Motivation de l'initiateur d'Ecopol : Différence entre versions

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''«Vers six ans, j'ai commencé à me plonger dans les livres de la collection bibliothèques rose. Je me les enfilais d'un coup, en un ou deux jours. Ca m'embarquais dans des aventures autour du monde, avec des drames, des passions, des défis. Je vivais à Chailly-Village, un quartier plein de verdure et de calme à Lausanne. On se disait bonjour entre inconnus dans la rue, la vie était facile. Je jouais à planter des légumes avec mon père et j'ai eu l'idée un petit magasin pour aller à la rencontre des gens qui se promenaient, pour leur proposer ma petite production et faire du commerce. Je rêvais de faire des tunnels pour relier les jardins des camarades voisins, pour pouvoir leur rendre visite sans devoir traverser les routes dangereuses à causes des voitures. Mais parfois à l'école, au centre-ville ou en voyage, j'étais confronté aux souffrances du monde. Fathi Derder, aujourd'hui conseiller national bien libéral, m'a plusieurs fois attendu avec d'autres après l'école pour me casser la gueule; j'avais peur de ses réactions mais au fond j'avais surtout le sentiment confus que c'était lui qui souffrait d'un complexe. J'étais triste de ne pas pouvoir changer la dynamique de mes relations avec les gens. Triste aussi les mendiants dans la rue dans mon premier voyage à Venise vers 8 ans, des scènes qui sont habituelles aujourd'hui pour presque tout le monde, mais m'ont choqué à vie. Triste enfin et surtout le livre "cinq milliard d'hommes dans un vaisseau" d'Albert Jacquard : un manifeste de l'écoconscience avant l'heure, qui dénonçait le péril nucléaire et montrait avec des mots simples l'étendue des problèmes de l'humanité, condamnée à s'adapter ou périr. C'est amusant de préciser ici qu'il est devenu, un quart de siècle plus tard, un des premiers parrains internationaux des projets de l'association Smala que j'ai co-fondée. Depuis mon petit paradis au bord du lac Léman, sans gros soucis personnels, je me rendais bien compte que j'étais un grand privilégié, mais je n'arrivais pas à rester insensible aux malheurs du monde, j'avais envie de "faire quelque chose". Alors le soir, quand je n'arrivais pas à dormir, je pensais à comment développer un lieu où les choses seraient "meilleures". M'appuyant sur les livres et les pratiques qui y étaient décrites, j'imaginais comment faire évoluer le fonctionnement de la justice, de l'école, de l'urbanisme... J'échauffaudais des plans, comme dans un labyrinthe infernal dont on cherche la porte de sortie. Je rêvais tout éveillé, c'étaient autant de graines pour mon destin.
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'''''Notions-clé:'''''''[https://fr.wikipedia.org/wiki/Autoformation autodidacte],[https://groups.diigo.com/group/e_culture/search?what=cr%C3%A9atif+culturel créatif culturel],[http://ecoledevie.fr/ école de la vie],[https://groups.diigo.com/group/e_culture/search?what=formation+continue formation continue],[https://groups.diigo.com/group/e_culture/search?what=culture+num%C3%A9rique culture numérique],[http://tecfa.unige.ch/tecfa/maltt/cofor-1/textes/07_conf_fin.pdf acteur du changement],[https://fr.wikipedia.org/wiki/Entrepreneur porteur de projet],[https://groups.diigo.com/group/e_culture/search?what=animation+socioculturelle animation socioculturelle].''
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'''Par Théo Bondolfi'''''
  
Très vite, dès mes huit ans, je me suis investi à fond dans des micro-projets concrets, principalement des récoltes de fonds. J'allais sonner aux portes de tout le quartier pour demander des donation de lots pour la kermesse de la paroisse catholique, pour vendre les timbres de Pro Juventute au profit des enfants pauvres, et plus tard les oranges d'Helvetas pour réduire la famine en Afrique. Je me sentais utile, et j'aimais les gens et essayer de les comprendre, de les sentir, d'interagir. Mes parents, intellectuels, étaient dans un autre monde, une autre culture, plus traditionnelle, même s'ils m'apportaient beaucoup. Dès l'adolescence, j'ai quitté l'école formelle pour entrer dans l'école de la vie. J'ai cherché d'autres références, plus en phase avec mes intuitions qui convergaient vers cette idée de contribuer à "créer un environnement plus favorable pour l'humanité".
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Vers cinq ans, j'ai commencé à me plonger dans les livres de la collection Bibliothèque Rose. Ça m'embarquait dans des aventures autour du monde. Drames, passions, défis, je me les enfilais d'un coup, en un ou deux jours. Je vivais à Chailly-Village, un quartier calme, plein de verdure, à Lausanne. On se disait bonjour entre inconnus dans la rue, chacun avait son potager, la vie était facile. Je jouais à planter des légumes avec mon père et j'avais eu l'idée de tenir un petit magasin pour proposer ma petite production et faire du commerce devant la maison. Ça marchait et ça m'a marqué. Avec des voisins de mon âge, je rêvais de faire des tunnels pour relier les jardins des camarades du voisinage.
J'ai commencé à exprimer cette vision d'un monde réconcilié en réalisant des mises en scène de théâtre au MAD, puis des photographies. Les images réalisées montraient l'humain acteur dans la nature. Chaque série de photo était une aventure, comme un tournage de scène de film : scénario, budget, décor, csting de photomodèles en herbe, équipe de production, transport, mini-formation, pic-nic. Charles-Henri Favrod, alors directeur du musée de l'Elysée, m'a ouvert ses portes. Homme du monde, il m'a reconnu et encouragé. J'ai gagné en confiance. J'avais encore beaucoup de chemin à parcourir pour perdre mon innocence et trouver ma voie.
 
 
   
 
   
Alors j'ai voyagé et travaillé comme photographe de mise en scène et touche-à-tout : curateur d'expositions, entrepreneur socioculturel, incubateur de réseaux, gestionnaire de programmes intergouvernementaux de coopération Nord/Sud, formateur d'adulte et réalisateur de films documentaires, bref, tout ce qui a trait à la créativité et qui transcende les disciplines. Je cumulais les expériences autodidactes dans des domaines où la formation académique n'est pas la seule entrée possible, à la différence notable des professions d'avocat ou de médecin. Des Etats-unis à la Yougoslavie, de l'Asie du Sud à l'Europe de l'Est, de l'Afrique de l'Ouest à l'Amérique du Sud, j'ai roulé ma bosse de 16 à 35 ans, tout en gardant la plupart de mes doigts de pied en Suisse où je créais des ruches dédiée aux nouveaux modes de vie, les maisons Tir Groupé, renommées maisons Smala dès 1997.
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Mais parfois à l'école, au centre-ville ou en voyage, j'étais confronté à la tristesse du monde : les mauvaises nouvelles de guerres, de scandales, d'accidents. Enfant, cela me donnait un grand sentiment de perplexité et d'impuissance. Puis, adolescent, j'ai eu un déclic avec le livre Cinq milliards d'hommes dans un vaisseau d'Albert Jacquard : un manifeste pionnier de l'éco-conscience, qui dénonçait le péril nucléaire et montrait avec des mots simples l'étendue des problèmes de l'humanité, condamnée à s'adapter ou périr. A la fin de son livre, il mentionnait l'existence de solutions à tous ces problèmes, sans pour autant les décrire en détail. Symboliquement, j'aimerais préciser ici, que ce grand homme du XXe siècle, disparu en septembre 2013, était un des premiers parrains internationaux des projets de l'association Smala. J'ai eu la chance de passer quelques merveilleux moments avec lui. Il a éveillé tant d'âmes par son parcours exemplaire et son verbe si juste. Je lui suis profondément reconnaissant. Un récent hommage dans le quotidien suisse romand Le Courrier déplore son départ qui « laisse un vide immense, à la mesure de la médiocrité de la génération d'intellectuels qui squatte aujourd'hui la plupart des tribunes médiatiques ». Triste, mais son message d'espoir reste bien vivant !
  
''«De ce fait, j'ai pu réunir progressivement de nombreuses connaissances relatives à des pratiques durables. Je les mettais, toutes plus inspirantes les unes que les autres, dans ma besace de méthodes, d'idées et de manières de faire. Pour bien me former, j'ai cherché des mentors et des magazines spécialisés. Ils m'ont aidés à canaliser et à clarifier ce répertoire de pratiques, à m'orienter vers ce que je n'ai réussi à nommer que bien plus tard ''"écologie communautaire"''.  
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Dès mes huit ans, je me suis investi à fond dans des micro-projets concrets, par résilience probablement, pour tuer la tristesse, comme on dit au Brésil. Je participais principalement à des récoltes de fonds pour des causes. J'allais sonner aux portes de tout le quartier pour proposer les timbres de Pro Juventute au profit des enfants pauvres ou vendre les oranges d'Helvetas pour réduire la famine en Afrique. J'avais une bonne mémoire, je me souvenais de chaque personne, chaque rue, chaque réaction, j'affinais mes techniques de vente au service de projets au sein desquels je me sentais utile. J'aimais les gens. J'aimais essayer de les comprendre, de les sentir, d'interagir. Je les aime toujours autant. J'aime l'humanité, le projet humain, la vie si riche en chacun de nous, notre biodiversité intérieure. Je vois le verre à moitié plein parce que je me sens utile et libre de mes choix.
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Mes parents, intellectuels et enseignants, me semblaient assez loin de ce qui m'habitait, de mes choix culturels, même s'ils m'apportaient beaucoup. Alors, dès l'adolescence, j'ai quitté l'école formelle pour entrer dans l'école de la vie. Comme l'écrivait le philosophe et poète Rainer Maria Rilke, je me suis « détaché de ma famille pour donner de la force aux inconnus ». J'ai cherché d'autres personnes référentes, plus en phase avec mes intuitions, des personnes qui convergeaient vers cette idée de contribuer à créer un environnement plus favorable pour la société.
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J'ai commencé à exprimer ma vision d'une humanité réconciliée avec elle-même et son environnement en réalisant des performances théâtrales, puis des photographies. Mes images montraient des gens interagissant dans la nature de manière décalée. Chaque mise en scène photographique était une aventure, comme un tournage de film. Scénario, budget, repérage, décor, casting de photo-modèles en herbe, équipe de production, transport, mini-formation, pique-nique... Avec, à la clé, des vernissages d'expositions et des fêtes mémorables. J'ai rapidement été soutenu par des gens incroyables, qui me faisaient confiance, alors que je n'avais même pas 18 ans.
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Charles-Henri Favrod, alors directeur du musée de l'Elysée pour la photographie, m'a ouvert ses portes. Homme du monde, il m'a reconnu et encouragé. J'ai gagné en confiance et en joie de vivre. J'avais encore beaucoup de chemin à parcourir pour trouver ma voie, mais j'étais sur de bons rails, j'étais fou de bonheur de mordre la vie à pleines dents.
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J'ai roulé ma bosse, j'ai voyagé et monté des projets d'« imagineur » touche-à-tout : curateur d'expositions, entrepreneur socioculturel, incubateur de réseaux, gestionnaire de programmes intergouvernementaux de coopération Nord/Sud, formateur d'adultes et réalisateur de films documentaires. Bref, tout ce qui a trait à la créativité et qui transcende les disciplines. Le succès est venu. Emotionnel. Humain. Structurel. Médiatique. J'ai vécu dans des lieux littéralement magiques, avec des gens magnifiques, dont certains sont décrits dans ce livre. J'ai tout perdu très souvent, simplement parce que je transformais des lieux abandonnés en musées vivants, finalement détruits par ceux qui me les avaient prêtés. Je ne payais pas de loyer, mais de lourdes charges de transformation, animation et entretien. Ces pertes répétées de lieux de vie, ces numéros de funambulisme socio-économique, je les ai pris du bon côté.
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Je repense à Markus Jura Suisse, enfant de la nation suisse, auquel un film est consacré, Le fils prodigue. Clochard céleste à la Kerouac et ami de notre tribu, il m'a dit un jour « mourir riche est un constat d'échec ». Riche est bien entendu à prendre au sens financier. Je n'ai pas attendu mes derniers jours pour appliquer cette philosophie. J'ai choisi, sans le nommer, un certain chemin altruiste de la simplicité volontaire, tout en gérant assez jeune des budgets conséquents au service de projets d'intérêt public, requérant une grande conscience de la chose publique. J'ai juste développé un bon réseau pour toujours retomber sur mes pattes. Comme le dit bien Mariette, qui s'inspire de La Fontaine dans le film sur les 15 ans de Smala : « nous sommes comme des roseaux, parfois on plie mais on ne casse jamais ». Tous les projets que j'administrais ont fait l'objet d'audits externes finaux positifs, m'encourageant à poursuivre dans cette double voie de manager et de créatif.
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Artistiquement, j'ai commencé à signer mes œuvres « Imagination Théo Bondolfi », pour signifier que j'avais mis en image une vision, que j'avais accompagné cette vision en la documentant, pour amener l’œuvre à dépasser l'homme. Je cumulais les expériences autodidactes dans des domaines où la formation académique n'est pas la seule entrée possible, à la différence notable des professions d'avocat ou de médecin. Des Etats-Unis à la Yougoslavie, de l'Asie du Sud à l'Europe de l'Est, de l'Afrique de l'Ouest à l'Amérique du Sud. Parallèlement, j'ai gardé la plupart de mes doigts de pied en Suisse, où je créais et surtout animais des ruches dédiées aux nouveaux modes de vie : les maisons Tir Groupé, renommées maisons Smala, dès 1997.  
  
C'est sur ce chemin que j'ai pu découvrir des réalités dont la presse parle peu, mais qui sont à mon sens au coeur des enjeux de socité, des sources d'inspirations particulièrement fortes : le réseau mondial des écovillages, les communautés intentionnelles, la culture des licences libres et, plus largement, l'esprit d'entreprise sociale. Toutes m'habitent à présent pour le reste de ma vie. C'est pour cela que je me sens à la fois sans spécialisation particulière, mais avec une connaissance profonde des méthodes pour relever les défis de société, à la fois dans la théorie et la pratique, ce qui me semble essentiel pour lancer un projet comme Ecopol.
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Pour bien me former, j'ai cherché des mentors et des magazines spécialisés. Ils m'ont aidé à canaliser et à clarifier ce répertoire de pratiques, à m'orienter vers ce que j'ai réussi à nommer bien plus tard l'« écologie communautaire ». En imaginant ces œuvres, dont quelques-unes servent à illustrer cet ouvrage, j'ai pu réunir progressivement de nombreuses connaissances relatives aux pratiques durables, toutes plus inspirantes les unes que les autres. Comme un collectionneur, je les mettais dans ma besace de méthodes, d'idées et de manières de faire. C'est devenu une marque de fabrique : j'avais des suggestions de solutions pour des problèmes de société de plus en plus larges. Solutions non pas toutes faites, mais simplement vécues, documentées. Elles s'appuyaient sur des experts et de vastes mouvements, peu connus et pourtant bien concrets.  
  
''«Ce sont ces petits morceaux de chemins de vie qui vous sont partagés dans cet ouvrage, de la manière la plus digeste possible. Puissions-nous le faire évoluer ensemble, pour qu'à l'image d'Ecopol, il devienne, de plus en plus, le projet d'un groupe. Car si j'en suis l'initiateur et le vecteur, dès le début et jusqu'au bout, ce sera le produit d'une intelligence collective.»''
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De 16 à 35 ans, j'ai ainsi vogué d'un projet à l'autre, jusqu'à oser enfin parler de ma vision d'enfant, puis la nommer : Ecopol, des pôles internationaux d'écologie communautaire. Il m'a ensuite fallu près de 7 ans pour réussir à formaliser cette vision.
  
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Voilà, c'est fait. Ma vision est posée dans ce livre, résultat de mes études sur le terrain. Je le publie à un moment que j'espère être le milieu de ma vie, le début de la quarantaine, pour passer à une nouvelle étape, la diffusion sous une forme digeste de cette approche globale. Elle me semble intéressante à tenter à large échelle. 
  
[[Fichier:Théo.jpg]]
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''Le monde n'est pas malade, il enfante,'' a écrit Xavier Sallantin, inspiré par Teilhard de Chardin. Ce livre est une petite contribution à cet accouchement.

Version actuelle datée du 26 juillet 2016 à 16:23

Notions-clé:''autodidacte,créatif culturel,école de la vie,formation continue,culture numérique,acteur du changement,porteur de projet,animation socioculturelle.


Par Théo Bondolfi

Vers cinq ans, j'ai commencé à me plonger dans les livres de la collection Bibliothèque Rose. Ça m'embarquait dans des aventures autour du monde. Drames, passions, défis, je me les enfilais d'un coup, en un ou deux jours. Je vivais à Chailly-Village, un quartier calme, plein de verdure, à Lausanne. On se disait bonjour entre inconnus dans la rue, chacun avait son potager, la vie était facile. Je jouais à planter des légumes avec mon père et j'avais eu l'idée de tenir un petit magasin pour proposer ma petite production et faire du commerce devant la maison. Ça marchait et ça m'a marqué. Avec des voisins de mon âge, je rêvais de faire des tunnels pour relier les jardins des camarades du voisinage.

Mais parfois à l'école, au centre-ville ou en voyage, j'étais confronté à la tristesse du monde : les mauvaises nouvelles de guerres, de scandales, d'accidents. Enfant, cela me donnait un grand sentiment de perplexité et d'impuissance. Puis, adolescent, j'ai eu un déclic avec le livre Cinq milliards d'hommes dans un vaisseau d'Albert Jacquard : un manifeste pionnier de l'éco-conscience, qui dénonçait le péril nucléaire et montrait avec des mots simples l'étendue des problèmes de l'humanité, condamnée à s'adapter ou périr. A la fin de son livre, il mentionnait l'existence de solutions à tous ces problèmes, sans pour autant les décrire en détail. Symboliquement, j'aimerais préciser ici, que ce grand homme du XXe siècle, disparu en septembre 2013, était un des premiers parrains internationaux des projets de l'association Smala. J'ai eu la chance de passer quelques merveilleux moments avec lui. Il a éveillé tant d'âmes par son parcours exemplaire et son verbe si juste. Je lui suis profondément reconnaissant. Un récent hommage dans le quotidien suisse romand Le Courrier déplore son départ qui « laisse un vide immense, à la mesure de la médiocrité de la génération d'intellectuels qui squatte aujourd'hui la plupart des tribunes médiatiques ». Triste, mais son message d'espoir reste bien vivant !

Dès mes huit ans, je me suis investi à fond dans des micro-projets concrets, par résilience probablement, pour tuer la tristesse, comme on dit au Brésil. Je participais principalement à des récoltes de fonds pour des causes. J'allais sonner aux portes de tout le quartier pour proposer les timbres de Pro Juventute au profit des enfants pauvres ou vendre les oranges d'Helvetas pour réduire la famine en Afrique. J'avais une bonne mémoire, je me souvenais de chaque personne, chaque rue, chaque réaction, j'affinais mes techniques de vente au service de projets au sein desquels je me sentais utile. J'aimais les gens. J'aimais essayer de les comprendre, de les sentir, d'interagir. Je les aime toujours autant. J'aime l'humanité, le projet humain, la vie si riche en chacun de nous, notre biodiversité intérieure. Je vois le verre à moitié plein parce que je me sens utile et libre de mes choix.

Mes parents, intellectuels et enseignants, me semblaient assez loin de ce qui m'habitait, de mes choix culturels, même s'ils m'apportaient beaucoup. Alors, dès l'adolescence, j'ai quitté l'école formelle pour entrer dans l'école de la vie. Comme l'écrivait le philosophe et poète Rainer Maria Rilke, je me suis « détaché de ma famille pour donner de la force aux inconnus ». J'ai cherché d'autres personnes référentes, plus en phase avec mes intuitions, des personnes qui convergeaient vers cette idée de contribuer à créer un environnement plus favorable pour la société.

J'ai commencé à exprimer ma vision d'une humanité réconciliée avec elle-même et son environnement en réalisant des performances théâtrales, puis des photographies. Mes images montraient des gens interagissant dans la nature de manière décalée. Chaque mise en scène photographique était une aventure, comme un tournage de film. Scénario, budget, repérage, décor, casting de photo-modèles en herbe, équipe de production, transport, mini-formation, pique-nique... Avec, à la clé, des vernissages d'expositions et des fêtes mémorables. J'ai rapidement été soutenu par des gens incroyables, qui me faisaient confiance, alors que je n'avais même pas 18 ans.

Charles-Henri Favrod, alors directeur du musée de l'Elysée pour la photographie, m'a ouvert ses portes. Homme du monde, il m'a reconnu et encouragé. J'ai gagné en confiance et en joie de vivre. J'avais encore beaucoup de chemin à parcourir pour trouver ma voie, mais j'étais sur de bons rails, j'étais fou de bonheur de mordre la vie à pleines dents.

J'ai roulé ma bosse, j'ai voyagé et monté des projets d'« imagineur » touche-à-tout : curateur d'expositions, entrepreneur socioculturel, incubateur de réseaux, gestionnaire de programmes intergouvernementaux de coopération Nord/Sud, formateur d'adultes et réalisateur de films documentaires. Bref, tout ce qui a trait à la créativité et qui transcende les disciplines. Le succès est venu. Emotionnel. Humain. Structurel. Médiatique. J'ai vécu dans des lieux littéralement magiques, avec des gens magnifiques, dont certains sont décrits dans ce livre. J'ai tout perdu très souvent, simplement parce que je transformais des lieux abandonnés en musées vivants, finalement détruits par ceux qui me les avaient prêtés. Je ne payais pas de loyer, mais de lourdes charges de transformation, animation et entretien. Ces pertes répétées de lieux de vie, ces numéros de funambulisme socio-économique, je les ai pris du bon côté.

Je repense à Markus Jura Suisse, enfant de la nation suisse, auquel un film est consacré, Le fils prodigue. Clochard céleste à la Kerouac et ami de notre tribu, il m'a dit un jour « mourir riche est un constat d'échec ». Riche est bien entendu à prendre au sens financier. Je n'ai pas attendu mes derniers jours pour appliquer cette philosophie. J'ai choisi, sans le nommer, un certain chemin altruiste de la simplicité volontaire, tout en gérant assez jeune des budgets conséquents au service de projets d'intérêt public, requérant une grande conscience de la chose publique. J'ai juste développé un bon réseau pour toujours retomber sur mes pattes. Comme le dit bien Mariette, qui s'inspire de La Fontaine dans le film sur les 15 ans de Smala : « nous sommes comme des roseaux, parfois on plie mais on ne casse jamais ». Tous les projets que j'administrais ont fait l'objet d'audits externes finaux positifs, m'encourageant à poursuivre dans cette double voie de manager et de créatif.

Artistiquement, j'ai commencé à signer mes œuvres « Imagination Théo Bondolfi », pour signifier que j'avais mis en image une vision, que j'avais accompagné cette vision en la documentant, pour amener l’œuvre à dépasser l'homme. Je cumulais les expériences autodidactes dans des domaines où la formation académique n'est pas la seule entrée possible, à la différence notable des professions d'avocat ou de médecin. Des Etats-Unis à la Yougoslavie, de l'Asie du Sud à l'Europe de l'Est, de l'Afrique de l'Ouest à l'Amérique du Sud. Parallèlement, j'ai gardé la plupart de mes doigts de pied en Suisse, où je créais et surtout animais des ruches dédiées aux nouveaux modes de vie : les maisons Tir Groupé, renommées maisons Smala, dès 1997.

Pour bien me former, j'ai cherché des mentors et des magazines spécialisés. Ils m'ont aidé à canaliser et à clarifier ce répertoire de pratiques, à m'orienter vers ce que j'ai réussi à nommer bien plus tard l'« écologie communautaire ». En imaginant ces œuvres, dont quelques-unes servent à illustrer cet ouvrage, j'ai pu réunir progressivement de nombreuses connaissances relatives aux pratiques durables, toutes plus inspirantes les unes que les autres. Comme un collectionneur, je les mettais dans ma besace de méthodes, d'idées et de manières de faire. C'est devenu une marque de fabrique : j'avais des suggestions de solutions pour des problèmes de société de plus en plus larges. Solutions non pas toutes faites, mais simplement vécues, documentées. Elles s'appuyaient sur des experts et de vastes mouvements, peu connus et pourtant bien concrets.

De 16 à 35 ans, j'ai ainsi vogué d'un projet à l'autre, jusqu'à oser enfin parler de ma vision d'enfant, puis la nommer : Ecopol, des pôles internationaux d'écologie communautaire. Il m'a ensuite fallu près de 7 ans pour réussir à formaliser cette vision.

Voilà, c'est fait. Ma vision est posée dans ce livre, résultat de mes études sur le terrain. Je le publie à un moment que j'espère être le milieu de ma vie, le début de la quarantaine, pour passer à une nouvelle étape, la diffusion sous une forme digeste de cette approche globale. Elle me semble intéressante à tenter à large échelle.

Le monde n'est pas malade, il enfante, a écrit Xavier Sallantin, inspiré par Teilhard de Chardin. Ce livre est une petite contribution à cet accouchement.