Histoire de l'Internet
Mai 68, partage, équité, société de consommation, société de l'information, cybernétique, écologie spirituelle, programmation neuro-linguistique (PNL)
Sommaire
HISTOIRE DE L'INTERNET
Mai 68, partage, équité, société de consommation, société de l'information, cybernétique, écologie spirituelle, programmation neuro-linguistique (PNL)
Internet : une création citoyenne, une action citoyenne
Recherche d'horaires de train, achats en ligne, réservations de billets de concert : ces petits gestes ordinaires composent le quotidien du Web. Internet semble aujourd'hui si naturel et évident à la plupart de ses utilisateurs qu'ils en oublieraient presque que l'humanité s'en est longtemps passée. Retour sur une histoire étonnante.
Les visionnaires du monde virtuel
Printemps 1968. À Paris, mais aussi à Prague, Chicago ou Mexico, des centaines de milliers d'étudiants et d'intellectuels défilent derrière des slogans plus imaginatifs les uns que les autres, notamment « sous les pavés, la plage ». Leurs manifestations appellent aux valeurs de partage, de solidarité, d'équité des chances et contestent la société de consommation, alors en plein essor.
Au même moment, dans ce qui allait devenir la Silicon Valley, une poignée de scientifiques travaille sur de toutes nouvelles technologies. Guidés eux aussi par les idéaux de l'époque, ils sont sociologues, psychiatres, linguistes, anthropologues ou mathématiciens. À leur tête, Norbert Wiener, génie des sciences de la communication. Le groupe invente une nouvelle science, nommée cybernétique.
Issu du grec kubernesis – diriger, gouverner – le terme cybernétique s'applique à la « modélisation de l'échange, par l'étude de l'information et des principes d'interaction[1]. De fait, les méthodes de travail des cybernéticiens empruntaient autant aux sciences exactes qu'à d'autres domaines de la connaissance. Débats, entraide, méditation en groupe ou techniques de modification de l'état de conscience, concouraient indifféremment à nourrir leur réflexion. Norbert Wiener concevait le monde comme un ensemble de systèmes imbriqués les uns dans les autres – une société, un organisme vivant, un cerveau, une machine, systèmes qu'il s'agit de contrôler au mieux. Si les acteurs de cette aventure, chercheurs par excellence, partageaient une expérience académique considérable et la même volonté d'explorer de nouveaux territoires et approches, sans tabous ni limites, ils avaient également l'ambition de changer les choses, de rendre le monde meilleur et de rapprocher les individus. En cela, ils étaient en phase avec leur temps.
Très influencé par les conférences et publications des cybernéticiens, l'anthropologue Gregory Bateson décida de son côté de rassembler d'autres chercheurs au sein d'un mouvement qu'il baptisa écologie spirituelle. Bateson avait fondé, en 1952, l'École de Palo Alto, constituée de scientifiques qui étudiaient le paradoxe de l'abstraction dans la communication[2]. L'École de Palo Alto est pionnière dans le développement de systèmes informatiques modernes. Ses travaux s'inscrivaient notamment dans un cadre d'étude psychiatrique : ils s'attachaient par exemple à comprendre les logiques de communication à l'œuvre chez les sujets atteints de schizophrénie. Ces études ont permis aux membres de l'École de mettre en place de nouveaux schémas de communication et elles ont contribué à une nouvelle compréhension des modes d'échange d'information.
Cybernétique et écologie spirituelle avaient en commun leur approche organiste : les choses sans vie y étaient considérées comme des organismes à part entière. Pour étudier un cerveau ou un système informatique, les mêmes méthodes pouvaient être mobilisées. Une connexion avant-gardiste entre programmation informatique et programmation neuro-linguistique (PNL).
Doug Engelbart, le connecteur des mondes
Nombreux sont les pères fondateurs des réseaux informatiques dont le nom est connu des médias. Vinton Cerf notamment, nommé plus de quarante ans plus tard évangélisateur en chef chez Google, est à la base informaticien, comme d'autres cofondateurs d'Internet tels que Paul Baran ou les français Jacques Vallée et Louis Pouzin, qui chacun apportèrent des pierres à l'édifice d'un réseau ouvert et neutre dans les années 1970. Tous se sont inspirés des visionnaires de la société de l'information des années 1950 et 1960, comme Marshal Mac Luhan, lui qui a dit le message est le médium. Mac Luhan et ses amis de l'École de Palo Alto associaient spiritualité, psychologie, mathématiques, philosophie, biologie, anthropologie, pour imaginer les premiers systèmes d'information complexe...
Entre les informaticiens et les visionnaires, un intermédiaire : Doug Englebarts. Ce génie n'occupe guère de place dans les livres d'Histoire. Or ce fut bien l'un des scientifiques les plus importants du xxe siècle. Car il fit le lien entre les hommes d'esprit de Palo Alto et les informaticiens spécialistes payés par les militaires pour créer techniquement les premiers réseaux informatique. Selon des témoins proches comme Jacques Vallée dans son livre Au cœur d'Internet, nous devons à Doug Englebarts l'invention de la souris, celle du lien hypertexte, du bureau graphique, autant d'outils qui ont révolutionné l'informatique et font aujourd'hui partie de notre quotidien. Dans la foulée, il créa, dès les années 1970, les premiers blogs et newsletter, bien avant qu'on ne les nomment ainsi.
C'est dans le cadre du programme de recherche militaire ARPA que Doug Engelbarts fit ses découvertes les plus marquantes, toujours influencé par les visionnaires du réseau qui imaginaient l'esprit de partage et les techniciens du réseaux qui codaient les logiciels de transferts d'informations. Le projet ARPA visait à éviter que les renseignements militaires américains ne puissent être fragilisés si une bombe tombait sur un centre de commandement. Amusant, car sans le vouloir, les militaires finançaient... la décentralisation de la gouvernance mondiale, le partage du savoir et plus de justice socio-économique.
ARPA est l'ancêtre de l'Internet que nous connaissons : ses concepteurs avaient compris qu'il révolutionnerait les modes de communication, les liens sociaux et qu'il réduirait les écarts au sein de la société. En 1968 sort le livre L'ordinateur comme moyen de communication (The computer as a communication device). Son auteur Bob Taylor, le pionnier de l'informatique, affirmait : « dans quelques années, les Hommes sauraient mieux communiquer à travers les machines que face à face[3]. Les idéaux de Engelbarts et de Taylor, très imprégnés de culture hippie, leur faisaient espérer un monde meilleur, grâce aux nouvelles technologies informatiques : l'Internet n'est pas une question de technologie ; c'est une question de communication. Internet connecte des personnes qui partagent des intérêts et des besoins, sans se soucier de la géographie.[4]
Et le réseau s'étendit
La révolution scientifique qui vit naître Internet s'est donc produite simultanément à l'éclosion de la beat generation et du mouvement hippie, révolutionnaires eux aussi, à leur manière. Pendant que les uns manifestaient contre la guerre du Vietnam, les autres, dans la Silicon Valley, travaillaient à la défense des droits déjà menacés par une société de l'information en essor continu et au nivellement des différences que permettraient les réseaux informatiques.
[[Image:]]D'abord limité à quelques centres de recherches et universités, Internet, dans les années 1980, s'étendra à l'ensemble du monde académique pour devenir totalement public au cours de la décennie suivante. Les années 1990 verront croître et multiplier les grands débats sur la liberté de l'information. Internet commencera alors à être envisagé comme le remède à toutes les censures.
Sources et notes
Wikipédia : cybernétique, Robert Taylor (computer scientist), Gregory Bateson, histoire d'internet, ARPA, ...
J.C.R. Licklider; Robert Taylor (April 1968). "The Computer as a Communication Device". Science and Technology