Les deux grands modèles économiques

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Révision datée du 1 octobre 2011 à 11:17 par RaphaelRousseau (discussion | contributions) (La culture privatrice domine dans le showbiz)

La culture privatrice domine dans le showbiz

Le show-business, une expression chargée de sens. Les films qui passent dans la plupart des cinémas, les musiciens célèbres : voilà des produits de l'industrie du show-business. Dans ce monde de stars, les auteurs cèdent leurs droits à des producteurs et/ou éditeurs, qui les monnayent à des distributeurs. Vous avez déjà vu ces chiffres impressionnants : un milliard de recettes pour le dernier film d'Hollywood qui vient de sortir, 200€ la place pour assister au concert de la superstar qui fait sa réapparition après sa cure de désintox'. Alors là, interdit de copier, c'est du vol ! La publicité le dit bien au début des DVD : vous n'iriez pas braquer une banque, alors pourquoi copier un DVD ? C'est kif kif mon gars, tu copies, tu vas en taule ! Point barre. Dans le showbiz, y'a du pognon, et donc les intérêts privés d'un petit groupe de producteurs et d'actionnaires. C'est l'ancien modèle, encore dominant, du commerce du spectacle divertissant, attirant, et servant les intérêts de ce que l'on surnomme les "majors", une poignée de grands groupes qui traitent les copieurs de pirates pour les stigmatiser, comme si on leur volait le porte-feuille dans leur poche, voire la nourriture de leur bouche.

Avec Internet, ce modèle "privateur" s'érode et les artistes sont de moins en moins satisfaits ; ils réalisent qu'il sont pris au piège par leurs maisons de production. Une fois dans le système, ils ne peuvent même plus choisir de donner de leurs créations (une chanson, un film ou une illustration) dont ils sont les auteurs afin d'encourager un événement ou une cause qu'ils souhaitent soutenir. Leurs maisons d'édition sont les seules à avoir le droit de diffuser leurs créations, selon les termes qu'elles ont choisis. Les contrats comportent généralement des clauses d'exclusivité.

Libre versus privateur

Ce schéma montre les deux tendances. Dans les faits, la frontière est molle, car nous sommes en transition globale. Le modèle du libre est déjà largement défini et documenté. Mais il reste compris uniquement par une minorité. Une fois qu'il est compris, rare sont ceux qui reviennent en arrière.

Etape de vie d'une information Modèle de gestion tendance privatrice Modèle de gestion à tendance libre
Ce qui conditionne le tout: la conception et le développement de l'oeuvre Dopage, spéculation, grands espoirs, secret de fabrication, compétition. Développement organique, petit à petit, modeste ("dans son garage"), ouvert, coopératif.
Une fois créée, quel mode de gestion et quelle licence sera le plus évident pour mon oeuvre ? Contrôle basé sur l’exclusivité, création d’une pénurie artificielle, cession des droits des auteurs à des promoteurs/éditeurs. Confiance basée sur 4 libertés fondamentales, reconnaissance des auteurs à chaque étape de contribution, toutes les évolutions sont possibles.
Quel mode de diffusion de l'oeuvre? Concurrence, bénéfice à court terme, vente du droit d’usage d’un produit Coopération et compétition constructive (alias Coopétition), vente du service autour d’un produit (conseil, formation, adaptations sur-mesure, veille)
Quel impact social, culturel et économique global dans la société de l'information? Dynamique de:
  • Hiérarchie de statut
  • Discrimination.
  • Rétention d'informations (pénurie artificielle)
Dynamique de:
  • Hiérarchie de compétences
  • Non discrimination
  • Ouverture de l'information (abondance)


Conjecture de Moore : le pivot entre les deux modèles

Dans les magasins d'électronique, pourquoi le coût des ordinateurs baisse-t-il autant et si vite, tout en augmentant sa puissance ? Gordon Moore a trouvé la réponse à cette question avant que nous nous la posions, dans les années 60 déjà. Né le 3 janvier 1929 à San Francisco, c'est l'un des cofondateurs d'Intel, premier fabricant mondial des semi-conducteurs et transistors qui équipent les ordinateurs. Moore a réalisé des calculs visant à démontrer que la puissance de traitement des données numériques est désormais multipliée par deux tous les douze à vingt-quatre mois, dans trois domaines : vitesse de traitement, capacité de stockage et puissance. C'est pour cela que les disques durs, ordinateurs et téléphones en vente sur le marché baissent de prix et augmentent en capacité de traitement et stockage d'année en année. Dès les années 80, excitées par l'affirmation de Moore, les start-up pressées de l'économie numérique ont incité les investisseurs à miser avant les autres sur des marchés de niche du numérique : Amazon pour la vente en ligne, Skype pour la téléphonie, Google pour les moteurs de recherche, Facebook pour les réseaux sociaux... A court terme ces capital-riskers sont certes financièrement perdants, mais par la suite les clients des nouveaux géants du numériques, une fois devenus dépendants du produit concerné, auront les plus grandes difficultés à changer d'environnement. Une preuve simple : combien de personnes ont réussi à quitter MS-office (MS-Word, MS-Excel, MS-Powerpoint) pour la suite bureautique libre "OpenOffice", offrant pourtant à 99% les mêmes fonctions. Une fois rendu captif, les clients acquis à perte font progressivement rendre le géant du nouveau marché de niche bénéficiaire, car les coûts de fabrication tomberont en dessous des profits potentiels. C'est exactement le cas de Microsoft, Google, Amazon, eBay... Donc au delà de l'attirance naturelle pour la nouvelle économie du numérique, la conjecture de Moore a déterminé l'argument le plus raisonnable pour investir massivement dans une start-up Internet. Ainsi se manifeste le passage d'une économie de la rareté à une économie de l'abondance ; libre à chacun aujourd'hui d'ouvrir un compte Google et de disposer d'un espace mémoire très important, sans autre contrepartie immédiate que celle d'apprendre à utiliser un outil pour lequel il finira par devoir payer – un jour ou l'autre, et d'une manière ou d'une autre.

Mais ce n'est qu'une conjecture, et non pas une loi. Car Cette théorie se heurte à plusieurs limites, qui prédisent un effondrement possible du modèle d'investissement massif dans des technologies trop chères aujourd'hui mais permettant de rendre les clients captifs. Notamment :

  • la micro-électronique devrait arriver au stade de l'atome avant 2020, et ensuite, plus possible de réduire la taille. Les alternatives, comme l'informatique quantique, sont trop instables et dysfonctionnelles, malgré des années de tests.
  • les matériaux rares comme le silicium, indispensable pour les microprocesseurs d'Intel qui équipent nos ordinateurs et téléphones, sont disponibles sur terre en quantité limitées.
  • le recyclage n'est que partiel, et la pollution électronique commence à faire sacrément parler d'elle.
  • accessoirement, les besoins en électricité augmentent bien plus vite que les productions disponibles, et de nouvelles pénuries sont possibles.

En conséquence, pour faire un grand raccourci, on peut émettre l'idée sérieusement que le modèle privateur vise le court terme, et le modèle libre s'attache au long terme. Ceci sans même aborder la question des monopoles privés et de la menace qu'ils font peser sur la démocratie.


Crise de remise en question, alias CREQ

Essayer de pratiquer les modèles socio-économiques du libre, c'est souvent les adopter. Mais pour y parvenir, il faut un gros effort. Au début, non seulement on ne comprend pas bien, mais il n'est pas étonnant que l'on ressent de la répulsion face à ces nouvelles dynamiques. Car il faut remettre en question sa vision de la propriété des idées, du mode de développement d'un produit ou d'un projet, et de la manière d'échanger avec ses semblables.

Cet effort est souvent la conséquence d'une forte crise de remise en question, alias CREQ. Bernard Werber [1] décrit ainsi les CREQ :

L’homme est en permanence conditionné par les autres. Tant qu’il se croit heureux, il ne remet pas en cause ces conditionnements. Il trouve normal qu’enfant on le force à manger des aliments qu’il déteste, c’est sa famille. Il trouve normal que son chef l’humilie, c’est son travail. Il trouve normal que sa femme lui manque de respect, c’est son épouse (ou vice-versa). Il trouve normal que le gouvernement lui réduise progressivement son pouvoir d’achat, c’est celui pour lequel il a voté.
Non seulement il ne s’aperçoit pas qu’on l’étouffe, mais encore il revendique son travail, sa famille, son système politique, et la plupart de ses prisons comme une forme d’expression de sa personnalité. Beaucoup réclament leur statut d’esclave et sont prêts à se battre bec et ongles pour qu’on ne leur enlève pas leurs chaînes.
Pour les réveiller il faut des CREQ, « Crise de Remise En Question ». Les CREQ peuvent prendre plusieurs formes: accidents, maladies, rupture familiale ou professionnelle. Elles terrifient le sujet sur le coup, mais au moins elles le déconditionnent quelques instants. Après une CREQ, très vite l’homme part à la recherche d’une autre prison pour remplacer celle qui vient de se briser. Le divorcé veut immédiatement se remarier. Le licencié accepte un travail plus pénible...
Mais entre l’instant où survient la CREQ et l’instant où le sujet se restabilise dans une autre prison, surviennent quelques moments de lucidité où il entrevoit ce que peut être la vraie liberté. Cela lui fait d’ailleurs très peur.