Les communautés intentionnelles

De Wiki ECOPOL

Notions-clés:communauté intentionnelle, réseau, mutualisation, troc, spiritualité, communauté de pratiques, liberté de choix, vivre ensemble.

Profils-clés: Amish, Phalanstère, Fourier.


On dit souvent que c'est l'intention qui compte. Rien n'est plus vrai dans le cas des communautés intentionnelles !

Cette expression désigne un ensemble de personnes d'origines diverses ayant choisi de vivre ensemble en un lieu donné et sous une forme organisationnelle et architecturale définie. C'est bien le type d'intention qui distingue une communauté d'une autre.

Les communautés intentionnelles existent depuis très longtemps, souvent avec une dimension spirituelle. Des monastères (chrétiens, bouddhistes...) aux coopératives kibboutz en Israël, en passant par les fermes communautaires, ces lieux de vie ne sont pas nécessairement unis par une religion. Ce qui les relie, c’est le choix de cohabiter et coopérer avec un idéal commun. Il y a autant d’idéaux que de communautés, voire même que d’habitants de ces communautés. Mais si les idéaux sont divergents, certaines intentions sont similaires d’une communauté à une autre : cultiver ensemble, pratiquer le troc, mutualiser les ressources, éviter les déviances de la société d’hyper-consommation et le gaspillage qui en découle, respecter la nature.

Nous avons pu visiter des dizaines de communautés intentionnelles, aux quatre coins du monde. Elles sont autant de sources d’inspiration pour la démarche Ecopol. Elles partagent certains codes culturels. En voici quelques-unes, pêle-mêle, pour donner une idée de leur diversité :

  • elles ne font pas de publicité, préférant se faire désirer ;
  • mieux vaut y arriver sur la pointe des pieds, sans attente, et déjà relativement construit, prêt à s'ouvrir à des pratiques nouvelles ;
  • le statut de client roi n’y existe pas, même pour les chambres d’hôtes, chacun, à sa mesure, participe à la vie du lieu ici ou là ;
  • la solidarité y est plus forte que dans la société de consommation, les gens y ont plus de temps à offrir ;
  • l’écoute, la douceur et la gentillesse sont des prérequis ;
  • l’alcool, les cigarettes et les drogues y sont rarement tolérés, sans conséquence pour ceux qui consomment avec modération.

Récits d'expérience

« En 1991, j’étais sur l’île de Koh Chang en Thaïlande. A l’époque, sans route ni électricité, elle semblait appartenir à un autre âge. Malade et sans argent, j’ai été recueilli dans un temple bouddhiste. C’était le jour de la rencontre entre les moines et leurs familles. Ils m’ont invité à participer à leurs rituels de procession et de chants, célébrés aux lueurs des bougies. Ils m’ont nourri, logé, laissé me refaire une santé, sans jamais rien me demander. Personne ne parlait ma langue et pourtant j’aurais sans doute pu y rester toute ma vie.

« J’ai vécu le même type d’expérience dans la communauté Longo Maï d’Undervelier, dans le Jura suisse. En 2004, nous sommes arrivés à trois sans prévenir. Bien accueillis, nous avons pu y dormir, partager nos idées et comprendre la réalité du travail dans une ferme écologique autogérée. Tout le monde se lève tôt et travaille à son rythme. Dans cette communauté, la religion n’a pas sa place. Selon un des coordinateurs de la maison qui nous avait accueillis, c'est le travail bien accompli qui compte. Nous y avons vécu des moments de joie simple, et découvert un réseau international de communautés Longo Maï, se déployant jusqu’en Ukraine et partageant le même idéal. Ce qui fait en partie leur force, c’est sans doute leur résistance aux tentations des subventions agricoles. Trop souvent assorties de conditions strictes, ces subventions entrent généralement en conflit avec les valeurs de l’écologie. J'ai vu des gens courageux nageant à contre-courant tout en coopérant avec leur région et le monde. En 2014, le réseau Longo Maï a fêté ses 40 ans, et poursuit son développement dans un esprit d’Economie Solidaire ».

« En 2006, j’étais à Grauna, communauté Krishna près de Paraty dans l’Etat de Rio de Janeiro. Quand je suis arrivé après une longue marche, j’ai vu des grands gaillards au crâne rasé, habillés de longues robes violettes, couleur des disciples de Krishna, s’occuper de vaches. Ils vivaient de la vente de fruits secs et de lait bio et arrondissaient leurs fins de mois en allant travailler en ville. Ils méditaient entre deux traites de vaches. Encore une fois, l’hospitalité m’a été offerte et j’ai également reçu une belle leçon d’humilité.

« Parallèlement, ayant déjà développé beaucoup de projets artistiques surréalistes, inspirés tant de Salvador Dali que du dadaïsme, les voir mélanger culte à Krishna et élevage bovin, m’a donné la preuve vivante que la réalité dépasse de loin la fiction. Jamais je n’aurais pu imaginer un mariage aussi délirant...

« Pour m’immerger dans la réalité de ces communautés, j’ai toujours tenté de ne jamais arriver les mains vides. J’apportais un pot de confiture maison, un légume de mon jardin, ou une sélection de films sur l’écologie. En général, dès le jour de mon arrivée, je cherchais à donner un coup de main : par exemple cuisiner, faire la vaisselle ou m’occuper des enfants. Je lisais tous les textes aux murs des couloirs, m'imbibais de leurs réalités, codes culturels, intentions et messages. Cela m’a permis de rencontrer les membres de ces communautés dans leur réalité quotidienne, de mieux les comprendre.

« J’ai bien vu que, comme dans tous types de société, certaines règles peuvent générer certains problèmes, des déviances, des abus. En revanche, jamais des problèmes d'écolieux ne m’ont paru aussi graves que ceux de la société de surconsommation, avec ces guerres meurtrières pour du pétrole, ces suicides d’adolescents drogués aux jeux électroniques, ces millions de personnes qui meurent encore de faim chaque année pour survivre entre deux îlots de riches. Je trouve triste que les médias classiques ne traitent que des dérives occasionnelles dans les communautés quelles qu’elles soient, au détriment des sources d'inspiration que ces mêmes communautés écologiques représentent.

« Parallèlement, plus j’ai visité des lieux de vie en communauté intentionnelle, plus j’ai réalisé que ces communautés sont très peu interconnectées, elles ne se connaissent presque pas entre elles. Leurs visions spirituelles et politiques sont si divergentes, que seules les pratiques écologiques les relient.

Voici quelques communautés intentionnelles relativement importantes :

  • les centres anthroposophes découlant des travaux de Rudolf Steiner[1], dédiés à l'agriculture biodynamique, à l'éducation (écoles Steiner ou Waldorf) et à l'aide aux personnes avec handicap mental ou physique, mais aussi à l'architecture et à la médecine anthroposophe ;
  • les kibboutz en Israël, communautés solidaires agricoles dès les années 1910 qui, dans les années 1950, représentaient jusqu'à 10 % de la population israélienne. En 2010, ils comptent pour 10 % dans la production industrielle israélienne, 40 % de sa production agricole et 6 % de son PIB ;
  • les communautés Emmaüs, initiées en France dans les années 1950 pour aider les personnes les plus démunies à leur réinsertion socioprofessionnelle, en y recyclant meubles et habits ;
  • le mouvement égalitaire des communautés intentionnelles Yamagishi, initiées au Japon, présentes sur presque tous les continents, y compris en Suisse et au Brésil ;
  • les centres spirituels communautaires souvent regroupés autour d'un(e) leader spirituel(le), de toutes les traditions, notamment soufie, bouddhistes, taoïstes, Bahaï, et bien sûr les Ashrams existant en Inde depuis près de six millénaires ;
  • de nombreuses communautés n'ayant pas nécessairement réussi à s'étendre, mais dont la démarche peut être inspirante, comme les communautés de l'Arche initiées par Lanza del Vasto, les entreprises familiales Foccolari, le réseau rainbow...

Le choix de son appartenance

Nos premiers ancêtres vivaient dans des grottes, en petits groupes. Nos aïeuls, eux, se serraient les coudes au sein de communautés villageoises. Mais avaient-ils vraiment fait le choix de vivre ensemble ? N'étaient-ils pas plutôt motivés par un nécessaire impératif de survie ?

Avec la diversification et la démocratisation des transports (train, voiture, avion), les possibilités de changer de lieu de vie sont décuplées. De plus, le marché du travail nous invite à toujours davantage de mobilité. Le confort matériel remplace partiellement l’affection des proches. Les familles sont moins nombreuses, moins intergénérationnelles, moins solidaires. Chacun fait sa vie de son côté.

Parallèlement à cette nouvelle liberté de déplacement et face à l'émergence des sociétés hyper-individualistes, de plus en plus de personnes sont en manque de repères, de raison d’être, de motivation. C’est sur cette friche dévitalisée mais encore fertile que les modes de vie communautaires regagnent du terrain. Ils sont porteurs de sens, ils véhiculent les valeurs universelles de la nature : interaction, coopération, interdépendance, reconnaissance de l’incertitude et de la complexité, union des destins...

La vie profondément communautaire, qui n'était que rarement choisie autrefois, est devenue aujourd’hui essentiellement un acte délibéré, intentionnel : même si, à court terme, il est plus facile de rester dans son coin. On choisit de partager, parce qu'on croit que c’est essentiel pour l’avenir des générations futures d’adopter un mode de vie plus solidaire, où nous coopérons et cohabitons au quotidien, afin de réduire le gaspillage des ressources naturelles.

Si chacun est libre de se diriger vers un mode de vie plus collaboratif, cette possibilité n'est cependant pas toujours pleinement exercée. Notre quotidien ne nous encourage pas à faire ce choix. Par conséquence, nous avons tendance à douter de nos capacités à bien cohabiter et bien coopérer. Nous manquons de confiance en notre art de vivre ensemble, car cet art est presque en voie de disparition.

Combien d’entre nous aimeraient réussir à changer leur vie en profondeur : nouveau logement, nouvelle activité professionnelle, nouveau mode de vie, mais pensent que c'est trop difficile, trop compliqué ?

L'être humain est, par nature, un être social. Il a besoin de relations pour se développer. Choisir son environnement communautaire, c'est choisir d'habiter avec d'autres et de partager une certaine culture, un mode de vie, un art de vivre. Il est donc particulièrement intéressant de s'inspirer des réussites des communautés intentionnelles. Cela permet d'éviter de faire des choix de vie en tâtonnant, à l'intuition, et au hasard. N'est-il pas préférable de s'appuyer sur ce qui existe, de manière à savoir où l'on va ?

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Autres expériences : Amish, Mennonites et Cie

On le voit souvent dans des films : nombreuses sont les communautés religieuses principalement protestantes qui ont fui l'Europe dès le XVIIe siècle pour créer des communautés indépendantes dans les Amériques, tant du Nord que du Sud. Qu'ils se nomment Amish, Mennonites ou autres, ils représentent un vrai tout cohérent, même s'ils sont plutôt dispersés entre diverses communautés qui ne communiquent que peu entre elles. Parmi leurs spécificités : habiter dans de petits hameaux reculés, assurer une production agricole leur permettant l'autosuffisance alimentaire, éviter le plus possible les liens avec la société industrielle et de consommation. Donc une vie en communauté avec une certaine autarcie, sans électricité et sans monétarisation, pratiquant le troc à la bougie, vivant de jour et dormant de nuit. Bref, une vie proche de la nature, dans la simplicité volontaire et la sobriété heureuse.

Les Amish et Mennonites sont plusieurs millions dans les Amériques à avoir créé des communautés intentionnelles, parfois dans des régions entières et jusqu'en Argentine. Malgré un faible degré de liberté chez les jeunes, la tradition les autorise à découvrir la vie moderne en ville. Ils sont libres d'y rester ou de rentrer pour réintégrer la communauté et ainsi affirmer leur intention par le baptême.

Bien qu'ils soient souvent désignés comme des extrémistes dans leurs pratiques, leur mode de vie demeure remarquable, en raison de leur proximité avec la nature et de leur capacité à s'entendre (alors qu'ils sont des milliers).

Parmi les points faibles en terme de développement humain, l'émancipation des femmes, insuffisante, qui y est un vrai tabou. Comme de nombreuses communautés intentionnelles, ce sont des micro-sociétés profondément basées sur les principes de séparation des rôles entre hommes et femmes, dans lesquelles les femmes sont soumises à l'autorité masculine. Ce clivage homme-femme reste néanmoins dans des proportions similaires, voire inférieures, à celui de nombreuses cultures fondamentalistes qui dominent dans le monde entier, qu'elles soient hindoues, musulmanes ou animistes en Afrique. En revanche, comme dans toutes ces sociétés fondamentalistes, la solidarité communautaire y est aussi très forte. Chez les Amish, par exemple, les mariages sont souvent l'occasion pour la communauté des hameaux environnants de se réunir quelques jours et de construire la maison des époux en un temps record, célébrant ainsi leurs valeurs et pratiques communes.

Dans le contexte du XXIe siècle, avec la dégradation de la qualité de vie, les Amish et Mennonites sont autant détestés qu'admirés pour leur mode de vie simple et sain. La première règle amish est : « Tu ne te conformeras point à ce monde qui t’entoure »...

Avec la perte des repères de notre société de surconsommation, la culture amish fait l'objet, plus que jamais, de nombreuses attentions tant scientifiques que médiatiques, notamment auprès des jeunes générations en quête de repères. Une émission de télé-réalité lancée en 2013 aux USA a généré un débat éthique intéressant. Nommée Breaking Amish (littéralement « casser des Amish »), elle est du style Big Brother. Caméra au poing, on suit des adolescents amish à l'assaut de la société de consommation. Ils apprennent à conduire une voiture, à se raser les parties intimes, à travailler dans un fast-food, à faire valoir leurs droits pour les femmes. Leurs commentaires, leurs chocs culturels et de valeurs y sont montrés sans ménagement. Au-delà du voyeurisme évidemment honteux qui montre les déviances de notre société de consommation, l'émission permet de pointer les défis qui y sont actuellement mis en jeu.

L'histoire du phalanstère de Charles Fourier

Comme la plupart des révolutions, la révolution française de 1789 a ouvert la porte à de nombreux changements sociétaux sur une période relativement courte. Après avoir condamné le roi, les révolutionnaires ont essayé de créer une nouvelle société, allant jusqu'à renommer les mois de l'année, afin de marquer la rupture. Dans ce contexte, le gouvernement populaire en place est alors en quête d'idées nouvelles pour ses politiques sociales et économiques. Un jeune visionnaire, Charles Fourier, réussit à obtenir le droit d'y prendre la parole et de lui adresser ses idées. Habité par des concepts socialistes avant l'heure, il présente aux révolutionnaires le phalanstère, un projet de ville nouvelle.

Le phalanstère est une sorte d'hôtel coopératif pouvant accueillir 400 familles (soit environ 2 000 membres) au milieu d'un domaine de 400 hectares où l'on cultive avant tout des fruits et des fleurs. Il décrira en détails les couloirs chauffés, les grands réfectoires et les chambres agréables de ce projet pensé dans une France broyée par la crise. L'idée n'est pas retenue et Fourier se trouve écarté des affaires de l'Etat. Pourtant, son idéal ne le quitte pas. Et jusqu'à sa mort, il continuera ses recherches sur les modes de vie participatifs, diffusera sa pensée et entreprendra des expériences pilotes.

Plusieurs disciples de la pensée fouriériste adoptèrent le modèle du phalanstère avec succès. Le plus célèbre d'entre eux est Jean Godin, un industriel français qui, en 1859, commence la construction du familistère de Guise. Dans ce complexe industriel destiné à produire des poêles à bois, les ouvriers et leurs familles vivent ensemble, dans des locaux aménagés pour assurer leur bien-être. Au-delà du confort, un système de protection sociale basé sur la solidarité est créé. Ce n'est que dans les années 1960 que les activités du familistère de Guise s'arrêteront. Le poêle Godin, lui, reste aujourd'hui encore synonyme de produit artisanal de qualité !

Dans la pensée de Fourier, on retiendra surtout le principe d'une production qui ne détruit pas les liens sociaux, l'importance de la taille d'une communauté quant à sa capacité à être autosuffisante (environ 2 000 personnes), la motivation d'entreprendre coûte que coûte, la culture du mérite et celle de la société apprenante, tranchant avec l'esprit d'assistanat aujourd'hui décrié par certains. Marx et Engels s'inspireront beaucoup de Fourier dans leurs écrits, mais n'en retiendront que peu la dimension holistique, préférant le qualifier d'utopiste.

Notes et références

  1. Voir aussi l'article « Anthroposophie et permaculture », chapitre 3.