Discussion:Malinfo vs Slowinfo
Comment nous manipuler en 10 leçons
Article paru dans Nexus, novembre-décembre 2010
Pressenza International Press Agency a résumé, fin septembre, les dix commandements de la manipulation médiatique, selon le célèbre sociologue Noam Chomsky. Les voici en bref:
- La stratégie de la distraction : élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l'attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d'informations insignifiantes (...).
- Créer des problèmes, puis offrir des solutions : (...) Par exemple : laisser se développer la violence urbaine (...) afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.
- La stratégie de la dégradation : pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l'appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de dix ans (...).
- La stratégie du différé : une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l'accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d'accepter un sacrifice futur qu'un sacrifice immédiat (...).
- S'adresser au public comme à des enfants en bas âge : si l'on s'adresse à une personne comme si elle était âgée de douze ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d'un enfant de cet âge.
- Faire appel à l'émotionnel plutôt qu'à la réflexion.
- Maintenir le public dans l'ignorance et la bêtise : (...) la qualité de l'éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre,de telle sorte que le fossé de l'ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures.
- Encourager le public à se complaire dans la médiocrité, à trouver « cool » le fait d'être bête, vulgaire et inculte...
- Remplacer la révolte par la culpabilité : faire croire à l'individu qu'il est seul responsable de son malheur (...). Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l'individu s'auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l'un des effets est l'inhibition de l'action (...).
- Connaître les individus mieux qu'ils ne se connaissent eux-mêmes : grâce à la biologie, la neurobiologie et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l'être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l'individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même.
Nexus, novembre-décembre 2010
La "malpresse" mise en cause
Article paru dans Le Courrier du 14 août 2010
MEDIAS • Affaiblissement du débat démocratique, absence de vision globale, mise en avant de l'anodin et de l'émotionnel. Une étude dénonce la médiocrité rampante.
La presse suisse est-elle responsable l'affadissement du débat démocratique? Oui, si l'on examine les prestations de 17 médias de référence lors du vote sur l'initiative contre les minarets: profusion de préjugés généralisateurs sur les musulmans; attention presque exclusive sur l'affiche et le jeu internet sur les minarets, au détriment du fond (liberté religieuse); traitement très favorable des partisans de l'initiative. Les médias ont ainsi «réussi» majoritairement à véhiculer l'image d'un islamisme militant, fort éloigné de la réalité musulmane en Suisse.
Et les médias ont-ils joué leur rôle d'avertisseur avancé de la crise économique? Bien sûr que non! La crise n'a été reconnue qu'à un stade tardif, au 2e semestre 2007. Succès des grandes banques et montants scandaleux des managers ont longtemps fait les grands titres. Centrées sur des acteurs isolés (entreprises, patrons), ces nouvelles ont occulté la transformation fondamentale de la banque classique en industrie financière. Les causes et conséquences des problèmes survenus n'ont été traitées qu'après le quasi-effondrement. Les médias n'avaient rien retenu des leçons de la crise d'internet.
La qualité s'effiloche
Pourquoi? La vue macroécononomique sur les processus touchant l'ensemble de la société ou l'économie fait de plus en plus défaut chez journalistes. Et leur tâche centrale - intégrer les événements dans leur contexte, sur la base d'enquêtes approfondies - n'a plus trop cours, « si l'on excepte les crimes capitaux dans journaux à sensation », sourit le professeur Kurt Imhof. L'ère est au journalisme fulgurant 24 h sur 24, diffusant les mêmes contenus par plusieurs canaux.
D'où une qualité médiatique qui s'effiloche, selon une étude réalisée auprès de 137 titres par l'Université de Zurich1 et présentée à Berne. « Le bilan est pessimiste, très pessimiste même », selon Oswald Sigg, membre du conseil de fondation « Offentlichkeit und Gesellschaft » qui la soutient. Pour un pays qui a longtemps joui d'une excellente réputation, cette vérité est cruelle. Elle est déjà contestée par Hanspeter Lebrument, président des éditeurs alémaniques, mais approuvée par Impressum (journalistes).
Les chiffres sont têtus
La qualité s'effiloche, mais à qui la faute? Outre le manque de ressources (et d'ambition?), lié à une perte continue de recettes publicitaires, les chercheurs incriminent l'accoutumance à la gratuité des consommateurs, inoculée par les médias en ligne et journaux pour pendulaires. Particulièrement, les jeunes classes d'âges (15-34 ans) ont été socialisées dans cette culture où faits isolés et petites histoires humaines/animales ont pris un poids nettement plus élevé. Vive « people » et émotionnel! Dès lors, comment peut-on encore croire que le journalisme professionnel a un coût, que la production de dossiers et analyses politiques exige du temps, et surtout nourrit le nécessaire débat démocratique?
La baisse de niveau des médias se vérifie aussi à la part croissante des nouvelles nationales et surtout régionales, au détriment des informations internationales. Ce qui peut sembler paradoxal à l'ère de la mondialisation. Mais les chiffres sont têtus: en 2001, la part des reportages politiques sur l'étranger représentait 46%. Et plus que 24% en 2009. La radio publique échappe un peu à la régression, proposant toujours des sujets intéressants sur l'extérieur. Et aussi les journaux du dimanche qui couvrent un peu mieux le besoin de réflexion approfondie sur l'actualité.
Sinon, le tableau est plutôt sombre. Journaux gratuits, sites de nouvelles, radios privées et nombre de journaux par abonnement réduisent le monde à des nouvelles d'agences. Soit à une série continue de crises, guerres, catastrophes et affaires scandaleuses. Ce qui, selon tout vraisemblance, alimente aussi un populisme simplificateur car le monde n'est alors perçu que comme dangereux.
Il en va des médias comme de la nourriture. Pour les premiers, la « malbouffe » est surtout dommageable pour le cœur et l'esprit, moins pour l'organisme. L'ambition de ces annales est modeste: éveiller chez tous (consommateurs, politiciens éditeurs, journalistes) la conscience que le pays a besoin de médias de meilleure qualité. Et inutile de regarder ailleurs: nous en sommes tous responsables!
Gérard Tinguely, Le Courrier, 14.08.10