Les entrepreneurs sociaux

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Notions-clés: entrepreneuriat social, économie sociale, acteur du changement, incubation, richesse sociale, stress au travail, investissement, Energies Alternatives, ONG, solidarité, bien commun, réseau, social washing.

Profils-clés: Ashoka,Terre des Hommes, Weleda.


La définition d'entrepreneur social est vaste. Ce sont des entrepreneurs dans le sens où ils osent prendre des risques, tout en sachant les calculer et travailler en équipe pour toujours rester dans les chiffres positifs. Leur activité est durable. Lorsque l'utilité sociale est supérieure ou égale à la finalité économique, ce sont des entrepreneurs sociaux. Pour cela, ils doivent réussir à résoudre des situations qui paraissaient souvent insolubles si on se contente de suivre les lois du marché.

Les responsables d'entreprises actives dans l'ESS sont pour une bonne part, voire tous, des entrepreneurs sociaux. Leurs activités sont à la fois durables et utiles à la collectivité, quitte à générer un salaire ou des profits plus modestes, mais suffisants pour la viabilité de l'entreprise.

Par exemple, la créatrice d'une entreprise de crèmes de soins bio est sur le bon chemin comme entrepreneuse sociale, pour autant que les crèmes soient proposées dans des emballages recyclables, avec des sous-traitants (producteurs et distributeurs) bénéficiant de bonnes conditions de travail, impliqués comme partenaires dans la direction commerciale.

Deuxième illustration : un professionnel du marketing prend le risque de quitter son emploi pour se réorienter professionnellement. Il s'oriente vers la gestion des déchets sur les plages, considérant que c'est un scandale que tant de déchets, mégots de cigarettes, plastiques et autres, finissent dans la nature et polluent nos sols, notre air et notre eau. Il constitue une fondation avec deux retraités actifs qui l'appuient moralement et stratégiquement, et motivent deux amis à le seconder bénévolement quatre heures par semaine dans le démarrage de sa gestion administrative courante (comptabilité, fournisseur, site web...). Après plusieurs journées de réflexion en équipe, il conçoit, personnalise et commence à vendre des cendriers de poches aux hôtels et communes proches des plages concernées, pour qu'ils les offrent aux vacanciers et autres riverains. Après cinq ans de démarrage difficile où les résultats sont insuffisants pour en vivre dignement, il stabilise les revenus grâce à 1 000 petits clients et 10 grands. Il réussit à générer suffisamment de revenus pour couvrir durablement l'équivalent de trois postes de travail à temps plein, pour mener des campagnes de sensibilisation et coordonner un réseau d'une centaine de bénévoles. Il aurait pu créer cette même entreprise dans un but lucratif, et dès le succès économique, aurait pu revendre son fichier de clients à une multinationale du recyclage souhaitant profiter de ce marché émergent. Il aurait ainsi pu toucher un bon bénéfice. Il aurait aussi pu breveter son concept de cendrier de poche pour communiquer sur la gestion des déchets dans la nature (plages, pistes de skis...) et ainsi revendre le concept ou le louer en franchise. Mais il a préféré donner le libre accès à ses documents à toute personne souhaitant le copier pour mener des campagnes de sensibilisation comparables ailleurs sur terre, comme sur wikipédia.

On le voit, son esprit d'entrepreneur l'a amené à rester sur une ligne éthique forte, un choix d'utilité publique. Il ne touchera pas de jackpot, mais de quoi vivre dignement et économiser pour ses vieux jours. C'est un vrai entrepreneur social. Cet exemple est réel, il s'appelle Laurent Thurneer. Il a la quarantaine et dirige la fondation Summit. C'est le partenaire d'Ecopol pour la gestion des déchets. Il forme des responsables pour mener des campagnes en fonction du lieu pour concevoir des systèmes de gestion des déchets performants, etc.

S'il continue ainsi, à la fin de sa vie Laurent laissera un patrimoine sous la forme d'une institution bien rodée (la fondation Summit), dans laquelle l’œuvre aura dépassé l'homme. Reposant sur des valeurs fortes, cette institution a une grande probabilité de durer après le départ du fondateur, et de garder relativement intacte l'intention initiale.

Nous pouvons aussi citer la multinationale Weleda (propriété d'une fondation à but non lucratif anthroposophe créée par Rudolf Steiner), Greenpeace ; la Croix Rouge ; le comité international olympique ; mais aussi Victorinox (couteaux suisses) ; Mondragon (coopérative hispano-française de plus de 60 000 employés dont une bonne part sont copropriétaires ; la NEF (France), banque à but non lucratif !

Agents du changement et intrapreneurs sociaux

Certains entrepreneurs choisissent de faire participer les employés à la direction de leur entreprise, alors que personne ne le leur demande. En créant par exemple une coopérative cogérée par les employés les plus expérimentés, comme Mondragon au pays Basque, qui a plus de 50 000 employés dont plusieurs milliers sont copropriétaires, ou le réseau de coopératives Energies Alternatives en France, qui stimule des milliers de petits artisans ayant perdu leur emploi à démarrer une activité génératrice de revenus dans un réseau de solidarité durable.

Tous ces cas sont encore rares, et rarement médiatisés, mais ils existent. Si ce livre en parle, c'est pour leur témoigner reconnaissance et encourager d'autres vocations.

Les entrepreneurs sociaux font partie d'une famille plus vaste, celle des agents du changement, en anglais change makers. Ils incarnent la transition vers cette économie nouvelle sans nécessairement être créateurs d'entreprises sociales. Sans être initiateurs ou leaders d'une entreprise, les agents du changement contribuent significativement à transformer le potentiel de l'organisation au sein de laquelle ils œuvrent. Ils sont un véritable moteur de performance au quotidien, tout en restant focalisés sur la dimension humaine et le bien commun.

Une bonne part des agents du changement sont « sécurisés » financièrement, dans le sens où ils ont un contrat d'emploi fixe. Ce sont donc des intrapreneurs sociaux. C'est-à-dire des employés avec un comportement d'entrepreneurs et de fortes valeurs sociales. Ils sont, en quelque sorte, des « infiltrés » au sein même des entreprises. Anges gardiens, facilitateurs, ils en font plus que leurs collègues, sans attendre un retour financier supplémentaire. Le mérite des intrapreneurs est de faire évoluer les pratiques dans une structure programmée pour stagner.

Plus largement, l'intrapreneur social propose des innovations à but non (ou peu) lucratif, mais qui vont souder les collaborateurs et améliorer la qualité du travail de l'entreprise ou de l'administration publique. Ils plantent des graines qui porteront leurs fruits à moyen et à long terme. C'est par exemple le cas d'un cadre qui parvient à créer une section microfinance ou un fond de solidarité au sein d'une grande banque ou d'un grand groupe financier. Plus largement, c'est le cas de toute personne qui propose à sa direction un changement dans la gestion courante, servant les intérêts de la société en général. Ils peuvent par exemple faciliter le partage d'information et la cohésion sociale, au détriment de la compétition aveugle et des stratégies visant le rendement à (très) court terme qui dominent trop souvent.

Néanmoins, si les porteurs de projets peuvent être sincères dans leur engagement, la direction de l'entreprise, elle, peut se saisir de ces innovations pour redorer son image. Après le greenwashing, le risque de social washing n'est pas très loin. Il n'empêche que l'intrapreneuriat social témoigne d'une évolution des pratiques ou tout au moins d'une prise de conscience.

Mais il existe encore une autre catégorie dans les agents du changement. Alors que les entrepreneurs sociaux sont souvent spécialisés dans un domaine ou concentrés sur une thématique, les complexity managers sont des généralistes de la gestion transversale concernant une multitude de problématiques. Ils sont donc capables d'influer en profondeur sur des décisions clés (voir l'article « Les gestionnaires de la complexité »).


Notes et références