Libre ou privatrice: les deux familles de licences
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Sommaire
- 1 En deux points, pour les plus pressés
- 2 Privateur ou libre
- 3 Comment mettre une information sous licence libre?
- 4 Libre, gratuit, ouvert et privateur
- 5 Libre, c'est comme libre de droits ?
- 6 Les deux familles de licences
- 7 La métaphore de la cuisine
- 8 Conclusion
- 9 Sources et notes
- 10 Sources iconographiques
En deux points, pour les plus pressés
Si vous n'avez pas le temps, l'intérêt ou la possibilité de lire tout cet article, voici les deux principaux éléments, en substance. Si vous ne comprenez pas tout, ou si cela stimule votre curiosité, consacrez dix minutes à le lire en entier.
- En tant que simple utilisateur, sans but lucratif ni diffusion à large échelle, vous ne risquez pas grand-chose en copiant des contenus sur Internet, sauf pour les films et les musiques des grands groupes de l'industrie du divertissement. Ceci n'est pas parfaitement formulé, c'est résumé, mais c'est la tendance générale. Un conseil : renseignez-vous, vérifiez vos sources, montrez cet article à un juriste, vous pourrez en savoir davantage !
- En tant qu'auteur d'une œuvre, avec Internet vous avez une fabuleuse chance de contribuer à casser la spirale vicieuse des licences privatrices (qui privent votre public de liberté) en choisissant de mentionner par exemple « licence Art Libre » ou « Creative Commons BY-SA » pour vos créations qui pourraient être utiles à d'autres. Donc, concrètement, vous avez sûrement quelques petits trésors à partager une bonne fois pour toutes, non ? Pas la photo de vos parents sur une plage de Tahiti en 1978 ; mais, par exemple, cette belle photo de détail de caillou qui pourrait bien servir à illustrer tel article ou ce mode d'emploi que vous aviez fait pour utiliser moins d'eau dans les toilettes de l'école, qui pourrait être utile dans d'autres établissements.
Mentionnez « Copyright votre prénom votre nom année sous Licence Art Libre, détails sur http://artlibre.org » (ex. « Copyright Ernest Jobichon 2011 sous Licence Art Libre, détails sur http://artlibre.org »). Ainsi, vous permettrez que quelqu'un prenne (une copie de) votre création, la mette à jour (la traduise, la raccourcisse, la remette en contexte...) et la reposte sur un autre site, tout en vous mentionnant toujours comme auteur initial, et ainsi elle fait son bout de chemin, sans bride artificielle, en vous respectant et en se rendant la plus utile possible. De plus, si vous prenez les minutes nécessaires pour chercher sur le Web où et comment partager vos trésors, vous trouverez pleins d'autres créatifs (amateurs ou professionnels) qui, comme vous, auront partagé leurs trésors et cela vous inspirera (et vous pourrez utiliser leurs créations !).
Encadré : Le truc à retenir
Toutes les créations devraient mentionner une licence et renvoyer vers ce texte détaillant les modalités d'usage. C'est un des éléments qui marqueraient le passage assumé d'un monde où l'information est rare à un autre où l'information est abondante.
Fin d'encadré
Privateur ou libre
Quand vous copiez une image trouvée sur le Web, il se peut que cela soit autorisé par la loi, mais généralement c'est illégal. Les contenus (textes, musiques, vidéos) sont protégés par le droit d'auteur. C'est donc l'auteur (ou son éditeur si le premier a cédé ses droits au second) qui peut choisir de vous autoriser ou non à copier sa création. Selon la loi, si vous violez les droits d'auteurs qui choisissent d'interdire la copie, vous encourez une condamnation pour copie illégale. Dans la pratique, ce type de peines n'est pas facilement applicable. En effet, dans un moteur de recherche d'images vous avez des images disponibles relatives à des créations protégées, comme avec le mot-clé Mickey Mouse, qui vous donnerait accès à des millions d'image de la célèbre souris, toujours protégée légalement. Cependant, malgré cette protection légale, ces images peuvent être copiées très facilement. Le plus sensible est ce que vous ferez de ces copies.
Si vous utilisez une œuvre, comme une photo de Che Guevara, pour la mettre sur un poster que vous vendez dans la rue, vous commencez à risquer plus qu'en la gardant pour vous dans un contexte privé, parce qu'il y a commerce de la photo (et les personnes ayant des droits peuvent alors vous reprocher un manque-à-gagner). Si vous utilisez cette même œuvre pour une campagne de publicité internationale pour promouvoir un objet que votre entreprise vend à des millions d'exemplaires, vous risquez beaucoup plus. L'auteur de l'œuvre peut vous demander des dédommagements et, si vous refusez, pourra probablement obtenir un dédommagement par voie légale. Idem pour les films, les recettes de cuisine, la musique, les logiciels... tout ce qui relève du droit d'auteur.
Alors, comment faire pour être un citoyen honnête alors qu'Internet nous tend des perches pour que l'on copie tout et n'importe quoi sans se poser de question ?
Tout d'abord, cherchez la mention Copyright ou le sigle © associés à l'œuvre (image, film, texte, musique, logiciel). C'est l'indication de la personne (ou de l'entreprise) qui a le droit de déterminer les usages autorisés et interdits de cette création. Si vous ne les trouvez pas, légalement vous n'avez pas le droit de copier, ni même d'utiliser cette œuvre ; par exemple, pour une image, l'imprimer. Il vous reste alors à choisir entre respecter à la lettre une règle peu logique à l'ère du numérique ou prendre le risque, léger, de l'utiliser sans but d'enrichissement, sachant que la probabilité d'avoir des ennuis est très faible. Attention : les industries du cinéma et de la musique sont de plus en plus hargneuses. Elles poursuivent parfois de simples copieurs de films ou de CD, car les enjeux financiers sont importants. Ceux qui se font pincer écopent généralement de peines sévères, pour l'exemple.
Encadré : Traité de non-prolifération
On parle généralement de traité de non-prolifération pour l'arsenal nucléaire. Mais dans la noosphère, où ne règnent que des informations, le terme est aussi utilisé. Car face à la découverte de la possibilité de créer sa propre licence, on a assisté au tournant du deuxième millénaire à une flambée du nombre de licences. FreeBSD, OpenSource, GPL, etc. Ceci a poussé les ténors de la culture libre à s'unir pour lancer une campagne de non-prolifération des licences.[1]
Fin d'encadré
Si vous trouvez la mention du copyright, il est très probable qu'il ne soit mentionné que « copyright 2010 », « copyright + nom de l'auteur » ou « Copyright + année + auteur + tous droits réservés » (« all rights reserved » en anglais), ce qui équivaut à pas de mention, car les termes d'usage de l'œuvre ne sont pas mentionnés non plus. L'auteur a tous les droits, vous n'avez aucun droit de copier, ni de faire quoi que ce soit, mis à part celui de consulter l'œuvre car elle a été placée sur le Net à cette fin. Si vous en voulez davantage, la réutiliser, la rediffuser, la modifier... alors il faudra obtenir l'autorisation formelle des ayants droit : ceux qui ont le droit de vous autoriser la copie, la redistribution ou la modification. Il s'agit parfois de l'auteur lui-même, parfois d'un tiers, comme une maison d'édition, auquel l'auteur a cédé certains de ses droits (de reproduction et de diffusion principalement) dans le cadre d'un contrat. Donc, il faut demander une autorisation aux ayants droit avant toute réutilisation de l’œuvre, ce qui est assez compliqué lorsque c'est une grosse structure qui gère ces droits. Il faut trouver leurs coordonnées, expliquer le motif pour lequel vous désirez utiliser l'œuvre, même si c'est juste un petit encart rigolo que vous vouliez mettre dans un coin d'un tract pour une soirée de soutien aux victimes du tremblement de terre en Haïti ou de l'accident nucléaire au Japon.
C'est comme ça que font les personnes qui ont vraiment vraiment envie d'utiliser l'image de Che Guevara pour vendre leurs objets sans risquer de grosses sommes en dédommagements. Mais les autres, qui ignorent le copyright ou jouent les ignorants, deviennent hors la loi, ou alors, dans le cas des films et de la musique, ils achètent une copie légale. Le plus fréquemment, ils font un peu des deux : J'en achète quelques-uns, j'en copie d'autres. Plus ça va, plus la limite devient floue, on ne sait plus qui a copié quoi, qui a acheté quoi, et voilà... c'est vraiment n'importe quoi depuis l'arrivée d'Internet !
Comment mettre une information sous licence libre?
Les productions artisanales, d'amateurs ou de petites entreprises, sont bien souvent sans mention de licence. Ceci signifie qu'elles sont légalement non libres, comme cette belle recette du chausson aux pommes trouvée sur un site Web de cuisiniers gourmets mais sans mention de la licence. Eh bien, selon la loi, on ne peut pas la copier non plus pour l'envoyer à sa cousine, même si on ne risque pas grand-chose. Et cette fameuse charte éthique d'une école trouvée sur un site Web pédagogique, si bien rédigée qu'on pourrait la copier pour la donner à tous les élèves et à tous les parents ? Ben non, la loi est comme ça, s'il n'y a pas de mention explicite que l'œuvre est sous licence libre, celui qui copie la charte éthique de l'école pour l'adapter à son collège, là-bas, dans la brousse africaine, ben il commet un acte il-lé-gal. Et il prend le risque d'être poursuivi par l'auteur et puni par la loi. Selon la loi, tout auteur d'une création de l'esprit peut choisir les conditions d'usage de sa production par le public. En l'absence de mention particulière, ces conditions sont à négocier au coup par coup.
Encadré : Garde à vue
Une fille de 14 ans filme sa sœur dans un cinéma avec son téléphone portable. Si l'éditeur du film projeté sur l'écran arrive à prouver qu'une partie de son film apparaît sur l'enregistrement du téléphone, la fille peut être mise en garde à vue en prison pendant 48h. Ce qui s'est réellement passé aux USA en 2010.
Fin d'encadré
Par contre, si on veut fluidifier les échanges d'informations, on prendra soin de décrire ces dernières, on les inscrira précisément dans un document nommé « LICENCE ». Chacun peut ainsi choisir les termes spécifiques pour fonder sa propre licence, mais c'est un long travail car les termes doivent être vérifiés par des juristes spécialisés qui vous diront s'ils respectent les conventions en la matière. Si ce n'est pas le cas, une licence « fait-maison » pourrait être reconnue comme nulle, c'est-à-dire que c'est la loi seule qui serait applicable et non une des dispositions spécifiques de la licence. De plus, étant très peu répandue, peu de créateurs utiliseraient une telle licence et cela prendrait du temps d'étudier précisément les termes de chaque licence au cas où quelqu'un voudrait réutiliser une création qu'elle protège. Et songez au casse-tête si quelqu'un voulait intégrer à une création des contenus provenant de cinquante créateurs ayant chacun fait sa propre licence !
Heureusement, voici une bonne nouvelle : il y a une famille de licences, appelées licences libres, qui peuvent être utilisées pour toutes les créations relevant du droit d'auteurs. Même si certains les nomment les licences ouvertes ou open source, on peut les appeler licences libres pour inclure la dimension du choix de société qu'on souhaite. On évite de dépolitiser un débat qui est éminemment politique. Et vous savez quoi ? Si vous trouvez une œuvre sous licence libre, vous pouvez la copier, la modifier et la redistribuer à tout le monde, et surtout : légalement car les personnes à l'origine de ces créations l'ont fait dans cette perspective. Par exemple, sur Wikipédia, textes, images et code logiciel du wiki sont TOUS sous des licences libres.
Concrètement, si vous voyez une œuvre avec l'une des mentions suivantes, vous pouvez alors librement (c'est-à-dire que vous êtes libre de le faire ou non !) utiliser, copier, redistribuer, modifier (une copie de) l'œuvre :
- « Copyleft (+ année) + nom de l'auteur » ;
- « Copyright (+ année) + nom auteur + sous licence Art Libre » ;
- « Copyright (+ année) cette œuvre est libre ».
Il y a également les créations sous les licences Creative Commons, qui vous donnent le droit d'utiliser, de copier et redistribuer une œuvre. Les licences Creative Commons connaissent différentes déclinaisons telles qu'autoriser ou interdire l'utilisation de la création dans un cadre commercial (option « non commercial »), ainsi qu'autoriser ou interdire la modification d'une copie de la création (option « pas de modification »). Toutes les déclinaisons ont en commun l'attribut « Paternité » qui oblige à citer de qui provient la création originale. Par exemple, sur Wikipedia, la mention exacte est : Droit d'auteur : « Les textes sont disponibles sous licence Creative Commons - Paternité - Partage à l’identique d’autres conditions peuvent s’appliquer. Voyez les conditions d’utilisation pour plus de détails, ainsi que les crédits graphiques. En cas de réutilisation des textes de cette page, voyez comment citer les auteurs et mentionner la licence. »
Libre, gratuit, ouvert et privateur
Pour bien comprendre qui contrôle quoi dans l'information, il faut savoir faire la différence entre libre, ouvert, gratuit et privateur.
Libre : Sous une licence qui permet à chacun de lire, utiliser, modifier et redistribuer l'information, s'applique dans le domaine du logiciel et au-delà (art, documentation pédagogique, …). C'est le seul qui garantisse une véritable équité des chances.
Ouvert : L'expression très souvent utilisée est Open Source. Pour la plus grande partie des cas, cela revient au même que libre, quant aux permissions et restrictions. Par contre, le terme ouvert (ou open source) est souvent employé à tort pour désigner des créations qui ne sont ni libres, ni open source ! Les auteurs trouvent que leur création est dotée d'assez de permissions pour être qualifiée de libre ou ouverte mais sans avoir rigoureusement vérifié que leur vision correspondait aux définitions précises de libre ou open source.
Gratuit : Dans le monde de l'information, gratuit est une formule qui est le symbole de la manipulation. Car qui dit gratuit ne dit pas libre mais dit, au contraire et très fréquemment, « première dose de drogue gratuite ». Certains services sont gratuits mais utilisent la dépendance pour progressivement introduire des aspects payants, d'autres exploitent les informations fournies par les utilisateurs du service gratuit pour les revendre à des tiers, d'autres enfin rendent leurs clients captifs pour leur vendre des produits. Quoi qu'il en soit, aucun ne concentre son modèle sur un service honnête où la véritable génération de revenus est clairement identifiable par l'utilisateur lorsqu'il bénéficie des services. Pour simplifier, on peut dire que gratuit égale souvent arnaque. Il existe néanmoins des exceptions, notamment les services d'intérêt public, financés par un service public, mais qui annoncent qu'ils sont gratuits parce qu'ils sont financés par l’État ou par des structures d'intérêt public. L'essentiel quand on voit « gratuit » est donc d'identifier les sources. On peut lire, à juste titre : si c'est gratuit, alors le produit, c'est vous ![2]
Privateur : La majorité des services gratuits sont privateurs, mais pas tous (voire service gratuit d'intérêt public). Souvent, ce sont des entreprises, comme Microsoft, Adobe ou Google, qui fournissent des services gratuits pour mieux rendre leurs clients dépendants de leurs produits privateurs et ensuite les contraindre, individuellement ou au niveau des entreprises qui utilisent ce service, à payer des sommes importantes pour accéder aux prestations dans un contexte de dépendance et de monopole, établit de position dominante.
Libre, c'est comme libre de droits ?
Attention, il est fréquent qu'on amalgame, à tort, les notions de création sous licence libre et création libre de droits. Les licences libres ont été décrites dans cet article. Par contre, libre de droits fait référence au domaine public, c'est-à-dire les créations qui ne sont pas (ou qui ne sont plus) couvertes par le droit d'auteur. Au bout d'un certain temps, variable selon les pays et les types de créations, généralement plusieurs dizaines d'années, les créations de l'esprit sortent du champ d'application du droit d'auteur classique. Elles sont alors utilisables (copiables, modifiables, réutilisables) sans autorisation explicite, parfois même sans citation de l'auteur original. C'est le domaine public ou la sphère des créations libres de droits. La grande différence avec les licences libres, c'est que celles-ci sont un choix délibéré des auteurs et que leur paternité reste acquise, c'est-à-dire qu'il faudra conserver les mentions de copyright (ou droit d'auteur) associées à la création, ce qui n'est pas indispensable pour des créations libres de droits.
Les deux familles de licences
Caractéristiques de la licence | Dans la famille plutôt "libre" | Dans la famille plutôt "privative" |
---|---|---|
Approche affirmée, les termes et licences les plus reconnus dans cette famille | GPL, GFDL, ArtLibre, CC BY-SA, autres (Cf. FSF[3] ou OSI[4]) | Tous droits réservés, avertissement que les copieurs seront poursuivis, brevets... |
Approche édulcorée | Licence Creative Commons avec la clause NC ou ND, OpenSource | Autorisation de reproduction possible au cas par cas, nous contacter. |
Mention inconsciente | "Tous usages autorisés" (ceci signifie que non seulement une personne peut reproduire l'oeuvre, mais elle peut aussi la privatiser et interdire à l'auteur initial de l'utiliser) | Aucune mention de copyright ni d'auteur pour des photos, images, films... |
Encadré : Et les banques d'images libre de droits ?
Il existe, notamment sur Internet, des banques d'images dites libres de droits. Le terme est utilisé ici à tort, car il laisse présager qu'il n'y a plus aucun droit d'auteur sur ces créations, ce qui est faux. Les banques d'images ou photos libres de droits regroupent des créations qu'il suffit d'acheter une seule fois pour en faire des usages multiples.
Habituellement, si on acquiert le droit de publier une image pour l'édition de janvier 2011 d'un périodique, on ne peut pas pour autant ré-utiliser cette même image pour la placer sur son site Web ni la mettre dans une édition ultérieure. Il faudrait refaire la demande et souvent re-passer à la caisse. Pour les banques d'images libres de droits, vous obtenez le droit d'utilisations multiples de la même image et c'est pour cela que ces collections se sont auto-proclamées libres de droits, tout en n'étant ni libres, ni dans le domaine public, ni gratuites. Pas facile de s'y retrouver, il faut l'avouer...
Fin d'encadré
La métaphore de la cuisine
Adapté d'un article paru dans la revue No Pasaran, n°77, hiver 2009-2010
Comment bien expliquer la différence entre les deux familles de licences ? Prenons la métaphore de la cuisine. Quand on achète un plat congelé qu'il ne reste plus qu'à réchauffer, on ne peut faire guère plus que le manger. On ne sait pas vraiment ce qu'il y a dedans, ni comment il a été fait. Contrairement au petit plat qu'on goûte chez des amis ou en famille et dont chacun est prêt à donner la recette, on ne peut pas le refaire chez soi, l'arranger à son propre goût et en faire à nouveau profiter son entourage. L'informatique fonctionne un peu comme la cuisine. Il y a d'un côté le plat tout fait, c'est notamment les logiciels "privateurs" qu'on installe sur son ordinateur et qui sont compréhensible par la machine, mais impossible à décrypter par l'humain et aussi les DVD qu'il est interdit de copier et encore moins de modifier. De l'autre côté, on a la recette de cuisine qu'il est possible de lire, utiliser, modifier et redistribuer qu'on appelle code source libre dans les logiciels et art libre dans les œuvres d'art. La liberté d'accéder à ce code source, bien que ne concernant que les informaticiens, fait une grosse différence. La culture libre repose ainsi sur quatre libertés :
- La liberté d'exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0).
- La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu'il fasse votre travail informatique comme vous le souhaitez (liberté 1). Pour ceci l'accès au code source est une condition nécessaire.
- La liberté de redistribuer des copies, donc d'aider votre voisin (liberté 2).
- La liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées (liberté 3). En faisant cela, vous pouvez faire profiter toute la communauté de vos changements. L'accès au code source est une condition nécessaire.
Ces principes permettent que personne ne puisse prendre le contrôle d'une information fonctionnelle (mode d'emploi, logiciel, marche à suivre...) et soumettre ses utilisateurs et les développeurs à sa volonté.
À partir de ces quatre libertés, un mouvement plus spécifique nommé copyleft a été imaginé en 1984 par deux chercheurs en informatique américains : Richard Stallman et Don Hopkins. Aux garanties de liberté, il ajoute un principe de partage et de développement inspiré du monde scientifique. Il impose, lors de la diffusion du logiciel, d'une part de citer les auteurs qui ont contribué à l’œuvre, d'autre part de le rediffuser nécessairement sous les mêmes conditions. Cela permet, dans le cas où l’œuvre fait l'objet d'une évolution, d'en faire profiter tout le monde. Cette « capitalisation » du travail est alors un bien collectif qui ne peut pas être confisquée. Véritable retournement des principes du droit d'auteur, son initiateur imagina même le slogan : « Copyleft, all rights reversed ». Ce principe a du sens parce que notre société est entièrement informatisée. les œuvres numériques, particulièrement les œuvres fonctionnelles, sont donc reproductibles sans perte de qualité, pour un prix négligeable et distribuable tout aussi facilement. Alors que la culture de l'information propriétaire (ou privatrice) poursuit une stratégie visant à vendre des licences comme s'il était un bien rare, la culture de l'information libre propose un mode de partage et de diffusion adapté à sa nature numérique où l'on ne paye que la première copie : son propre temps de travail si on est bénévole, ou le temps réel de travail nécessaire à créer, installer, paramétrer et maintenir une œuvre, notamment logicielle et mode d'emploi. C'est pour cette raison que bon nombre de logiciels libres sont disponibles gratuitement sur le Web et que seul le temps de travail est vendu par des experts qui nous guident pour choisir, installer, adapter, etc.
Bien que Richard Stallman ait formé initialement le projet GNU qui visait à obtenir un système d'exploitation entièrement libre et qui s'est concrétisé avec l'avènement du célèbre noyau Linux, le logiciel libre et par extension la culture libre ne se résume pas à cela. Même s'il est possible d'abandonner complètement le logiciel privateur en choisissant un système d'exploitation libre comme GNU/Linux, on peut aussi utiliser des logiciels libres qui tournent sous Windows ou Mac OS, comme Firefox (navigateur Web) ou LibreOffice (suite bureautique). On trouve des œuvres libres pour tous les usages. Un bon réflexe, lorsqu'on a un besoin de logiciel libre, est de consulter le site Framasoft qui propose une large collection de logiciels libres, surtout pour des environnement autres que GNU/Linux. Ceux-ci ont l'avantage d'avoir été testés et de présenter un bon niveau fonctionnel. Ils conviennent généralement à des utilisateurs de base, preuve que le logiciel libre n'est pas réservé aux spécialistes. Idem pour les images : les millions d'images disponibles sur wikicommmons sont toutes sous une licence libre. Il existe des films sous licence libre, des plans de maison pour architectes, des revues juridiques... Notez que si vous utilisez des applications libres sur un système privateur, vous ne perdez pas de liberté par les applications mais par le système.
Conclusion
Nous sommes tous en train de passer du statut de simples utilisateurs-consommateurs de créations à celui de producteurs. Nous le répétons donc à tous les producteurs (actuels ou en devenir) : sans mention explicite, c'est la simple consultation qui va être autorisée, ce qui est dommage car un frein à la fluidité des échanges d'idées, de modes d'emploi et de faits.
Nous vous conseillons donc de :
- Garder sous droit d'auteur simple (usage exclusif) les créations que vous ne souhaitez pas diffuser, ou ne diffuser que dans un cadre restreint comme des photos de familles, par exemple. Pour cela, rien à faire de spécial, si ce n'est penser à indiquer que vous êtes détenteur des droits relatifs à ces créations (avec vos coordonnées pour être contacté-e au cas où...).
- Pour les créations qui auraient un intérêt – même modeste – pour d'autres, mentionner explicitement une licence libre. Les deux licences libres les plus connues, utilisées et recommandées par les ténors du sujet :
-
- La licence Art Libre, décrite ici : http://artlibre.org (c'est celle de cet ouvrage). Malgré son nom, elle est aussi applicable à bien des domaines non artistiques ;
- La licence Creative Commons BY-SA : les termes sont exprimés différemment mais disent à peu près la même chose que la licence Art Libre. C'est la licence utilisée sur Wikipedia.
Vous commencez à comprendre ? Superbe ! Alors voici une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c'est que les licences libres commencent à être de plus en plus adoptées, donc le temps parle en faveur d'une nouvelle approche du droit d'auteur, adaptée aux réalités d'Internet. Ça va nous simplifier la vie et encourager la créativité, si nous sommes patients et vigilants pour éviter les dérapages des lois liberticides !
La mauvaise nouvelle, c'est qu'il y a encore des subtilités à comprendre avant d'avoir fait le tour du sujet. Ça demande encore du temps et il faut considérer que tout ce que vous venez de lire était une introduction, une présentation de vulgarisation. Par exemple, il y a quelques options supplémentaires pour les licences Creative Commons. Ces subtilités montrent qu'il y a tout un art des licences. C'est comme tout domaine spécifique : la plongée sous-marine, la philatélie, la biologie moléculaire... Sauf qu'Internet, on s'y confronte tous les jours (pour certains), donc on a tout intérêt à se familiariser avec les subtilités de licences, juste histoire de jamais se retrouver en première page du journal, en photo avec des menottes (là c'était pour bien vous donner envie d'en savoir plus).
Donc le mieux, c'est de lire les articles connexes d'eCulture générale et les ressources documentaires proposées sur la version Web de cet article.
Encadré : Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis
Cas concret : ce livre est plein d'images sous licences libres. Si par malheur un auteur nous écrivait (à l'adresse info@ynternet.org), nous disait que nous n'avons pas respecté sa licence et que nous avons, à son avis, utilisé une de ses images sans autorisation. Nous lui présenterions nos sincères excuses, et nous l'informerions que :
- Cela nous a échappé (nous sommes effectivement une petite dizaine à avoir assemblé les images et les textes) ;
- Nous n'avons pas généré de bénéfices, ce qui est vrai et prouvable, le livre est réalisé sous l'égide de la fondation Ynternet.org, à but non lucratif. Cet ouvrage est vendu sans marge bénéficiaire et nos comptes sont disponibles si il y a litige ;
- Nous retirons immédiatement l'image incriminée, à moins que vous nous autorisiez expressément à la distribuer dès maintenant en la mettant sous licence Art Libre, afin qu'elle ait la même licence que les autres contenus de l'ouvrage ;
- Nous publions volontiers une note explicative en présentant nos excuses sur notre site Web ;
- Nous proposons, si nécessaire, un dédommagement à la hauteur du dommage subi (et là, il sera probablement impossible pour l'auteur de montrer un dommage subi vu qu'il s'agit d'une activité pédagogique à but non lucratif, etc.).
Fin d'encadré
Encadré : Licences libres : un outil pour déconstruire le copyright
Dès leur apparition au xviiie siècle, copyright et droit d'auteur ont été sujets à de vives critiques qui n'ont cessé de s'intensifier avec le développement des technologies facilitant la copie et le partage d'informations. Certaines personnes voient les licences libres, dont certaines licences Creative Commons, comme un moyen d'abolir ces notions de propriété intellectuelle en les retournant contre elles-mêmes.
L’objectif recherché est d’encourager de manière simple et licite la circulation des œuvres, l’échange et la créativité. Creative Commons s’adresse ainsi aux auteurs qui préfèrent partager leur travail et enrichir le patrimoine commun (les Commons) de la culture et de l'information accessible librement. L'œuvre peut ainsi évoluer tout au long de sa diffusion.
Fin d'encadré
Les personnes souhaitant autoriser la communication au public de leur œuvre uniquement contre une rémunération devront retenir le système général du droit d’auteur et non les licences libres.
Encadré : Bethoveen et les brevets logiciels
Imaginons qu’au XVIIIe siècle les gouvernements d’Europe aient décidé d’encourager le développement de la musique symphonique en introduisant un système de brevet sur l'innovation musicale. Toute personne pouvant décrire une nouvelle idée musicale avec des mots aurait obtenu un brevet qui lui aurait valu un monopole sur son idée. Cette personne aurait pu poursuivre quiconque eût décliné cette idée dans un morceau de musique. Ainsi un motif rythmique aurait pu être breveté, ou une séquence d’accords, ou un ensemble d’instruments à utiliser ensemble, ou n’importe quelle idée pourvu qu'elle ait été décrite précisément.
Imaginez, alors, Ludwig van Beethoven en 1800. Il souhaite écrire une symphonie. Pour écrire une symphonie et ne pas être poursuivi, il va devoir se frayer un chemin au travers des milliers de brevets relatifs aux idées musicales. S'il se plaint d'être entravé dans sa créativité, les titulaires de brevets lui répondront : « Monsieur Beethoven, vous êtes juste jaloux parce que nous avons eu ces idées avant vous. Pourquoi devriez-vous voler nos idées ? »
Cette histoire est racontée par Richard Stallman (RMS) [5]. Richard Stallman est un hacker reconnu, c’est-à-dire un virtuose du code - on peut parler dans son cas d’un art de la programmation. Un art qui a eu ses Beethoven et qui souhaite continuer à en avoir demain.
Le 20e siècle a mis un point d'honneur a breveter les idées, et plus encore : méthodes et mécanismes sont brevetés, recettes traditionnelles, simples procédures. Sont concernés, parmi beaucoup d'autres, les domaines logiciel et génétique, les plantes, les médecines naturelles... Aux Etats-Unis le brevetage des logiciels est la règle. En Europe, le principe a été maintes fois repoussé, mais il reste d'actualité.
Breveter des logiciels ? Beethoven ne l'aurait pas entendu de cette oreille !
Fin d'encadré
Sources et notes
Sources iconographiques
Licence Art Libre conseillée pour l'art, la science, la pédagogie
Creative Commons (BY, BY-SA, BY-NC-SA, BY-ND, BY-NC-ND) les plus connues des licences libres, largement répandues.
GFDL
très bien pour les modes d'emploi
GPL la plus répandue des licences libres pour les logiciels
GNU le symbole de la culture libre, par lequel tout a commencé