Ma motivation pour initier Ecopol
Notions-clés: autodidacte,créatif culturel,école de la vie,formation continue,culture numérique,acteur du changement,porteur de projet,animation socioculturelle.
Par Théo Bondolfi
Vers cinq ans, j'ai commencé à me plonger dans les livres de la collection Bibliothèque Rose. Ça m'embarquait dans des aventures autour du monde. Drames, passions, défis, je me les enfilais d'un coup, en un ou deux jours. Je vivais à Chailly-Village, un quartier calme, plein de verdure, à Lausanne. On se disait bonjour entre inconnus dans la rue, chacun avait son potager, la vie était facile. Je jouais à planter des légumes avec mon père et j'avais eu l'idée de tenir un petit magasin pour proposer ma petite production et faire du commerce devant la maison. Ça marchait et ça m'a marqué. Avec des voisins de mon âge, je rêvais de faire des tunnels pour relier les jardins des camarades du voisinage.
Mais parfois à l'école, au centre-ville ou en voyage, j'étais confronté à la tristesse du monde : les mauvaises nouvelles de guerres, de scandales, d'accidents. Enfant, cela me donnait un grand sentiment de perplexité et d'impuissance. Puis, adolescent, j'ai eu un déclic avec le livre Cinq milliards d'hommes dans un vaisseau d'Albert Jacquard : un manifeste pionnier de l'éco-conscience, qui dénonçait le péril nucléaire et montrait avec des mots simples l'étendue des problèmes de l'humanité, condamnée à s'adapter ou périr. A la fin de son livre, il mentionnait l'existence de solutions à tous ces problèmes, sans pour autant les décrire en détail. Symboliquement, j'aimerais préciser ici, que ce grand homme du XXe siècle, disparu en septembre 2013, était un des premiers parrains internationaux des projets de l'association Smala. J'ai eu la chance de passer quelques merveilleux moments avec lui. Il a éveillé tant d'âmes par son parcours exemplaire et son verbe si juste. Je lui suis profondément reconnaissant. Un récent hommage dans le quotidien suisse romand Le Courrier déplore son départ qui « laisse un vide immense, à la mesure de la médiocrité de la génération d'intellectuels qui squatte aujourd'hui la plupart des tribunes médiatiques ». Triste, mais son message d'espoir reste bien vivant !
Dès mes huit ans, je me suis investi à fond dans des micro-projets concrets, par résilience probablement, pour tuer la tristesse, comme on dit au Brésil. Je participais principalement à des récoltes de fonds pour des causes. J'allais sonner aux portes de tout le quartier pour proposer les timbres de Pro Juventute au profit des enfants pauvres ou vendre les oranges d'Helvetas pour réduire la famine en Afrique. J'avais une bonne mémoire, je me souvenais de chaque personne, chaque rue, chaque réaction, j'affinais mes techniques de vente au service de projets au sein desquels je me sentais utile. J'aimais les gens. J'aimais essayer de les comprendre, de les sentir, d'interagir. Je les aime toujours autant. J'aime l'humanité, le projet humain, la vie si riche en chacun de nous, notre biodiversité intérieure. Je vois le verre à moitié plein parce que je me sens utile et libre de mes choix.
Mes parents, intellectuels et enseignants, me semblaient assez loin de ce qui m'habitait, de mes choix culturels, même s'ils m'apportaient beaucoup. Alors, dès l'adolescence, j'ai quitté l'école formelle pour entrer dans l'école de la vie. Comme l'écrivait le philosophe et poète Rainer Maria Rilke, je me suis « détaché de ma famille pour donner de la force aux inconnus ». J'ai cherché d'autres personnes référentes, plus en phase avec mes intuitions, des personnes qui convergeaient vers cette idée de contribuer à créer un environnement plus favorable pour la société.
J'ai commencé à exprimer ma vision d'une humanité réconciliée avec elle-même et son environnement en réalisant des performances théâtrales, puis des photographies. Mes images montraient des gens interagissant dans la nature de manière décalée. Chaque mise en scène photographique était une aventure, comme un tournage de film. Scénario, budget, repérage, décor, casting de photo-modèles en herbe, équipe de production, transport, mini-formation, pique-nique... Avec, à la clé, des vernissages d'expositions et des fêtes mémorables. J'ai rapidement été soutenu par des gens incroyables, qui me faisaient confiance, alors que je n'avais même pas 18 ans.
Charles-Henri Favrod, alors directeur du musée de l'Elysée pour la photographie, m'a ouvert ses portes. Homme du monde, il m'a reconnu et encouragé. J'ai gagné en confiance et en joie de vivre. J'avais encore beaucoup de chemin à parcourir pour trouver ma voie, mais j'étais sur de bons rails, j'étais fou de bonheur de mordre la vie à pleines dents.
J'ai roulé ma bosse, j'ai voyagé et monté des projets d'« imagineur » touche-à-tout : curateur d'expositions, entrepreneur socioculturel, incubateur de réseaux, gestionnaire de programmes intergouvernementaux de coopération Nord/Sud, formateur d'adultes et réalisateur de films documentaires. Bref, tout ce qui a trait à la créativité et qui transcende les disciplines. Le succès est venu. Emotionnel. Humain. Structurel. Médiatique. J'ai vécu dans des lieux littéralement magiques, avec des gens magnifiques, dont certains sont décrits dans ce livre. J'ai tout perdu très souvent, simplement parce que je transformais des lieux abandonnés en musées vivants, finalement détruits par ceux qui me les avaient prêtés. Je ne payais pas de loyer, mais de lourdes charges de transformation, animation et entretien. Ces pertes répétées de lieux de vie, ces numéros de funambulisme socio-économique, je les ai pris du bon côté.
Je repense à Markus Jura Suisse, enfant de la nation suisse, auquel un film est consacré, Le fils prodigue. Clochard céleste à la Kerouac et ami de notre tribu, il m'a dit un jour « mourir riche est un constat d'échec ». Riche est bien entendu à prendre au sens financier. Je n'ai pas attendu mes derniers jours pour appliquer cette philosophie. J'ai choisi, sans le nommer, un certain chemin altruiste de la simplicité volontaire, tout en gérant assez jeune des budgets conséquents au service de projets d'intérêt public, requérant une grande conscience de la chose publique. J'ai juste développé un bon réseau pour toujours retomber sur mes pattes. Comme le dit bien Mariette, qui s'inspire de La Fontaine dans le film sur les 15 ans de Smala : « nous sommes comme des roseaux, parfois on plie mais on ne casse jamais ». Tous les projets que j'administrais ont fait l'objet d'audits externes finaux positifs, m'encourageant à poursuivre dans cette double voie de manager et de créatif.
Artistiquement, j'ai commencé à signer mes œuvres « Imagination Théo Bondolfi », pour signifier que j'avais mis en image une vision, que j'avais accompagné cette vision en la documentant, pour amener l’œuvre à dépasser l'homme. Je cumulais les expériences autodidactes dans des domaines où la formation académique n'est pas la seule entrée possible, à la différence notable des professions d'avocat ou de médecin. Des Etats-Unis à la Yougoslavie, de l'Asie du Sud à l'Europe de l'Est, de l'Afrique de l'Ouest à l'Amérique du Sud. Parallèlement, j'ai gardé la plupart de mes doigts de pied en Suisse, où je créais et surtout animais des ruches dédiées aux nouveaux modes de vie : les maisons Tir Groupé, renommées maisons Smala, dès 1997.
Pour bien me former, j'ai cherché des mentors et des magazines spécialisés. Ils m'ont aidé à canaliser et à clarifier ce répertoire de pratiques, à m'orienter vers ce que j'ai réussi à nommer bien plus tard l'« écologie communautaire ». En imaginant ces œuvres, dont quelques-unes servent à illustrer cet ouvrage, j'ai pu réunir progressivement de nombreuses connaissances relatives aux pratiques durables, toutes plus inspirantes les unes que les autres. Comme un collectionneur, je les mettais dans ma besace de méthodes, d'idées et de manières de faire. C'est devenu une marque de fabrique : j'avais des suggestions de solutions pour des problèmes de société de plus en plus larges. Solutions non pas toutes faites, mais simplement vécues, documentées. Elles s'appuyaient sur des experts et de vastes mouvements, peu connus et pourtant bien concrets.
De 16 à 35 ans, j'ai ainsi vogué d'un projet à l'autre, jusqu'à oser enfin parler de ma vision d'enfant, puis la nommer : Ecopol, des pôles internationaux d'écologie communautaire. Il m'a ensuite fallu près de 7 ans pour réussir à formaliser cette vision.
Voilà, c'est fait. Ma vision est posée dans ce livre, résultat de mes études sur le terrain. Je le publie à un moment que j'espère être le milieu de ma vie, le début de la quarantaine, pour passer à une nouvelle étape, la diffusion sous une forme digeste de cette approche globale. Elle me semble intéressante à tenter à large échelle.
Le monde n'est pas malade, il enfante, a écrit Xavier Sallantin, inspiré par Teilhard de Chardin. Ce livre est une petite contribution à cet accouchement.