Les artisans du DIY

De Wiki ECOPOL
Révision datée du 17 août 2016 à 14:24 par Heriche (discussion | contributions) (En conclusion : la fin de l'obsolescence programmée ?)

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Depuis le développement de l'ère industrielle, nous avons accès à davantage de biens de consommation courante : prêt-à-porter, prêt-à-cuisiner, prêt-à-... Etc ! Il en résulte généralement un gain de productivité par rapport à la création artisanale, mais parallèlement, nous perdons aussi un peu de nos savoir-faire et nous sommes plus dépendants vis-à-vis des fabricants. Par exemple, un geste autrefois anodin comme la fabrication d'un pain maison ou la réparation d'un vélo est désormais quasiment une affaire d'expert ! Face à cette évolution, il existe un courant qui encourage l'autonomie des individus face au "pré-fabriqué". Il s'agit du do it yourself (DIY) ou faites-le vous-même. Ici, plus de secrets de fabrique, tous les modes d'emplois et manuels de construction se partagent.

Même si la débrouille, le bricolage, ou les activités créatrices pour enfants existent depuis longtemps, le DIY comme sous-culture s'est affirmé au cours des crises économiques successives puis, plus récemment, comme rempart face au prêt-à-jeter et l'obsolescence programmée[1]. Partout dans le monde, des gens font le choix d'objets artisanaux plus durables, réparables par leurs soins. Progressivement, c'est presque une économie parallèle qui a émergé, à l'initiative de divers acteurs comme les agriculteurs bio, les éco-constructeurs, les netizens, et beaucoup d'autres gens intéressés par la durabilité des biens de consommation et par des économies financières. Plus largement, c'est un mouvement ouvert à tous ceux qui préfèrent innover en comptant sur leurs propres ressources, plus intellectuelles et collaboratives que purement financières.

Des laboratoires très innovants

L’entraide et la collaboration sont des valeurs partagées par des mini-usines de création industrielle animés par le DIY. A cela s'ajoute un autre point commun essentiel : la culture libre et les outils collaboratifs de type wiki (voir notre article sur Les netizens et la culture libre). Ces moyens récents de partage en ligne, liés à l'arrivée du numérique, ont décuplé les possibilités du DIY : le bidouilleur dans son garage peut désormais communiquer à d'autres artisans ses trouvailles et modes d'emploi. Il en résulte une forte innovation collaborative, souvent d'utilité sociale, à moindre coût. Ces laboratoires tentent de fusionner le meilleur de l'artisanat et le meilleur de l'industrie. Voici quelques exemples phares :

  • Open Source Ecology[2]. Ce groupe d'agriculteurs et d'ingénieurs créé dans le Missouri s'est fixé comme objectif la construction d'un kit de 50 machines de base pour démarrer une nouvelle civilisation (le Global village construction set). C'est en effet bien de cela dont il s'agit : créer de nouveaux modes de construction pour une nouvelle société, plus durable. Autre objectif du projet Open Source Ecology : éviter de coûteux investissements auprès des gros fabricants de machines (agriculture, bâtiment...). Grâce aux plans de construction ouverts à tous et à une plate-forme technologique collaborative peu onéreuse, la construction industrielle devient accessible à celui qui est prêt à mettre la main à la pâte.
  • En France, le groupe Adabio, Association pour le développement de l’agriculture biologique, développe une initiative similaire, spécialisée dans les outils agricoles sous licence libre. Véritable mode d’emploi de l'autonomie en matière de machinisme, son guide de l'auto-construction offre des méthodes et des plans pour construire soi-même 16 outils ou dispositifs adaptés à la pratique du maraîchage biologique.[3]. .
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  • Laboratoire Entropie situé à Grenoble (France). Ses activités sont centrées autour de la question de l'autonomie et visent à donner aux personnes les outils et les moyens de s'émanciper sans créer de dépendance. Entropie anime des ateliers de bricolage écologique (construction d'éoliennes, de fours solaires...), un département de recherche sur l'autonomie et les alternatives et un département de recherche sur "le design libre".
  • Wikispeed. Il s'agit d'un projet exemplaire dans la construction automobile indépendante. Le projet phare consiste en la fabrication d’une voiture à haute efficience énergétique. « Pas besoin de milliers de salariés et de R&D (Recherche et développement) coûteu, le premier prototype fut mis au point par une équipe de bénévoles, avec un budget des plus modestes… en à peine trois mois. Conçue et assemblée pour un coût dérisoire, sans réelle expérience de la construction automobile, la première Wikispeed, surnommée la boîte à chaussures orange affiche des performances défiant les standards de l’industrie, tout en se conformant aux tests de sécurité routière les plus exigeants. », relate le webzine OuiShare[4]. Comme tous les laboratoires collaboratifs de création industrielle, Wikispeed utilise le partage de l'information et les licences libres. D'où son fort potentiel d'innovation : « Quand un constructeur traditionnel utilise plusieurs ordinateurs coûteux et propriétaires pour gérer différentes fonctionnalités de ses véhicules, comme comme le déclenchement des airbags, la gestion du niveau d’essence ou encore l’air conditionné, Wikispeed utilise pour toute électronique embarquée un unique circuit Arduino[5]

Légende. La vision de l'évolution de la création industrielle selon Open Source Ecology. De nouvelles communautés de pratiques émergent qui concilient le meilleur de l'industrie et de l'artisanat. L'objectif est de bâtir une société plus durable, résiliente, c'est-à-dire capable de s'adapter aux transitions en cours ou à venir.

Les fab lab et autres usines de DIY

La notion de fab lab (contraction de l'anglais fabrication laboratory, pouvant se traduire par laboratoire de fabrication) désigne un lieu ouvert à tous où il est mis à disposition du public toutes sortes d'outils pour la conception et la réalisation d'objets, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur.
La caractéristique principale des fab labs est leur « ouverture ». Ils s'adressent aux entrepreneurs, aux designers, aux artistes, aux bricoleurs, aux étudiants et aux hackers en tout genre, qui veulent passer plus rapidement de la phase de concept à la phase de prototypage, de la phase de prototypage à la phase de mise au point, de la phase de mise au point à celle de déploiement, etc. Ils regroupent différentes populations, d'âge et de métier différents : ils constituent aussi un espace de rencontre et de création collaborative qui permet, entre autres, de fabriquer des objets uniques : objets décoratifs, objets de remplacement, prothèses, orthèses, outils…

Société à crédit versus société autonome

« L'autoconstruction d'outils est une démarche d'émancipation qui a des conséquences sur trois niveaux », explique Adabio dans son guide de l'autoconstruction pour le maraîchage biologique :

  • Elle peut permettre de diviser par deux ou trois le budget nécessaire à l'équipement du maraîcher en installation ou en reconversion vers l'agriculture biologique. C'est une aide à l'autonomie financière.
  • L'autoconstruction permet de disposer d'outils adaptés (souvent inexistants en l'état par ailleurs) au contexte de chaque système de production, et apporte une compétence indispensable. Un producteur qui sait construire son outil sait aussi l'entretenir, le réparer, le régler, l'ajuster, le transformer et peut-être créer son propre prototype. C'est l'autonomisation technique et la (ré)appropriation des savoirs.
  • L'autoconstruction se nourrit et nourrit le réseau informel des producteurs biologiques. C'est la fonction de liant social, qui n'est pas la moins importante, pour le développement de l'agriculture biologique, ou pour les femmes et les hommes qui y contribuent.

Ce qu'Adabio explique pour le maraîchage biologique vaut aussi pour de nombreux secteurs d'activité. Derrière le DIY s'exprime une autre manière de construire ensemble.

De nombreux domaines d'application

On peut associer la formule « Do it yourself » au bricolage ou à la débrouillardise mais cela ne s'arrête pas là. Différents domaines adoptent et enrichissent la philosophie du DIY. Toute activité où l'on n'est pas seulement spectateur ou consommateur est potentiellement concernée :

  • Participer, et échanger ses connaissances, sa culture, son information, débattre et décider par exemple sur une encyclopédie libre, telle Wikipédia.
  • Les loisirs créatifs.
  • Le recyclage ou détournement d'objets.
  • L'auto-édition de livres, magazines...
  • Les groupes ou artistes solo libérant leur musique (musique libre) ou la finançant sans les maisons de disques.
  • En informatique, les logiciels libres, ou le hacking.
  • Dans le façonnage d'objets, par exemple l'impression de des pièces détachées pour prolonger la durée d'une machine.
  • Et même, en politique, l'autorégulation, l'auto-organisation, la démocratie directe.

En conclusion : la fin de l'obsolescence programmée ?

Au sein de ces lieux de fabrication, la créativité individuelle est encouragée autour du terme Do It Yourself. Cette philosophie représente un modèle d'innovation centré sur l'utilisateur, décrit par Eric Von Hippel : les consommateurs sont à l'origine d'une innovation ascendante, à hauteur de 77% pour les instruments scientifiques 2

La majorité de ces innovations issues d'un utilisateur ou bricolo-créateur (maker), intéressent dans un premier temps uniquement leur propre créateur, puis son entourage ou son milieu professionnel. Par les outils numériques grandissant, la distribution de ces innovations deviendrait un enjeu économique.

Selon une hypothèse, ce serait la fin de l'obsolescence programmée, puisque la fabrication d'objets libres permettrait de remplacer les pièces usées. Donc un progrès écologique et économique majeur. Selon l'autre, au contraire, il ne serait ni rentable, ni écologiquement soutenable que chacun puisse disposer de son usine locale de DIY, mais certains des auteurs du concept espèrent un jour en faire un périphérique distant, mais courant des ordinateurs individuels, permettant la création (éventuellement collaborative et libre) de nouveaux objets, ou la réalisation d'objets directement à partir de plans disponibles librement sur le web. Des logiciels libres pouvant également être utilisés.

Le développement de ce type de micro-usine, qui dépend aussi du maintien de la « bricolabilité » et donc de l'interopérabilité des dispositifs technologies informatiques, pourrait modifier voire bouleverser une partie des logiques d'offre et demande mises en place par l'économie industrielle et de marché des XIXe et XXe siècles.

Selon ses usages et localisations, l'esprit du DIY pourrait en effet contribuer à appauvrir ou exploiter des sociétés ou populations déjà appauvries ou vulnérables en délocalisant et dématérialisant l'emploi et la production là où l'offre serait la moins chère (avec probablement une protection sociale, sanitaire et environnementale moindre), ou au contraire libérer certaines populations de leur dépendance à des producteurs éloignés (en diminuant les coûts de transports, frais de licence, droit de propriété intellectuelle, etc.). De même selon la manière dont ils seront utilisés, ils pourront exacerber le gaspillage d'énergie et de ressource, ou au contraire s'inscrire dans une logique d'éco-développement. La diffusion de la culture DIY permettrait aussi théoriquement de faciliter la production et diffusion de faux ou de copies illégales d'objets matériels.

Les initiatives de DIY peuvent aussi être un outil d'aide à l'insertion et à la formation de publics en difficulté. Un moyen d'amener le numérique vers des publics peu enclin à l'usage de l'informatique et ainsi contribuer à l'e-insertion, à la réduction de la fracture numérique.


  1. Une entreprise peut décider de fabriquer des produits à « vieillissement programmé », ou encore non réparables parce que lors de leur sortie celui qui les remplacera est déjà à l'étude, ou parce qu'on estime que la réparation coûterait plus cher qu'un remplacement. Cela est vrai entre autres de biens de consommation courante (d’équipement des ménages notamment) comme les appareils électroménagers, les automobiles ou l’électronique grand public (postes de télévision et de radio, hi-fi, téléphones mobiles, ordinateurs...). Ces produits ne sont parfois pas conçus pour durer beaucoup plus que le temps d'arrivée sur le marché de leur remplaçant. Source Wikipédia, article Obsolescence. Voir aussi le film Prêt-à-jeter de Cosima Dannoritzer.
  2. Voir le site : opensourceecology.org
  3. Dans son Guide de l’autoconstruction : outils pour le maraîchage biologique, l'association Adabio diffuse des techniques d’autoconstruction résultant d’une part des savoir-faire collectés auprès de maraîchers, et d’autre part d’un travail d’amélioration technique mené par l’association. L’ouvrage collectif présente en 250 pages les techniques, les gestes de sécurité, et pour chaque outil, un tutoriel comprenant des explications, photos, schémas, plans, liste des pièces. Le tout sous licence libre. En savoir plus : www.adabio-autoconstruction.org
  4. Dans l'article Wikispeed, la troisième révolution industrielle en Open Source sur www.ouishare.net
  5. Le système Arduino est un outil pour fabriquer de petits ordinateurs qui peuvent capter et contrôler davantage de choses du monde matériel qu'un ordinateur de bureau. C'est une plateforme Open Source d'électronique programmée qui est basée sur une simple carte à microcontrôleur et un logiciel, véritable environnement de développement intégré, pour écrire, compiler et transférer le programme vers la carte à microcontrôleur coûtant à peine 20 dollars… » Voir : www.arduino.cc/fr.