Eau, air, terre, feu, numérique : sacrées propriétés

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Les cinq propriétés socio-techniques du numérique

L'eau devient glace au-dessous de zéro degré Celsius et vapeur au-dessus de 100°. Elle est fluide ou solide, et de nombreuses substances peuvent s'y dissoudre. On dit même que l'eau a une mémoire. Et l'air ? Lui aussi a des propriétés intéressantes. Il est formé de différents gaz. Si on les refroidit suffisamment, ils finissent par passer à l'état liquide, puis à l'état solide. L'air est invisible pour les yeux. Et saviez-vous qu'on peut fabriquer des bombes avec de l'air liquide ? Pourtant sans air, la vie serait bien fade; et sans terre encore plus. Terre, air, eau, feu, éléments fondamentaux de la nature, avec leurs propriétés, non pas seulement physiques, mais aussi sociale. Ces éléments nous nourrissent, nous attirent et parfois nous font peur. Sacrées propriétés. Nous les conjuguons au quotidien, avec toutes sortes de recettes qui sont autant de programmes comportementaux : bailler, se laver, faire pousser des plantes sur son balcon... Revenons au feu : la découverte du feu par nos pères a tout changé dans l'histoire de l'humanité. Comment pouvions-nous vivre sans feu, avant ? C'est un peu la même question que nous nous posons aujourd'hui en pensant aux outils numériques. Téléphones, ordinateurs, satellites, transports, gouvernement, tout dépend du numérique. Ce n'est pas qu'une succession de uns et de zéro.


C'est un écosystème, avec ses mécanismes, ses codes, ses zones d'influences, ses réactions en chaine... Et l'omniprésence de cet écosystème dans notre vie de tous les jours est un des fils rouges, voire LE fil rouge de la transition actuelle de l'homo Sapiens vers l'Homo Numéricus. Et qu'est-ce qui est au cœur des changements induits par l'émergence du numérique à l'école, au travail, en famille, dans les gouvernements, et ailleurs ? Réponse : le fait que les flux d'informations numériques possèdent cinq propriétés socio-techniques. Propriétés car, comme l'air et l'eau, le numérique a des propriétés fondamentales. Socio-techniques car ces propriétés sont autant liées aux sciences dures (mathématiques, physique...) qu'aux sciences dites "molles" (psychologie, économie...).

Quel que soit l'outil de communication numérique, nous avons identifié cinq propriétés fondamentales qui en régissent le fonctionnement :

  1. l'instantanéité : le transfert d'informations numériques est quasiment immédiat, véhiculées par l'électricité à environ 300'000 mètres par seconde. Les attentes éventuelles sont dues à l'engorgement ou aux filtres sur les canaux de transmission, comme les antivirus qui scannent les messages avant de les délivrer. Ces résistances sont néanmoins généralement infimes, et ne remettent pas en cause cette première propriété.
  2. la décentralisation : il n'y a pas d'instance pivot pour diriger les écosystèmes numériques.

Concrètement, les entreprises privées comme Google n'y pourront rien, et les gouvernements non plus. Elles sont certaines possibilités de contrôle partiel, par exemple sur les noms de domaines et certains tuyaux de transmissions des données. Mais on le voit dans les mouvements populaires pour la démocratie, c'est peine perdue. C'est pour cela qu'Internet a été adopté par tous, au détriment du Minitel et du Videotext, qui fonctionnent de manière justement... centralisée. C'est pour cela que même le téléphone passe de plus en plus par Internet. La décentralisation réduit, voire annule, la fragilité des systèmes d'informations. Personne ne peut en prendre le contrôle ni couper le noeud central du réseau connexion, car tous les noeuds sont des centres potentiels, et qu'il y a des milliers de grands noeud sur terre. Ceci explique aussi qu'Internet ait été initialement financé par les militaires dans les années 1960 à 1980 : ils développaient ainsi un moyen d'éviter qu'un centre de commandement soit détruit, et qu'à cause de cela ils ne puissent plus coordonner les troupes sur le terrain. Or Internet et la téléphone portable Ce moyen est aujourd'hui à disposition des paysans et petits entrepreneurs du monde entier, qui peuvent coopérer directement sans dépendre d'une direction centrale.

  1. la multilatéralité : les échanges d'informations peuvent se faire de plusieurs à plusieurs.

Le numérique permet non seulement les téléconférences à quelques-uns, mais aussi les communautés virtuelles avec des milliers voir des millions de participants, chacun contribuant à sa manière. Comme dans les encyclopédie participatives, les réseaux sociaux, les forums... C'est le principe de l'agora, espace de rencontre ouvert à tous, qui se renforce puissamment avec l'adoption d'un réseau cllectif mondiale des systèmes numériques.

  1. la symétrie : tout le monde est au même niveau.

Imprimerie, radio et télévision sont des moyens de communication asymétriques. Il y a un émetteur et de nombreux récepteurs. Alors qu'avec les outils numériques, nous devenons tous des émetteurs susceptibles de toucher le monde entier. En créant un compte sur un blog ou dans un réseau social, nous devenons tous l'équivalent de stations de radio-télévisions. C'est vrai à tous les niveaux, pas seulement pour les enjeux citoyens, mais aussi pour la nouvelle économie du numérique. Bill Gates a démarré Microsoft adolescent et dans un garage. Idem pour Steve Jobs avec Apple. Ce qu'ils craignaient après avoir gagné beaucoup en vendant l'exclusivité de leur produits bien packagés, c'étaient les prochain génies qui allaient les détrôner. Ce qui ne manqua pas d'arriver avec les fondateurs de Google, Facebook puis Twitter, qui, maintenant qu'ils sont leaders, commencent eux aussi à avoir peur des créatifs dans leur garage.

  1. l'asynchronicité : chacun agit à son rythme.

C'est la seule propriété qui n'est pas invariable. Elle est en option. Hier on regardait les programmes de télévision à une heure prédéfinie. Avec la télévision numérique, on peut choisir l'heure de vision, et même mettre sur pause le téléjournal pour aller aux toilettes. Plus largement, on peut choisir quand répondre aux messages, retrouver sur le web la trace d'un vieil article, . Le temps n'a plus la même raison d'être dans la communication numérique. On passe de Chronos, le temps fixe, à Kairos, le temps intérieur : une porte sur une autre perception de l'univers, de l'événement, de soi. Une notion immatérielle du temps mesurée non pas par la montre, mais par le ressenti.


Ces cinq propriétés sont une des clés pour bien comprendre le monde numérique. Pour bien s'y intégrer. Apprendre à utiliser un programme de traitement de texte est une porte d'entrée. Mais pour se sentir vraiment à l'aise dans les écosystèmes numériques, l'essentiel est de comprendre ces propriétés fondamentales, pour utiliser les outils informatiques avec fluidité.

Jusqu'à cet article et dès le prochain, les affirmations que vous lirez dans l'ouvrage "Citoyens du net" sont essentiellement des faits établis à l'aide de sources nombreuses et diverses qui reposent sur des études scientifiques. Ici, il s'agit d'une hypothèse, d'une proposition. Ses sources sont des Cette proposition nous semble être au cœur des enjeux de la société de l'information à l'ère du numérique. Elle décrit ces 5 propriétés comme un dénominateur commun pour s'y retrouver, un phare, un point de repère qui reste invariablement disponible, quel que soit le contexte ou le sujet lié aux environnements numériques.

Elle est le fruit d'une dizaine d'années d'études menées à deux, entre par Théo Bondolfi et Raphäel Rousseau. Nous avons été inspirés par de nombreuses personnalités, dont notamment le philosophe Jürgen Habermas, et des membres du conseil scientifique de la fondation Ynternet.org pour l'eCulture tel l'informaticien et juriste-chercheur François Wollner de la fondation Cognis, et l'incontournable Richard Stallman qui le premier a identifié et promu la liberté comme fondement de la société numérique.

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Le contexte de ces propriétés du numérique.

De nombreux scientifiques ont décrit des propriétés de l'information et du numérique. Après la deuxième guerre mondiale, l'équipe multidisciplinaire de l'école de Palo Alto défini de nombreuses propriétés de l'information tout en contribuant à créer les premiers réseaux informatiques pour les militaires.

Deux mathématiciens définissent la théorie l'information : Claude Shannon, et Warren Weaver. Ils réussissent à définir avec des chiffres puis à expliquer simplement des concepts compliqués. Par exemple le concept de bruit, c'est à dire les informations inutiles, comme la friture sur la ligne téléphonique. Leur théorie ne traite pas des propriétés du numérique, mais de l'information.

Relié lui aussi à l'école de Palo Alto, Marshall Mac Luhan est éducateur, philosophe et sociologue. Il produit quelques-unes des plus intéressantes analyses de l'impact des médias sur notre quotidien. Son oeuvre sur les théories de la communication se résume par cette formule : le message, c'est le médium. Il démontre que ce n'est pas le contenu qui affecte la société, mais le canal de transmission lui-même. En d'autre termes, le mode de fonctionnement d'Internet a plus d'impact sur la société que le contenu des pages web que nous lisons. C'est le moyen de transporter l'information qui compte, car le mode de fonctionnement des flux d'informations programme l'organisation de notre société. Comme le suggère la trilogie de films Matrix, dans laquelle les humains découvrent qu'ils sont comme des machines dépendantes d'un mode de fonctionnement collectif caché. Lamarck, ami et contradicteur de Darwin, le disait déjà au 19e siècle avec sa formule la fonction crée l'organe. Pour symboliser ces phénomènes nouveaux, le philosophe français Deleuze parlait quand à lui de "rhizome", une forme de réseau organique, avec plein de branches et racines qui s'entremêlent.

Comment se déclinent ces propriétés ?

Si l'eau est source de vie et le feu outil de transformation, qu'en est-il du numérique ? Tim Berners-Lee, co-concepteur du World Wide Web autour de 1990, parle de la Netneutralité comme du phénomène central sur lequel repose toute architecture de flux d'informations numériques durables. Or la Netneutralité est justement une des conséquences principales des cinq propriétés socio-techniques du numérique. Le "tout est relatif" d'Einstein s'applique aussi ici, de manière simple : l'Energie humaine = les informations multipliées par la manière de les véhiculer. Si les flux d'informations sont bridés comme dans le média télévision où une station émet et tous reçoivent, les récepteurs sont passifs, peu énergétisés. Si au contraire le média est Internet, dans lequel les 5 propriétés sont à l'oeuvre sans restrictions sensibles, les récepteurs deviennent progressivement acteurs du média. On retrouve aussi ce même lien possible de cause à effet dans les quatre libertés fondamentales du mouvement logiciel libre. Son co-fondateur RMS le dit bien : il y autant d'utilisateurs de logiciels libre que de motivation à les utiliser. L'essentiel est de se rappeler que sans les quatre libertés fondamentales, l'information est bridée, la société est bridée. Ceci ne résout pas la question de savoir que faire avec la liberté, mais simplement permet de définir précisément la nature Puis en 1996 forum économique de Davos en 1996, John Perry Barlow a écrit la déclaration d'indépendance du cyberespace. C'est aussi lui qui co-initie le mouvement open source, forme édulcorée du mouvement de la culture libre. Au début des années 2000, Chris Anderson, propriétaire du magazine précurseur "Wired" aux USA, a mis en valeur les travaux de ceux qui parlent de phénomènes fondamentaux du numérique comme l'émergence de l'intelligence collective, de la longue traine ou de la société de l'abondance. Tous ces phénomènes sont autant de déclinaison des cinq propriétés fondamentales.

A quoi ça sert ?

Intelligence collective, libertés fondamentales, toutes ces notions apportent des clés de lecture pour comprendre ce monde nouveau dans lequel les comportements du numérique influent sur tous nos actes, de manière plus ou moins visible et directe. Mais quand et comment ces clés sont-elles réunies ? Existe-t-il une grille de lecture complète ?

C'est le but de cette proposition des cinq propriétés sociétés techniques du numérique, de cette hypothèse. C'est pour cela qu'on peut envisager, sans prétention exagérée, de l'inclure parmi les clés de lecture de cette nouvelle ère du numérique.

Nous avons donc appelé cette hypothèse 'les propriétés socio-techniques du numérique. Elle est à disposition des experts et des chercheurs en communication. C'est un outil d'analyse, parmi d'autres. Un outil qui peut s'avérer puissant pour faire des choix dans cette société qui devient de plus en plus complexe.


Quel degré de fiabilité de cette théorie des 5 propriétés fondamentales du numérique ?

Il n'y pas de parfaite démonstration de cette hypothèse par A + B pour l'instant, faute de moyens pour la documenter et la confronter dans des conférences, et du fait que cette hypothèse, comme l'école socio-technique, est à cheval entre disciplines sociales (par nature soumises à débat) et techniques (où tout peut être démontré "scientifiquement"). Mais c'est néanmoins un postulat solide, dont la plupart des démonstrations ont déjà été produites par les théoriciens de la communication, notamment ceux qui gravitaient dans la mouvance de l'école de Palo Alto, qui était profondément transdisciplinaire justement.

Rares sont les experts académiques qui s'aventurent dans les chemins de traverses. Car le monde académique, historiquement, cloisonne. Et les disciplines transversales sont les parents pauvres, sauf si elles peuvent générer de rapides bénéfices et attirer ainsi les investissements privés. Ce qui n'est pas le cas d'une hypothèse destinée à faciliter une meilleure compréhension des enjeux de société par les citoyens.

La bonne nouvelle, c'est qu'une bonne part des innovations socio-techniques du numérique sont d'ailleurs nées hors du monde universitaire et dans un cadre profondément transdisciplinaire : l'Internet, le Web, les logiciels libres... Or c'est justement cela, la particularité du numérique : le fruit des amours entre la matière et l'esprit, entre la technique et les l'organisation sociale.

L'école socio-technique

Ecole s'entend ici au sens "mouvement de pensée" et "groupe de travail". Les décennies 1950 et 1960 voient naître avec le Tavistock Institute de Londres, l'école dite socio-technique . Cette école étudie le lien entre les systèmes techniques et humains. Elle part du constat que les changements technologiques ont un impact déterminant sur le fonctionnement des groupes et sur les individus qui les composent. Ce qui implique que les décisions doivent tenir compte des facteurs humains (qualifications, attentes, sentiments, valeurs) et de l’environnement (équipement, machinerie, procédés, horaires de travail, conditions de travail). L'école systémique va s'inscrire en prolongation des travaux de cette école.


Internet en constante évolution ?

Peut-on dire que l'Internet d'aujourd’hui est le même que celui d'il y a dix ou vingt ans ? A priori pas du tout, car les pratiques et le public sont différents. Visuellement, graphiquement, c'est aussi très différent. Mais cet a priori est profondément faux. Car l'intérêt des propriétés socio-techniques du numérique, c'est justement qu'elles ne dépendant pas du temps. Elles sont immuables. C'est pour ça que, comme le dit Yann Gouvernec dans une interview sur sa vision des médias sociaux, les outils ont changé, mais pas l’esprit d’Internet. Les pionniers de l’Internet le savent tous. Une véritable révolution de l’information, de la communication et du marketing a déjà eu lieu il y a bien longtemps, mais aujourd’hui, elle s’ouvre au plus grand nombre avec tout ce que cela peut comporter d’opportunités, et de risques d’ailleurs. La question qui reste en suspend est de savoir si le numérique sera différent s'il sort du seul binaire. Des uns et zéros, le numérique pourrait passer à un écosystème multidimensionnel, comme le corps humain, avec ses enzymes transmetteurs, ses réseaux de synapses... Mais ce ne serait alors plus nécessaire du numérique. Ce serait un nouveau type de communication, plus... biologique.