Proposition d'Emilie

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Les paragraphes de cet article

1.1 1984, un livre précurseur

1984, une société sous dictature, une population sous surveillance constante, et tout cela grâce aux outils technologiques, dont notamment les caméras. La technologie, et plus précisément l’omniprésence des écrans, semble être une forme de religion moderne. Voici la sombre prédiction que Georges Orwell nous livre dans son ouvrage, écrit en 1948, et qui dénonce ainsi toutes formes de totalitarisme. L’auteur a imaginé une société dans il existe un pouvoir central, «Big Brother» qui a une mainmise extrêmement forte sur ses concitoyens. Le livre est précurseur. Il met en lumière de nombreuses peurs liées à la technologie qui ont actuellement cours. Bien plus que l’aspect purement technologique, la méthode «Big Brother» imaginée par Georges Orwell vise à la destruction de l’esprit critique du peuple. Ainsi, par la réduction du champ lexical et de ce fait la limitation du langage, il n’est plus possible de penser. Les individus ne peuvent plus s’interroger, débattre ou critiquer. La capacité de réflexion est ainsi annihilée.

1.2 Big Brother, entre rejet et attirance

2010, les correspondances se font par courriers électroniques, les échanges financiers sur des plateformes internet ou par des cartes de crédits, les échanges sociaux sur des réseaux réservés à ceux-ci, tels que Facebook. A l’heure où une bonne partie de nos activités peuvent être enregistrées, la question de la traçabilité doit être posée. Les cartes de fidélité utilisées dans certains magasins, par exemple, gardent une trace des achats et constituent des bases de données exploitables. De nombreuses villes mettent en place des systèmes de vidéo-surveillance, la liste est longue. Sommes-nous alors réellement en voie de «Big Brotherisation», Georges Orwell avait-il raison?

1.2.1 Big Brother: ennemi numéro 1

De nombreux mouvements sociaux, politiques et commerciaux ont repris l’expression «Big Brother», le plus souvent de manière péjorative, pour critiquer un mode de société. Incarné par des machines, ce «Grand Frère» serait l’incarnation de la surveillance à outrance. Caméra de vidéosurveillance, traces informatiques, fichiers policiers informatisés, autant d’outils à sa disposition pour contrôler la population, seraient ainsi dénoncés par son biais. L’idée centrale défendue par ces mouvements de critique est celle que l’usage des machines sert une minorité de personnes au pouvoir, au détriment de la majorité sous domination. L’informatique en général est alors pour eux un moyen d’asservissement.

1.2.2 Big Brother: la société du spectacle dans sa pleine essence

Mais si les gens en ont peur, beaucoup sont attirés par une certaine forme de surveillance, rupture entre la sphère publique et privée. Pour preuve, le célèbre réseau Facebook, sur lequel il est possible de partager informations et photographies, et qui permet également, à l’aide d’un système de repérage informatique, d’indiquer aux autre contacts le lieu où le membre se trouve. Le réseau social s’est également doté d’un système de repérage facial, qui permet d’identifier les membres dès le moment où un de ceux-ci postent des photos en ligne. L’usage commercial le plus célèbre de l’expression «Big Brother» est celui de l’émission du même nom. Pionnière dans la catégorie des «reality show» (télé-réalité), cette émission offre la possibilité d’observer nuits et jours un groupe de personnes enfermées dans une maison. Chaque pièce est équipée de nombreuses caméras, chaque mouvement et chaque conversation sont enregistrés. Le public peut donc suivre la vie de ces personnes heure après heure, et décider chaque semaine qui doit quitter la maison. Il n’y a qu’un seul gagnant à la fin, les autres participants rentrent chez eux avec pour seule consolation une gloire éphémère. Caméras de surveillance, pouvoir central qui décide de l’avenir des participants, nombreux éléments de la fiction de Georges Orwell se retrouvent dans ce jeu pourtant à l’apparence innocente. Mais le phénomène va bien au-delà de ce que l’auteur avait imaginé. Les participants offrent de leur plein gré leur liberté. C’est un renoncement volontaire à l’être pour le paraître afin de gagner argent et gloire. La réalité a alors dépassé la fiction.

1.3 Big Brother et Netizen, deux symboles

Le phénomène «Big Brother» permet alors de soulever de nombreuses questions, dont notamment les problèmes de centralisation de l’information, de la concentration des pouvoirs sur internet ainsi que de la manipulation de l’information. Ainsi, il permet de remettre en question certaines utilités discutables de ces systèmes d’accumulation de données. Internet a opéré un changement, non pas en termes de qualité, d’absence de qualité, ou encore d’équité de traitement, mais en terme de quantité. Il donne ainsi accès à des bases de données centralisées, à l’échelle mondiale, et non plus d’une région ou d’un groupe. Un phénomène de mondialisation de la surveillance peut alors être mis en lumière. Le risque sous-jacent de la concentration des pouvoirs, notamment sur internet, est celui d’une fragilisation de la société civile par la fabrication d’un consensus et ainsi d’une réduction de la dynamique démocratique. Google, par exemple, est un outil centralisateur mais si à court terme l'impression donnée est celle d'un contrôle absolu des informations, le risque reste faible car la centralisation va à l’encontre de la nature du numérique et est donc incompatible avec le long terme. En d’autres termes, internet est constitué en diaspora, personne ne peut accéder au tout. Les propriétés du réseau font que les informations sont morcelées. (Au sujet du risque de centralisation, voir article sur les propriétés socio-techniques [[1]])

1.3.1 L’utilisation fait la différence

Les constats faits au sujet de l’avancée technologique ne doivent toutefois pas mener à la paranoïa. La technologie ne peut être ni bonne, ni mauvaise, tout dépend de l’utilisation que l’on en fait. La diaboliser ou la magnifier est une erreur. Ainsi, l’esprit critique, mis à mal dans la fiction de Georges Orwell, constitue la porte de secours. Le défi réside en la capacité de se positionner en ayant suffisamment de regard critique. La somme des micros-décisions individuelles peut faire le poids contre une concentration des pouvoirs. Si internet possède des outils de traçabilité, la population possède la possibilité de choisir ce qu’elle livre à internet. Une des clés pour se protéger réside notamment en un travail de formation et d’information. Par l’éducation en profondeur, la conscience d’usage des outils technologiques peut être augmentée. Anticiper les risques est ainsi se rendre responsable de la création de nos propres outils et en mesurer les conséquences. De plus, des consciences citoyennes, notamment les hackers, veillent et il existe de nombreux logiciels libres. A noter également que si des enquêtes menées sur le pouvoir excessif de Google sont effectuées (voir encart sur la lettre des responsables de la protection des données adressée à la direction de Google), les bases de données, au contraire, restent encore trop peu contrôlées, notamment dans la question de savoir quelles sont les personnes qui ont accès à ces informations. Les logiciels SAP (Systems, applications and products for data processing) sont utilisées notamment dans la gestion financière d’une entreprise, et gèrent entre autres les bases de données de paiement. Le fonctionnement de ceux-ci peut être défini comme un système d’information centralisé.

1.3.2 Netizen: les consciences citoyennes

Mais si les médias peuvent favoriser la concentration des pouvoirs, ils peuvent également accélérer son partage. Grâce aux nouveaux médias, l’action citoyenne peut être amplifiée. Une nouvelle catégorie de citoyens est alors apparue, les citoyens du net, appelés également les netizens. Ainsi est né un esprit de citoyenneté numérique, et la gestion des réseaux associatifs peut alors s’organiser. Wikipedia, par exemple, a déjà fait ses preuves. Ces expériences sont basées sur l’équité des chances: chacun peut proposer des améliorations, et sera jugé par ses pairs, sans discrimination. Les netizens sont alors un symbole différent de «Big Brother». Si celui-ci illustre la complète centralisation, capable de contrôler sans permettre aux gens de s’impliquer, les premiers sont l’incarnation de l’implication sur internet. Ils sont ainsi la preuve que le web n’est pas synonyme de chaos, mais qu’il est composé de nouveaux codes qu’il faut intégrer.

Les encarts de cet article

Le programme ECHELON

Programme international créé par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans le cadre du traité d’UKUSA, Echelon est un réseau d’écoute ayant pour objectif d’intercepter les communications publiques et privées, quelles qu’en soit le support. Ainsi, pour les communications écrites, le système trie l’information en fonction d’une liste de termes et pour les communications orales, à l’aide d’un système de reconnaissance vocale. Le principal contributeur et utilisateur de ce programme est le National Security Agency (NSA), agence de renseignements américain. Il est également géré par les services de renseignement des autres pays fondateurs. Si le programme est désormais connu, il est resté pendant plus de quarante ans inexistant aux yeux du grand public. Le parlement européen a notamment voté une résolution sur ce système d’interception des communications privées et économiques.

«Don’t hate the media, become the media»

Si les medias peuvent parfois être accusés de surveillance abusive, de collecteurs de nombreuses informations ainsi que les promoteurs d’une vision erronée du monde, en d’autres termes, d’être liberticides, ils possèdent de nombreuses qualités. Ainsi, ils permettent de mettre en valeur la diversité des idées, des pratiques et des regards et donc d’un partage global de connaissance visant à valoriser les différentes cultures. Jello Biafra, musicien et activiste de la culture punk américaine, est un des grands défenseurs de cette idée. Lors d’une conférence sur les enjeux des médias, à la question: «Faut-il se méfier? Ne faudrait-il pas les rejeter comme dans 1984?», il répondit « Don’t hate the media, become the media!» (Ne hais pas le média, sois le média!). Il souligne ainsi l’importance de l’implication citoyenne et la prise de responsabilité qui permettent de retrouver le contrôle des informations.

Lettre au chef de la direction de Google Inc.

Lettre signée par les dix représentants des autorités de protection des données de l’Allemagne, du Canada, de l’Espagne, de la France, de l’Irlande, d’Israël, de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas de l’Italie et du Royaume-Uni. Ces dernières font part à la direction de Google de leurs préoccupations concernant la protection de la vie privée des utilisateurs du célèbre moteur de recherche, notamment dans le cadre des nouveaux programmes Buzz et Street View.

Le 19 avril 2010 Monsieur Eric Schmidt Président du conseil d’administration et chef de la direction Google Inc. 1600 Amphitheatre Parkway Mountain View CA 94043 États-Unis

Monsieur,

Google est une entreprise novatrice qui a transformé l’utilisation d’Internet partout au monde. Nous reconnaissons les nombreuses réalisations de votre entreprise ainsi que sa grande influence sur l’économie de l’information. À titre d’organisme de réglementation chargé de protéger le droit à la vie privée, nous nous réjouissons de votre participation aux discussions ayant lieu dans de nombreux pays sur les nouvelles façons de protéger les données personnelles.

Toutefois, nous nous inquiétons de voir que trop souvent, le droit à la vie privée des citoyens du monde est laissé de côté alors que Google introduit de nouvelles applications technologiques. Nous avons été troublés par votre lancement récent de l’application de réseautage social Buzz, qui a été fait dans le mépris des normes et des lois fondamentales en matière de protection de la vie privée. En outre, ce n’était la première fois que votre entreprise omettait de tenir compte du respect de la vie privée en lançant de nouveaux services.

Les entraves à la vie privée liées au lancement global initial de Google Buzz le 9 février 2010 étaient sérieuses; elles auraient dû vous être clairement apparentes. Essentiellement, vous avez pris Google Mail (Gmail), un service de courriel Web privé de personne à personne, et en avez fait un service de réseautage social, ce qui a soulevé des inquiétudes parmi les utilisateurs quant à la communication de leurs renseignements personnels. Google a attribué automatiquement aux utilisateurs un réseau d’« amis » constitué des personnes avec lesquelles ils communiquent le plus fréquemment, sans informer d’abord de manière adéquate les utilisateurs quant au fonctionnement de ce nouveau service ni leur fournir assez d’information pour leur permettre de donner un consentement éclairé. Attribuer automatiquement aux utilisateurs un réseau d’« amis » constitué des personnes avec lesquelles ils communiquent le plus fréquemment va à l’encontre du principe fondamental selon lequel les personnes doivent pouvoir contrôler l’utilisation faite de leurs renseignements personnels.

Les utilisateurs ont immédiatement reconnu une menace à leur vie privée et à la sécurité de leurs renseignements personnels, et ont été, à juste titre, outrés. À votre décharge, Google leur a présenté ses excuses et a agi rapidement pour remédier à la situation. Si votre entreprise a corrigé les atteintes à la vie privée les plus graves posées par Google Buzz à l’issue de ce tollé public, et qu'elle a récemment demandé à tous ses utilisateurs de confirmer à nouveau leurs paramètres de confidentialité (le 5 avril 2010), nous continuons d’entretenir des préoccupations très sérieuses à l’idée qu’un produit ayant une si grande incidence sur la vie privée de ses utilisateurs ait pu être lancé au départ. Nous nous serions attendus à ce qu’une entreprise de votre envergure donne l’exemple. Lancer un produit en mode « beta » n’est pas un substitutif à l’adoption préalable de mesures permettant de veiller à ce qu’un nouveau service soit conforme aux principes relatifs à l’équité dans le traitement de l’information.

Il est inacceptable de lancer un produit qui rende publics des renseignements personnels sans l’accord des intéressés, avec l’intention de régler par la suite les problèmes susceptibles de se poser. La protection de la vie privée ne doit pas être reléguée au second plan dans l’empressement de proposer de nouvelles technologies en ligne aux utilisateurs du monde entier.

Malheureusement, Google Buzz n’est pas un cas isolé. Google Street View a également été lancé dans certains pays sans égard aux lois sur la protection des données et de la vie privée, ni aux normes culturelles. Dans cet autre cas, vous n’avez redressé qu’après coup les atteintes à la vie privée que constituaient des pratiques telles la diffusion d’images non brouillées où l’on pouvait voir des visages, et des inquiétudes persistent quant au caractère adéquat de l’information que vous fournissez avant que ces images soient saisies. Nous reconnaissons que Google n’est pas la seule entreprise en ligne à avoir omis de tenir compte du respect de la vie privée de ses utilisateurs au moment de lancer de nouveaux produits. À titre de chef de file du monde virtuel, nous espérons cependant que votre entreprise saura devenir un modèle exemplaire. Nous vous demandons donc, comme à toutes les organisations qui détiennent des renseignements personnels, d’intégrer les principes fondamentaux de protection de la vie privée dès la conception de nouveaux services en ligne. Cela suppose à tout le moins ce qui suit :

• recueillir et traiter seulement les renseignements personnels strictement nécessaires à l’atteinte des objectifs visés par le produit ou le service;

• fournir de l’information claire et sans équivoque sur l’utilisation prévue des renseignements personnels, de façon à permettre aux utilisateurs de donner un consentement éclairé;

• créer des paramètres par défaut qui protègent la vie privée des utilisateurs;

• inclure des mécanismes adéquats pour obtenir le consentement des utilisateurs;

• veiller à ce que les paramètres de contrôle de la vie privée soient bien en vue et faciles à utiliser;

• assurer une protection adéquate de toutes les données à caractère personnel;

• offrir aux utilisateurs des procédures simples pour la suppression de leurs comptes et acquiescer à ces demandes en temps opportun.

Nous nous attendons à ce que toutes les organisations respectent ces grands principes, mais aussi à ce qu’elles se conforment aux lois pertinentes régissant la protection des données et de la vie privée. Ces lois s’appliquent autant en ligne que dans le monde réel. En outre, nous encourageons les organisations à entamer le dialogue avec les autorités de protection des données au moment même de concevoir des services qui auront une incidence significative sur la vie privée. Comme vos utilisateurs vous l’ont clairement dit dans les heures et les jours qui ont suivi le lancement de Google Buzz, la protection de la vie privée est un droit fondamental auquel ils attachent une grande importance. À titre d’organismes de réglementation chargés de promouvoir et de surveiller l’application des lois régissant la protection des données et de la vie privée, nous espérons que vous tirerez les enseignements voulus de cette expérience et que vous en tiendrez compte lors de la conception et de l’élaboration de nouveaux produits et services.

En réponse à cette lettre, veuillez nous signaler comment Google veillera à ce que les exigences relatives à la protection des données et de la vie privée soient respectées dans le cadre de lancements futurs.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos meilleurs sentiments.


Sources

L’âge de Big Brother est arrivé, Le courrier International [2]

Lettre des autorités de protection des données à Google [3]

Une liberté sous surveillance électronique [4]

Wikipedia – SAP [5]

Wikipedia – Echelon [6]