Manuel d'eCulture générale
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A la recherche du manuel d'eCulture générale
À mes premiers pas sur le web en 1993, je me suis dit qu'il existait mode d'emploi clair pour manier cet outil. Mais aucun des plus expérimentés que moi ne me passait spontanément un manuel général de culture numérique. Alors j'ai pensé que j'étais trop paresseux pour demander, me renseigner, chercher sur le web justement. J'ai donc commencé intuitivement, activant inconsciemment les zones créatives de mon cerveaux, ouvrant mon coeur à l'immense potentiel de ce nouveau monde. Dans ces moments d'immersion dans l'écran, j'ai essayé de relâcher mes muscles pour ne pas mélanger communion virtuelle et blocage du dos à cause d'une mauvaise position devant d'ordinateur. Sweet surf land, c'est si bon surfer dans les ondes numériques. C'est le nouvel eldorado des artistes. Alors j'ai commencé à réorienter ma profession d'imagineur en créant des sites et donnant des cours. Puis avec des amis nous avons lancé Ynternet.org, devenue fondation pour contribuer à passer le message d'un Internet au service d'un monde plus juste. Nous gérions de l'argent public au service de la société civile, aussi nous voulions éviter le gaspillage d'avoir à réinventer la roue en rédigeant des fiches pratiques déjà existantes. Nous pensions que vu que le permis de conduire existait pour les voitures, il devait y avoir des documents du même type pour Internet, avec des posters, tableaux, schémas... Et bien sûr sans références à des marques de produit spécifiques, afin de laisser le choix à l'utilisateur. Nous avons cherché dans les écoles, les centres de formation pour adultes, les entreprises... Eh bien non. C'était à la fin des années 90. Il existait surtout des modes d'emploi de Microsoft. Mais aucun pas un tableau avec les 10 fonctions de base d'un système d'exploitation ou du traitement de texte. Ni même une liste des contenus de base d'un bon site perso sur le Web, quel que soit la plate-forme choisie. Et la netiquette, la base ? Elle existait, mais personne ne l'utilisait, car son language était très technique et il y avait peu de versions simplifiées, et elle ne traitait de loin pas tout. Donc aucune base culturelle commune formalisée en français. Ni même en anglais.
Ce manuel me manquait vraiment.
Bien sûr, cela fourmillait de modes d'emplois très intéressants. Mais la plupart n'offraient qu'une toute petite pièce du puzzle : soit un sujet très pointu comme l'histoire de la conception du protocole HTTP et des adresses IP, soit des produits spécifiques se prétendant généralistes comme le manuel MS-Word®, qu'il était de plus interdit de copier. Tous étaient trop loin de l'objectif d'inclusion numérique.
Les seuls manuel généraux d'utilisation facilement disponibles étaient technique, du style Vous souhaitez apprendre ou mieux comprendre Internet? Ce site vous aide à utiliser votre navigateur, vos courriels, les forums, le clavardage, à créer votre site. Ces manuels devenaient donc vite obsolètes, car les navigateurs changent, ainsi que les programmes de courriels, les plate-forme web... Alors j'ai commencé à mieux formuler les question : quels codes de conduites adopter ? Comment anticiper les erreurs, identifier les sources et la qualité des informations sur le web ? Comment rédiger et diffuser de l'information au mieux ? Comment modérer les rédacteurs, administrer un groupe de rédacteurs, former les administrateurs, et expliquer que tous les internautes sont les co-administrateurs de la société de l'information ? Et comment mettre tout ça en perspective avec des mots simples, des images, des schémas ? Pour obtenir des réponses, j'ai été voir les responsables de l'informatique dans les écoles, dans des foires informatiques, dans les magasins d'informatiques et chez les journalistes responsable des rubriques multimédias. Mais ils ne abordaient surtout les enjeux techniques, sans maitriser pas les aspects sociaux de l'informatique. Et dans les rencontres experts des sciences sociales, ils traitaient de changement de société mais sans le relier aux aspects pratiques d'Internet : fonctions génériques, niveaux d'alphabétisation... Ou alors ils y parvenaient mais seulement sur un sujet : l'émergence des blogs, la fracture numérique, la cyberintimindation, mais sans le relier à une vision globale et simple à comprendre. Comment mettre un internaute sur les bons rails dans ces conditions ? Je restais bien à l'écoute des informaticiens du terrain, ceux qui contrôles les serveurs Internet et nous facilitent la vie numérique. Eux qui m'ont donné la piste de la culture libre et la neutralité de l'Internet : liberté d'expression, logiciels libre, culture du dont, partage du savoir, reconnaissance des auteurs... Eux qui n'avaient pas le droit à l'erreur m'ont appris que la culture libre est la seule source fiable. J'ai compris que la culture libre était un gros morceau à découvrir avec patience, sur le long terme.
C'est dans ce contexte que j'ai commencé à participer à des programmes d'innovation sociale, pour un monde meilleur. Cela m'a conduit des banlieues de Dakar au siège de la Banque Mondiale à Washington à Porto Alegre au Brésil, en passant par des dizaines de forums sur tous les continents. Sommets mondiaux de l'ONU, groupes de travail académique, rencontres entre professionnels, Forum Social mondial... J'y glanais souvent quelques pièces du Puzzle de la culture numérique, notamment lors des incursions dans des petites associations locales qui avaient trouvé des pistes innovantes pour l'alphabétisation numérique. Mis à part les nombreux piques-assiettes, j'y ai côtoyé des idéalistes qui avaient des résultats bien concrets dans leur domaine : Armelle Chatelier et le passeport Internet pour les jeunes au Sénégal, Mille Bojer et le réseau pionnersofchange.net, Thanguy Nzue Obame animateur du Forum des amis du Net au Gabon, Paromita Goswani la libératrice d'esclaves en Inde, Kurt Woral-Clare formateur post-apparatheid de la police blanche dans l'Afrique du Sud de Mandela ; tous connectés pour mieux coopérer. En Écosse j'ai participé à la réunion mondiale des étudiants AIESEC, qui utilisent leurs fraiches compétences en gestion d'entreprise pour monter des projets d'entraide tout en spéculant sur les noms de domaines. A Porto Alegre, durant les forums sociaux mondiaux 2002 et 2003, nous organisions des formations de leaders sociaux africains pour qu'ils puissent créer leur premier profil sur un réseau social, et j'ai pu échanger avec le Gotha des médias indépendants. Idem au Sommet de Bamako en 2000 intitulé "internet, passerelle du développement", puis au Sommet Mondial pour la société de l'Information en 2003 à Genève, aux rendez-vous annuels de la WorldDidac et au forum global de la connaissance à Kuala Lumpur.
Ainsi j'ai vu les devants et les coulisses de la scène de l'Internet mondial, tant solidaire que spéculatif. En filigrane de ces rencontres, il m'est apparu que que la plupart de mes interlocuteurs n'arrivaient pas à décrire globalement et précisément la culture numérique. Nous étions toujours concentré sur cette idée d'un monde plus juste si internet est bien utilisé, et cherchions ce fameux manuel.
La solution : chercher des perles rares compétentes dans plusieurs domaines complémentaires. Informaticiens pédagogues, fonctionnaires visionnaires humanistes, entrepreneurs sociaux branchés de la première heure. Plusieurs d'entre eux m'ont à nouveau aiguillé sur la culture libre. Et je les ai cherché. Ils sont accessibles. J'ai ainsi eux la chance les rencontrer, eux les ténors de ce que l'on surnomme la communauté du libre : Richard Stallman, Antoine Moreau, Lawrence Lessig, Bernard Lang, plus tard Jérémie Nestel, et surtout celui qui est devenu un certain frère d'esprit, Raphaël Rousseau.
Grâce à eux l'image complète du puzzle a commencé à se dessiner bien clairement.
Réduisant mes activités pour prendre des mois sabbatiques, regardant la mer au-dessus de l'écran sur la terrasse, cumulant les nuits blanches de navigation sur le web, j'ai organisé cet ouvrage. J'ai dévié de mes projets locaux pour rédiger un manuel global dans l'espoir qu'il soit une base durable pour l'inclusion numérique. Pour qu'il puisse être distribué, adapté et décliné librement au travail, à l'école et à la maison.
Au final, la première version publique, sortie fin en 2010, a demandé deux ans de ma vie, par petites touches, depuis 1996.
A vous qui vous baladez si souvent dans le cyberespace, quelle que soit votre profession, votre âge, votre histoire, cette expérience appelée Netizenship vous est dédiée.
dans un encart
Un point c'est tout. Bien avant d'explorer le cosmos numérique, j’ai eu un prof de maths qui m’a beaucoup marqué. Il s'appelait Monsieur Comment, et cet encart lui rend hommage. Dans un collège public de Lausanne de style très classique, il nous partageait pleins de savoirs hétéroclites. Par exemple, il nous expliquait la numérologie ou l'astrologie tibétaine, alors qu’on avait 10 ans. Avec ça, les mathématiques devenaient passionnant et on bossait nos cours. Il avait réussi à nous transmettre une telle dignité humaine que lorsqu’il sortait de la classe pendant des examens pour fumer sa pipe, personne ne trichait sur son voisin. Je crois que cela avait à voir avec la qualité de ce qu’il nous apprenait. Le savoir qu’il partageait forçait le respect. Par exemple, il nous a appris la définition mathématique du point. A l’école, avez-vous appris quelle est la définition du point ? Un point : c’est tout ! Eh oui, c’est _tout_ un point (pour ne pas dire n’importe quoi justement). Rétrospectivement, avec un savoir basique comme "un point, c’est tout", j’ai l’impression d’en avoir appris beaucoup. Cela a fortifié ma vision du monde. Je sais sur quel point danser.
Intro Raph
Depuis le milieu des années 90, lors de leur apparition, j'ai vu les fournisseurs d'accès à Internet vendre la connexion au réseau des réseaux en faisant miroiter deux choses à leurs potentiels clients :
- Utiliser Internet, c'est juste une question de matériel et de service. Il suffit d'une connexion internet et d'un ordinateur et vous voilà parés (lors de la souscription, vous recevez généralement un CD-ROM avec un kit de connexion et quelques logiciels dont un de navigation, pas grand-chose de plus),
- Internet, c'est un univers fabuleux, quasi irréel (dans leurs publicités, les fournisseurs d'accès internet, montraient des gens qui étaient dans des mondes virtuels, leurs salons se peuplaient de créatures en images de synthèse)
C'est cet imaginaire-là que les clients ont acheté mais aujourd'hui, avec quelques années de recul, ils se rendent compte de tous les problèmes que l'on peut rencontrer sur Internet : spams, arnaques, cyberintimidation, malcommunication, etc. Il devient évident qu'on a quand même un besoin de formation, d'acquérir un certain nombre de savoirs et de savoir-faire, d'avoir un minimum de perspectives, de comprendre un petit peu à la fois le «qui est qui», qui fait quoi sur Internet et de connaître les enjeux de l'information médiatisée par l'électronique. Beaucoup cantonnent Internet à un nouveau minitel, un nouveau catalogue de vente à distance, un nouveau système postal ; tous ceux-là passent à côté du réel potentiel d'Internet, et en même temps Internet passe à côté de leur immense potentiel.
Par ailleurs, toute une frange de la population a été plutôt rebutée par cette vision d'un Internet de loisirs et de consommation, recherchant plutôt un outil qui leur permettrait de faciliter leur quotidien, de se relier aux autres, de renforcer leurs engagements au sein de la société.
Enfin, il y a tous les adultes qui n'ont pas de temps à perdre avec ces trucs-là et dont l'informatique n'est pas le truc ; ceux-là sont aujourd'hui légions et ne savent pas par quel bout prendre cette problématique : peur de se retrouver perdus dans un dédale sans repère, peur de s'adresser à leurs amis qui ont pris le train en marche depuis trop belle lurette pour perdre leur temps à revenir au B-A-BA, peur de demander à leurs enfants qui baignent dedans et s'agacent vite dès qu'on leur pose deux fois la même question, peur de ce que ces mêmes enfants pourraient faire à leur insu en tant qu'agresseurs ou victimes dissimulés derrière un écran...
C'est pour m'adresser à tous ces publics-là, que je rencontre depuis des années, que j'ai voulu participer à l'écriture de ce livre, car il aborde la plupart des sujets qui devraient faire partie de la boîte à outils de l'internaute ; afin qu'ils sachent ce qu'il y a en filigrane: des enjeux qui dépassent le loisir et la futilité. Il était essentiel de montrer comment se débrouiller sur le Net sans avoir à devenir informaticien.
Citations diverses (en option)
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Encart-s (en option)
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Photo galerie de portraits de Théo Bondolfi et Raphaël Rousseau
Sources (en option)
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