance avec la notion de complexité. Je suis ouvert et je témoigne d'une certaine aptitude à m'adapter : je tiens compte du contexte et je porte un regard critique qui augmente la conscience de l'impact de mes actes ! Mais pour faire évoluer mes pratiques, il y a encore un pas.
Qui n'a pas un jour expérimenté la difficulté de changer pour s'adapter :
« J'ai toujours fait comme ça, pourquoi devrais-je faire différemment ? »
« Cela marche bien ainsi, pourquoi me demandez-vous de faire évoluer mes habitudes de travail ? »
« Je suis bien dans cette maison, je n'ai pas envie de partir à cause de ce voisin ! »
« Vous m'informez de cela, mais je ne vous ai rien demandé, moi ! »
Ne rien changer à ses repères, à ses habitudes, si seulement c'était possible... Or, les situations que nous créons ne sont pas toujours tenables. Il en va de même avec la réalité planétaire actuelle, qui ne paraît pas vraiment durable : pouvons-nous imaginer bénéficier de biens de consommation à l'infini, sachant que la terre qui sert à produire ces biens est un espace limité ? La réponse logique est : impossible. Et pourtant, combien d'experts nous affirment tous les jours le contraire dans les médias ? Ces experts ont-ils vraiment bien appréhendé la complexité des écosystèmes socio-économiques actuels ?
Dans la vie, nous n'avons pas toujours la possibilité de faire l'autruche et nous devons, souvent après une situation de crise, faire un grand saut dans l'inconnu, trouver de nouvelles ressources pour s'adapter. Il en va de même pour l'humanité sur terre. Pour adopter un mode de vie durable, nous devons d'abord faire face à une nouvelle donne, à une situation dite « complexe » qui paraît insoluble. Nous ne savons pas bien comment organiser nos propres actions et maîtriser les effets directs ou indirects de nos actes.
Alors que le mythe de la croissance infinie commence à perdre du terrain, les citoyens-consommateurs qui s'ouvrent à la complexité se retrouvent d'abord un peu désorientés, anxieux et aux aguets, comme lorsque nous descendons de l'avion en terre étrangère, face à l'inconnu... En cultivant l'ouverture au changement, nous deviendrons plus adaptables, plus responsables de nos actions et donc certainement plus heureux.
Vivre-ensemble, c'est complexe...
La gestion de la complexité est essentielle notamment pour développer un projet tel que la création d'une ville ex-nihilo réunissant des pratiques durables et innovantes. C'est un savoir-faire qui demande des compétences tant techniques que sociales.
Le projet Ecopol existe parce qu'il s'appuie essentiellement sur la culture de la complexité. Et parce que cette culture est mise au service de pratiques durables.