Entretient avec un cyberactiviste

De Wiki ECOPOL
Révision datée du 14 juillet 2011 à 10:53 par Sev (discussion | contributions) (Page créée avec « ''Article paru dans No Pasaran, n°77, hiver 2009-2010'' Nous avons demandé à Pedro son avis sur l'évolution des TIC. Depuis bientôt 15 ans que nous nous croisons, que n… »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

Article paru dans No Pasaran, n°77, hiver 2009-2010

Nous avons demandé à Pedro son avis sur l'évolution des TIC. Depuis bientôt 15 ans que nous nous croisons, que nous luttons côte à côte, que nous le désepèrons et que nous le harcelons de nos demandes et de nos questions, il nous a semblé intéressant d'avoir son point de vue ; cyberactiviste, contrairement à nous, il est, comme nous, un infatigable activiste de la solidarité.

No Pasaran : un cyberactiviste, c'est quoi ?

Pedro : Le mot recouvre deux réalités, celles des utilisateurs et celles des producteurs. Les cyberactivistes utilisateurs, ce sont des gens qui utilisent Internet principalement dans le cadre de leurs activités militantes, soit publiquement, soit de manière interne. Le deuxième groupe, celui des producteurs, que j'appellerai hacktivistes, ce sont des techniciens de l'Internet, des informaticiens, qui vont mettre à disposition des outils pour d'autre groupes. Parmi ces hacktivistes, tu retrouves des militants du logiciel libre, ceux qui vont permettre de faire un site Internet, de faire un forum etc., des gens qui font de l'hébergement alternatif comme Globenet, Samizdat, Lautre...

Et les antitechs?

On peut poser la question du rapport à ces outils. Face à ces gens qui sont friands de nouvelles technologies, il y un certain nombre de gens qui vont développer des arguments contre. Ils dénoncent les nouvelles technologies en exposant les dangers que ça peut produire. Mais il y a aussi une forte réticence face à un certain nombre de nouveaux outils qui est selon moi assez symptomatique du milieu militant : c'est un point de vue intermédiaire.

Les militants sont-ils naturellement conservateurs ?

Il y a des formes de résistance. Les militants trouvent ça trop pointu, trop compliqué. Ils n'ont pas l'habitude, un peu comme tout le monde. Il y a dix ans, lorsqu'on parlait de Linux dans les milieux militants, on passait un peu pour des extraterrestres. Aujourd'hui, tu peux arriver dans un local d'un groupe militant où il y a des ordinateurs sous Linux, et les gens s'en servent quotidiennement. Donc, il y a une évolution, et elle s'est faite aussi grâce aux outils disponibles. Un certain nombre d'outils sont devenus plus simples à utiliser. Il y a dix ans, tu voulais faire un site web en HTML (langage pour faire un site), tu ne pouvais le faire qu'avec des connaissances techniques pointues. Aujourd'hui, tu peux installer un logiciel qui te permet de faire un site Internet en trois clics.

La question qui se pose si tu acceptes d'utiliser ces outils, c'est à qui tu confies tes données?

Oui, car c'est bien joli que Free ou France Telecom ou Google te proposent un hébergement gratos ; mais si tu stockes tout chez eux, le jour ils décident de rendre le service payant, de couper l'accès parce que le contenu est politiquement incorrect, ou parce qu'ils ont une réquisition des flics pour savoir qui a envoyé un mail à qui, tu te retrouves confronté à un gros problème. Entre un hébergement mainstream, gratuit, et un hébergement alternatif un peu moins accessible mais où tu as plus de garanties sur la protection de tes données, qui choisit l'hébergeur alternatif ? Quand tu vois le nombre de blogs, de sites, de listes de diffusion de groupes militants au sens large, quelle que soit leur activité, qui sont sur des hébergeurs commerciaux, ça veut dire que les gens ne se sont pas posé la question.

Toi qui es un utilisateur et un hacktiviste depuis des années, quelle évolution des pratiques militantes observes-tu, mise à part l'effort de démocratisation ?

Et bien, probablement pas que du positif. Tu as une circulation de l'information qui n'a jamais été aussi rapide, mais le revers de la médaille, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui restent le cul derrière leur ordinateur. Parce qu'ils envoient une info ou qu'ils la relayent, ils ont l'impression d'avoir accompli un acte militant fort. C'est une forme d'activité qui n'est pas totalement négligeable, mais il y a la vraie vie aussi... de temps en temps ça fait du bien d'aller en réunion, ou en manif !!! On retrouve le travers d'un certain nombre de gens qui pensent que la technologie résoud tout. Or ce n'est pas parce que tu mets un agenda en ligne que les gens vont aller s'en servir et que tu vas pouvoir caler une date de réunion plus facilement...

Il y a aussi une évolution qui n'est pas directement liée à la question des pratiques du monde militant mais qui me paraît fondamentale, c'est la question du contexte juridique et législatif. Depuis une dizaine d'années, on va de plus en plus vers des restrictions des libertés, avec un arsenal juridique de plus en plus répressif. C'est un élément dont les gens ne sont pas forcément conscients. Que ce soit avec un ordinateur ou un téléphone portable, tu laisses des traces. Aussi, pose toi la bonne question : quel usage intelligent tu peux avoir de ton ordinateur et de ton téléphone portable ? Essaye d'avoir conscience de ce que ça peut t'apporter et de ce que ça peut te coûter. Et selon ce que tu fais, tu peux penser à laisser ton téléphone portable chez toi, et ce n'est pas être antitech que de dire ça : si j'avais un discours antitech, je te dirais : n'utilise pas de téléphone portable.

Dans le milieu des années 1990, Internet a été un vecteur de mobilisation ; dans les années 2000, avec la généralisation d'Internet, on a l'impression qu'Internet est devenu un moyen de consommer du militantisme et non plus de se mobiliser...

Tu as toujours eu de la consommation, sous des formes différentes. Et je ne suis pas convaincu que ce soit Internet qui ait suscité quelque chose au milieu des année 1990. Il y a eu des mouvements, des mobilisations comme l'EZLN, et de là sont nées des formes de communication (Indymédia pour Seattle). Tu as des mouvements qui utilisent des nouveaux outils de communication, mais il n'y a pas d'outils qui soient à l'origine des mouvements. Prenons l'exemple zapatiste : que les messages du sous-commandant Marcos soient diffusés sur Internet, ça contribue à la diffusion, à l'information, mais ça ne fait pas la mobilisation. Après qu'on puisse dire que le mouvement zapatiste renforcé parce qu'il recevait des 3 messages en retour qui disait on est avec vous, on peut vous aider, certainement.

Que penses-tu des réseau sociaux et de leur utilisations par le monde militant?

J'ai toujours l'impression que le milieu militant a trois temps de retard. On sait que Facebook garde un certain nombre de données, mais je m'interroge sur l'intérêt pour des collectifs (pas pour des individus) à avoir une certaine visibilité dans ce type de lieu/ espace. Je vais nuancer, cependant. J'ai trouvé complètement délirant que, sur Seconde Life, il y a un an ou deux ans, il y ait eu une manif virtuelle parce que le FN avait ouvert un bureau virtuel. Que des gens ne veuillent pas du FN sur Second Life, très bien ; en même temps, tu ne les verras jamais dans une manif antifa dans la rue quelle qu'elle soit... C'est le paradoxe : tu as des gens que tu ne verras jamais dans un espace réel comme une manif ou un débat, et pourtant, n'y a t il pas un intérêt à essayer de les toucher dans les lieux virtuels qu'ils fréquentent ? Facebook, c'est 300 millions d'utilisateurs, la population de États-Unis... Après, c'est pas parce que tu auras fais ta page sur Facebook que ton travail militant sera fait, mais ça pourrait être aussi un outil à exploiter...