Chapitre 5 : introduction
Nous sommes tous concernés par l'impact du numérique dans notre manière de gagner notre pain quotidien. Artisan qui écoule sa production et fédère ses clients. Etudiant qui prépare son entrée dans le monde du travail. Sénior qui cherche à acheter ou revendre des objets de seconde main, vu son petit budget. Dirigeant d'entreprise qui doit transformer sa stratégie marketing classique en stratégie de gestion d'une communauté sur Internet.
En ouvrant un journal à la page Internet, on découvre les nouveautés technologiques. Plus vite, plus fort, moins cher, plus facile, yeah ! La guerre de l'économie numérique fait rage. Chacun rivalise d'ingéniosité pour faire un gros coup et ramasser le jackpot. Les idées les simples marcheraient-elles le mieux ? Qui arnaque qui ? Qui gagne quoi ? Les entreprises mondialisées sont à la fois nos guides, nos airs de jeux et nos leaders économiques.
Et qui est numéro 1 du numérique ? Avant-hier IBM, mais la plupart des digital natives ne le savent même pas. Hier Microsoft, toujours talonné par Apple. Aujourd'hui Google. Demain Facebook ? Ou Twitter ? Quel modèle devrait nous inspirer ? Qui imiter ? Mais au fond, ces questions sont-elles importantes ?
Pour décrypter les bulles spéculatives et trouver son chemin, rappelons-nous qu'il n'y a qu'un seul fil rouge pour prédire l'avenir du numérique : les propriétés socio-techniques du numérique : instantanéité, décentralisation, multilatéralité, symétrie, asynchronicité. Cinq mots, cinq concepts, cinq modes de fonctionnements qui, réunis, ouvrent les portes du Graal de la communication numérique.
Alors comment utiliser ces propriétés socio-techniques du numérique pour rester numéro 1 dans un secteur du marché de l'économie numérique ? Mission impossible si les propriétaires des outils mis à disposition du public sont en fait des actionnaires et non pas les utilisateurs eux-même. Car la motivation des actionnaires ne peut être que le gain à court terme. Certes, il est merveilleux de constater que certains directions d'entreprises visionnaires réussissent à imposer aux actionnaires pendant quelques années des stratégies d'investissements à long terme, durables, impliquant les utilisateurs; mais le marché, vu qu'il est biaisé par des régulations dysfonctionnelles, force ces mêmes directions d'entreprises à miser sur le court terme, sur la maximisation des profits, la captivité des clients, mettant ainsi la pression sur nos démocraties. Alors que les entreprises possédées par les collaborateurs, qui font corps avec les besoins du public, sont beaucoup plus pérenne par nature. Car les propriétés des écosystèmes numériques génèrent par essence une dynamique de partage du savoir et d'équité des chances. Les communautés d'utilis'acteurs d'outils numériques libres gagnent invariablement du terrain, parfois avec deux pas en arrière puis trois pas en avant.
Il n'y a pas que GNU/Linux et Wikipedia. Dans les domaines de l'eCommerce, du réseau social ou encore des serveurs web, les parts de marché des leaders lucratifs se réduisent au profit de petits acteurs émergents, plus sensibles à une économie solidaire, de proximité, en petits groupes, dans l'esprit d'un bazar.
C'est pour cela qu'une fois arrivé au sommet grâce à des levées de fonds d'investissement de capital-risque, la seule stratégie des multinationales de la communication pour conserver une position dominante consiste à diversifier largement les activités. Ainsi, elles sortent partiellement de l'économie purement numérique, en revenant aux anciens paradigmes économique de la rareté. Par exemple, elles investissent dans le dur, en achètant des terres. Elles aquièrent des actions d'entreprises du secteur énergétique. Cela leur permet d'occuper plusieurs terrains en parallèle, et de réinvestir les gains rapidement accumulés sur des valeurs sûres. Les fondateurs de Microsoft, Yahoo, Amazon ou eBay, pour citer quelques mastodontes de la Net-économie, ont souvent pris du recul et anticipé les éclatements de bulles dus à des concurrences naturelles dans cette économie numérique où tout les acteurs sont au même niveau (propriété de la symétrie). Mais les actionnaires des géants de l'industrie numérique restent eux pour l'instant concentré sur les positions dominantes à court terme, et entraînent donc souvent ces entreprises vers des stratégies qui les fragilisent. Seule une implication très forte des utilisateurs dans la gestion des produits permet une réelle durabilité. Google l'a partiellement compris. Mais sa taille l'oblige à l'excellence de démocratie participative, ce dont il est bien loin.
D'autre part, comment obtenir ou conserver une position dominante dans un secteur d'action sur la matière, comme le secteur énergétique, agro-industriel ou pharmaceutique ? En achetant des médias. Les grands groupes industriels qui l'ont compris dans les années 1980 ont progressivement rachetés ou créé de nouveaux organe de presse écrite, télévisée et radio, et on investi massivement dans les portails web. Objectif : mieux contrôler les flux d'informations. Conserver leur réputation, en devenant ceux qui font les réputations. En bref, devenir le média plutôt que de subir. C'est une stratégie subversive, pratiquée à large échelle par tous ceux qui visent à conserver et/ou étendre leur influence. On ne peut plus se passer des médias pour gouverner. Mais cela ne sert qu'à court terme. Car à moyen terme, les propriétés du numérique donnent toujours la possibilité à l'intelligence collective de favoriser l'équité des chances là où l’iniquité devient trop flagrante, et permettent ainsi l'émergence de nouveaux acteurs. Souvent ces nouveaux acteurs émergent à la faveur de ruptures technologique. Par exemple l'émergence de la téléphonie sur Internet, qui réduit la domination des opérateurs télécoms.
Ainsi éclatent les bulles.
Mais internet en tant que tel n'est qu'un amplificateur de l'économie de marché, avec ses failles structurelles et ses opportunités de développement pour les personnes et les groupes.
En s'appuyant sur les propriétés du numérique, on peut raisonnablement imaginer un monde plus juste, où la coopération se renforce et la compétition s'affaiblit. Un monde où les intermédiaires sont méritants, où les monopoles se réduisent, où chacun trouve sa place et où l'économie est plus dynamique, l'industrie moins polluante, la terre plus vive, le temps plus doux. C'est ce que l'on découvre dans ce chapitre.