Motivation de l'initiateur d'Ecopol
«Vers six ans, j'ai commencé à me plonger dans les livres de la collection bibliothèques rose. Je me les enfilais d'un coup, en un ou deux jours. Ca m'embarquais dans des aventures autour du monde, avec des drames, des passions, des défis. Je vivais à Chailly-Village, un quartier plein de verdure et de calme à Lausanne. On se disait bonjour entre inconnus dans la rue, la vie était facile. Je jouais à planter des légumes avec mon père et j'ai eu l'idée un petit magasin pour aller à la rencontre des gens qui se promenaient, pour leur proposer ma petite production et faire du commerce. Je rêvais de faire des tunnels pour relier les jardins des camarades voisins, pour pouvoir leur rendre visite sans devoir traverser les routes dangereuses à causes des voitures. Mais parfois à l'école, au centre-ville ou en voyage, j'étais confronté aux souffrances du monde.
Fathi Derder, aujourd'hui conseiller national bien libéral, m'a plusieurs fois attendu avec d'autres après l'école pour me casser la gueule; j'avais peur de ses réactions mais au fond j'avais surtout le sentiment confus que c'était lui qui souffrait d'un complexe. J'étais triste de devoir accepter des relations tendues, je cherchais activement à arranger les choses, sans prudence et souvent sans l'adresse nécessaire. Triste aussi les mendiants vu dans la rue durant mon premier voyage à Venise vers sept ans, mains tendues dans le froid de l'hiver; des scènes qui sont habituelles aujourd'hui pour presque tout le monde, mais qui m'ont choqué à vie. Triste enfin et surtout le livre "cinq milliard d'hommes dans un vaisseau" d'Albert Jacquard : un manifeste de l'écoconscience avant l'heure, qui dénonçait le péril nucléaire et montrait avec des mots simples l'étendue des problèmes de l'humanité, condamnée à s'adapter ou périr. C'est amusant de préciser ici qu'il est devenu, un quart de siècle plus tard, un des premiers parrains internationaux des projets de l'association Smala que j'ai co-fondée. Depuis mon petit paradis au bord du lac Léman, sans gros soucis personnels, je me rendais bien compte que j'étais un grand privilégié, mais je n'arrivais pas à rester insensible aux malheurs du monde, j'avais envie de "faire quelque chose". Alors le soir, quand je n'arrivais pas à dormir, je pensais à comment développer un lieu où les choses seraient "meilleures". M'appuyant sur les livres et les pratiques qui y étaient décrites, j'imaginais comment faire évoluer le fonctionnement de la justice, de l'école, de l'urbanisme... J'échauffaudais des plans, comme dans un labyrinthe infernal dont on cherche la porte de sortie. Je rêvais tout éveillé, c'étaient autant de graines pour mon destin.
Très vite, dès mes huit ans, je me suis investi à fond dans des micro-projets concrets, principalement des récoltes de fonds pour des causes, possibilités offerts à l'école à l'époque. J'allais sonner aux portes de tout le quartier pour demander des donation de lots pour la kermesse de la paroisse catholique, pour vendre les timbres de Pro Juventute au profit des enfants pauvres, et plus tard je leur proposais les oranges d'Helvetas pour réduire la famine en Afrique. J'avais une bonne mémoire, je me souvenais de chaque personne, chaque rue, chaque réaction. Je me sentais utile. J'aimais les gens. J'aimais essayer de les comprendre, de les sentir, d'interagir. Mes parents, intellectuels et enseignants, étaient dans un autre monde, une autre culture, même s'ils m'apportaient beaucoup. Dès l'adolescence, j'ai quitté l'école formelle pour entrer dans l'école de la vie. J'ai cherché d'autres références, plus en phase avec mes intuitions qui convergaient vers cette idée de contribuer à "créer un environnement plus favorable pour l'humanité".
J'ai commencé à exprimer cette vision d'un monde réconcilié en réalisant des mises en scène de théâtre au MAD, puis des photographies. Les création montraient l'humain acteur dans la nature. Chaque série de photo était une aventure, comme un tournage de scène de film : scénario, budget, décor, csting de photomodèles en herbe, équipe de production, transport, mini-formation, pic-nic. Charles-Henri Favrod, alors directeur du musée de l'Elysée, m'a ouvert ses portes. Homme du monde, il m'a reconnu et encouragé. J'ai gagné en confiance. J'avais encore beaucoup de chemin à parcourir pour perdre mon innocence et trouver ma voie.
Alors j'ai voyagé et travaillé comme "imagineur" touche-à-tout : curateur d'expositions, entrepreneur socioculturel, incubateur de réseaux, gestionnaire de programmes intergouvernementaux de coopération Nord/Sud, formateur d'adulte et réalisateur de films documentaires, bref, tout ce qui a trait à la créativité et qui transcende les disciplines. J'ai commencé à signer mes oeuvres "imagination théo bondolfi", pour signifier que j'avais mis en image une vision, et que j'avais accompagné cette vision, pour que l'oeuvre dépasse l'homme. Je cumulais les expériences autodidactes dans des domaines où la formation académique n'est pas la seule entrée possible, à la différence notable des professions d'avocat ou de médecin. Des Etats-unis à la Yougoslavie, de l'Asie du Sud à l'Europe de l'Est, de l'Afrique de l'Ouest à l'Amérique du Sud, j'ai roulé ma bosse de 16 à 35 ans, tout en gardant la plupart de mes doigts de pied en Suisse où je créais des ruches dédiée aux nouveaux modes de vie, les maisons Tir Groupé, renommées maisons Smala dès 1997.
Pour bien me former, j'ai cherché des mentors et des magazines spécialisés. Ils m'ont aidés à canaliser et à clarifier ce répertoire de pratiques, à m'orienter vers ce que je n'ai réussi à nommer que bien plus tard "écologie communautaire. En imaginant ces oeuvres dont quelques-unes sont relatées en filigrane pour illustrer cet ouvrage, j'ai pu réunir progressivement de nombreuses connaissances relatives aux pratiques durables, toutes plus inspirantes les unes que les autres. Comme un collectionneur, je les mettais dans ma besace de méthodes, d'idées et de manières de faire. C'est devenu une marque de fabrique : j'avais des suggestions de solutions à un répertoire de plus en plus large de problèmes de société. Solutions non ps toutes faites, mais simplement vécues, documentées, s'appyuant sur de vastes mouvements peu connu et pourtant bien concrets. Ce livre est le résultat de mes études sur le terrain. Je publie à ce que j'espère être le milieu de ma vie, le début de la quarantaine, pour passer à une nouvelle étape, la diffusion sous une forme digeste d'une méthode globale qui me semble intéressante à tenter à large échelle : Ecopol".
Qu'y a-t-il de si nouveau. Rien pris individuellement. C'es le tout qui mérite de l'attention. Car sur ce chemin de vie, j'ai pu découvrir des réalités dont la presse parle peu. des pratiques particulièrement utiles pour répondre aux enjeux actuels de notre société, qui reste trop souvent sous le radar médiatique, qui sont mal considérée et ont donc bien moins d'échos qu'elle ne le mérite. C'est de ces réalités que parle ce livre. Si je l'avais eu dans les mains enfant ou du moins adolescent, j'aurais gagné un temps précieux. Il n'est pas trop tard, ni pour moi, ni pour vous. Le monde n'est pas malade, il enfante, a dit un poète.
Voici une petite contribution à cet accouchement. Bonne lecture. Bons rêves éveillés.