Le contrat social Ecopol
En fait, le nombre exact de critères de succès s'adapte et évolue en fonction de plusieurs paramètres : la culture locale, les avancées sociales qui font que certains aspects deviennent progressivement normaux et non plus innovants, et bien sûr le profil des cohabitants, dont le chemin vers la simplicité volontaire peut prendre des formes très variées.
Cet article est un avant-goût du tome 2, qui décrit les détails très pratiques de ce contrat social, et surtout la manière de le gérer au quotidien. Car c'est dans les détails de gouvernance, de prise de décision, que les dynamiques de groupe se renforcent ou s'affaiblissent. Les critères qui suivent donnent des bases générales.
1. Des règles de gestion courante basées sur la reconnaissance de l'incertitude et sur la modération à la demande.
Incertitude s'entend ici par l'acceptation que les bonnes relations ne tombent pas du ciel, qu'il s'agit de les cultiver, et d'accepter le fait qu'il y ait des transitions personnelles à gérer dans notre relation à nous et aux autres. Se remettre ainsi parfois un peu en question, c'est le critère le plus difficile à appliquer, un symbole du vivre ensemble.
Modération dans tous types de relations : en tout temps, un-e cohabitant-e peut demander à tout-e autre cohabitant-e d'adopter un comportement plus modéré sur des aspects de la vie en commun (bruit, nettoyage, soins…), afin de préserver la qualité de vie.
2. Une période d'essai (6 à 24 mois) pour les nouveaux habitants.
C'est un élément qui revient souvent dans ce livre, car il fait une vraie différence entre voisinage figé et communauté intentionnelle évolutive. La période d'essai, c'est d'une part une manière de laisser sa chance à tous les candidats motivés. Cela permet d'éviter de projeter des peurs ou d'exclure une personne sur la base de signaux trop subjectifs avant d'avoir fait une vraie expérience pratique sur une période permettant une évaluation relativement objective. Pour faciliter cette transition, les coresponsables aident la personne à l'essai à conserver son logement précédent pour pouvoir y revenir, à rebondir ailleurs si besoin, à emménager et déménager, en bonne solidarité.
Ensuite peut être signé un contrat à durée indéterminée, pour la vie !
L'objectif est qu'après 3 à 7 ans de cohabitation, la grande majorité des cohabitants d'un Ecopol (au moins les deux tiers) aient ainsi un contrat de durée indéterminée (« à vie »). On parle alors d'une communauté stabilisée, dans laquelle les cohabitant-e-s se sont choisis en bonne connaissance de cause. Il existe toujours un risque de conflits, néanmoins les modalités d'applications des règles de cohabitation étant clairement formalisées dans la démarche Ecopol, ce risque est moindre que dans un cohabitat aux règles informelles.
3. Un budget en commun d'environ 300.- chf par mois, pour partager espaces et services, complétant le loyer à prix abordable.
Ce budget fait lui aussi une grande différence avec des écoquartiers techniques sans partage économique ou certains écovillages du GEN. Les cohabitants choisissent quels produits et services acquérir avec ces fonds. Certains sont évidents, comme la connexion internet qu'il est peu logique de payer chacun séparément dans son foyer, ou la conciergerie des espaces communs. D'autres aspects sont plus spécifiques, comme des aménagements complémentaires, des consommables de base (papier WC, produits de nettoyages, café).
Participer à un budget commun est aussi une bonne raison de se réunir pour décider ensemble de l'usage de ces fonds, d'où le point 4.
4. Réunion de gestion courante de 4h/mois, obligatoire, avec PV.
Après plus de 500 réunions en 20 ans, nous avons réussi à codifier les 3 aspects essentiels d'une bonne réunion de cohabitants :
- une seule réunion par mois, traitant uniquement des sujets concernant tous les cohabitants, pour ne pas s'épuiser en réunion
- aucune discussion longue sur quoi que ce soit pendant cette réunion, mais au contraire présenter les résultats de création préalable de consensus pendant le mois écoulé, et faire valider les décisions
- peu de décisions mais beaucoup d'informations, d'avis, de coordination d'agendas ; par exemple pour les dates de voyages (si presque tous les cohabitants décident de partir à Noël, un Ecopol peut être difficile à gérer par les rares personnes restantes).
En parallèle, un repas par mois est organisé, non obligatoire, pour la convivialité et les partages émotionnels. De plus, les divers responsables des groupes de travail (potager, ménage, machines…) s'activent tout le mois pour assurer la viabilité de la communauté selon les besoins, en utilisant les outils numériques pour des sondages d'opinions et d'éventuelles décisions par voie de circulation.
5. 100 à 200 heures par an de contributions volontaires, pour repas, jardin, administration, accueil, promo …
Voici des exemples de contributions volontaires :
A - Contributions fortement conseillées pour tous :
- participer au week-end annuel de fête à la maison (2 jours)
- participer au week-end annuel d'EVC (2 jours)
- journée de gros rangement à faire ensemble en printemps et en automne.
B - Contributions différentes de chacun, en fonction des compétences, disponibilités, motivations et appréciations des autres cohabitants (quelques exemples, beaucoup d'autres options sont possibles) :
- organiser un repas entre cohabitants tous les 2-3 mois (4h)
- coanimer une soirée de 1er contact cohabiter et coopérer (4h à 6h)
- aider à tenir un stand de présentation de la démarche Ecopol (4h-8h)
- gestion du site web de l'Ecopol spécifique, infos aux sympathisants
- gestion des machines, outils et local technique (1h-2h par mois)
- support informatique (internet, imprimantes) (1h-2h par mois)
- entretien courant de l'intérieur, ménage, stock... (1h à 8h par mois)
- entretien extérieur jardin, poulailler, terrasses…(1h à 8h par mois)
- réunions de coresponsables pour appliquer le règlement ...
- soutien personnel à des membres (nouveaux arrivants, malades...)
- organisation de fêtes spéciales (Noël, nouvel an, été...)
- évaluation des nouvelles candidatures, gestion des baux à loyer
- achat des consommables pour tous et tenue du budget commun
- aide à l'emménagement et au déménagement des cohabitants
- nouveaux aménagements techniques d'intérieur et d'extérieur
- gestion d'une bibliothèque commune
Ces prestations sont réalisées par les coresponsables, cohabitants déjà établis qui ont déjà signé le contrat à durée indéterminée (potentiellement à vie) après leur période d'essai. Ils ont donc adhéré à ce contrat social Ecopol.
Les prestations essentielles pour tous les cohabitants de l'Ecopol, comme l'entretien courant ou la vérification du paiement des loyers, font l'objet de contrat de prestations avec un budget ; ceci permet aux coresponsables de trouver un ou des prestataires et de vérifier que la prestation est bien fournie, avec un paiement au prestataire après livraison du résultat attendu, couvert par les fonds « art de vivre Ecopol » mis en commun chaque mois. Par exemple pour l'établissement des contrats de bail, qui peut être sous-traité à la direction de la coopérative propriétaire.
Il est néanmoins conseillé d'éviter les sous-traitants, de faire le plus possible soi-même en coordonnant un groupe de contributeurs, surtout s'il s'agit de petites activités où le contrôle de la qualité de la prestation d'un tiers est plus long que de fournir soi-même la prestation. Plus les prestations sont entièrement réalisées par les co-responsables, plus on peut considérer que l'Ecopol est autonome.
Les autres activités moins essentielles sont fortement encouragées, mais réalisées seulement si les coresponsables en ont la force, sans garantie de grands résultats les premières années. Par exemple : jardin potager, fêtes et formations pour la bonne dynamique de groupe, nouveaux aménagements… Un engagement progressif, un état d'esprit dès le début.
Les nouveaux arrivants, pendant leur période d'essai, contribuent à bien s'intégrer. Ils assistent les coresponsables le mieux possible dans ces petits groupes de travail. Ils peuvent aller jusqu'à décharger les coresponsables à 95 %, s'ils en ont les moyens, ce qui est souvent le cas selon leurs talents en cuisine, informatique, jardinage…
Lorsque de nouveaux arrivants nous posent la question du degré d'engagement, nous leurs répondons que les coresponsables s'engagent en moyenne sur 200 heures de contributions volontaires, que ces 200 heures incluent de nombreux moments de partage sympathiques (voir le point 5, contributions volontaires), et que la période d'essai leur permettra de voir si cette formule leur convient.
Un jour de contribution équivaut à huit heures. 100 à 200 heures par année correspondent à 12 à 24 jours. En s'engageant de manière autonome et positive sur un minimum de 12 jours par an, un nouvel arrivant donne déjà un signal positif tout à fait acceptable pour une cohabitation durable.